Allan Kingdom – All Day Allan
Si ce nom ne vous dit peut-être rien, ne vous inquiétez pas. D’autres grands fans de jeunes talents hip-hop plus ardus que vous n’y ont sûrement pas fais attention. Et pourtant. Il est celui qui a donné une autre dimension au morceau All Day. C’est lui qui prête sa voix dans le pré-chorus aux allures de couplet jamaïcain. Un an après cette collaboration, le jeune rappeur qui a attiré sur lui les lumières des médias et a depuis sorti son premier album, est perçu par les médias indés et ses contemporains US comme un phénomène. Et tout cela avec à peine quatre mesures…
La musique ou rien
Allan Kingdom est un forcené. Le chemin de la musique débute pour lui très tôt. Productif, entre mixtapes, albums et projet collectif, il en est à un projet par an depuis 2011. Si aujourd’hui le rap apparaît comme une évidence pour Allan Kiaryga, ce ne fût pas toujours le cas, notamment pour sa famille et sa mère en particulier, pour qui l’artistique représente une voie superficielle. Obstiné depuis tout jeune, c’est dans un premier temps à force de persévérance qu’il convînt ses proches,. « Le seul moyen de les convaincre, c’était juste de continuer. Ils n’y ont vraiment cru qu’à partir du moment où je leur ai montré les soutiens. Je me rappelle la première fois que j’ai été dans le journal, je leur ai montré direct, car ça leur a montré ce que je fais ou ce que je peux faire dans la vraie vie. C’est concret. Comme l’argent que tu te fais avec les concerts, ça formalise la chose et ça devient un sujet que l’on traite avec sérieux. » Il aura fallu du temps pour le rappeur encore tout jeune (23 ans) pour convaincre que la voix du rap puisse être aussi crédible que le discours d’un avocat ou les prescriptions d’un médecin. « Ce n’est pas comme être docteur, quand tu es musicien, tu peux l’être sans être sérieux. Le médecin lui a son doctorat. »
Au contact même bref du personnage, on détecte une tête bien pensante sur des épaules solides. Sur ses attentes par rapport au premier album, il préconise une progression à échelle humaine et adopte un discours honnête, réaliste, sur le marché et les possibilités commerciales de LINES, un premier album qu’il sort au bout d’une stratégie réfléchie. « Je pense que je suis pour l’instant un underdog dans l’industrie. Cet album est un album de music worldwide, que tout le monde peut écouter et aimer même si tu ne comprends pas les paroles. Mon but était de m’exprimer sur ce disque, de le laisser grandir de façon organique et laisser les gens le répandre. Beaucoup de gens en label commencent au top en radio, et deux mois plus tard, tu ne les entends plus nulle part. Parce que les gens n’aimaient pas vraiment le son, c’est juste qu’ils ont mis tellement d’argent dessus en promotion que quand le budget marketing est fini, on n’entend plus rien. »
Respectueux des anciens et de leurs accomplissements, il cite parmi ses rappeurs favoris Andre 3000, Pharrell, Kanye, ainsi que les attributs rapologiques de Big L (« Je n’aime pas vraiment ce type de musique, mais je pense que c’est l’un des meilleurs. ») et Biggie. Il est de ceux qui pensent que la nouvelle génération se doit de faire des choses différentes pour exister et s’émanciper du parfois très lourd passif du hip hop US. Ne lui parlez pas de « Mumble Rap » comme d’un style de rap pauvre ou alternatif, il est pour l’ouverture. De Lil Uzi Vert à Dave East, tout y passe. Quand il dévoile spontanément son rappeur préféré du moment, c’est une surprise tant l’artiste nommé, dans son style et son lifestyle, apparaît aux antipodes de ce que renvoie Allan Kingdom. « Je pense que le nom Mumble Rap est stupide, car à la fin c’est soit de la bonne musique ou de la mauvaise musique. Qu’une personne soit très profonde et parle de la vie, ou qu’une autre parle juste d’argent, peu importe tant que la chanson est bonne. J’écoute de tout, tous les nouveaux que j’aime bien. Kodak [Black, ndlr] est un de mes préférés. Je pense que c’est l’un des meilleurs de la new school. »
Afrique, base fondamentale de sa mentale.
Allan Kingdom est une force-née. L’histoire récente de sa famille relate parfaitement l’héritage culturel qu’il a reçu depuis tout petit. Progéniture d’une mère tanzanienne et d’un père sud-africain, Allan parle couramment le swahili. S’il n’a jamais vécu en Afrique, il a su profiter d’une éducation qu’il met à profit depuis ses plus jeunes années du Canada au Wisconsin. « Cela m’a appris la valeur du travail. Quand tu as des parents immigrés, tu n’as pas le même soutien que s’ils venaient d’ici. Il faut que tu travaille plus dur pour y arriver. » Son grand-père maternel, issu d’un village tanzanien, fut à l’époque le premier homme de la bourgade à avoir envoyé ses filles poursuivre des études en ville. Une histoire qu’il confie avec entrain et non sans une certaine fierté. « À l’époque où ma mère à grandi, ils n’envoyaient que leurs jeunes garçons à l’école, car la logique était que les femmes allaient se marier avec un homme fortuné. Elle aurait pu juste rester à la maison avec son père et s’occuper des tâches ménagères, aller chercher de l’eau et s’occuper de la maison. Avant d’aller à l’école, ils bossaient dans les champs, puis en rentrant faisaient leurs devoirs. Mais ils ne rataient jamais un jour de cours pour faire ça. Mes grands parents ont trouvé un système pour remplir leurs taches sans avoir à s’appuyer sur leurs filles. »
Cette éducation il a su en faire une force et s’en servir pour se forger une identité à part, malgré les nombreux déplacements au cours de sa vie, qui le laisse déraciné, avec le sentiment chronique de n’appartenir à aucun endroit. « Aux US, tout le monde me dit que j’ai un accent, et quand je vais en Afrique on me dit que je ne parle pas comme si je venais d’Afrique. » Conscient de cette différence, il renchérit sur sa vision de la condition de noir-américain et sur les bénéfices de connaître son arbre généalogique. Savoir d’où tu viens, pour savoir où tu vas, en somme. « Je suis africain mais je suis aussi afro-américain car j’ai vécu toute ma vie aux USA. Dans la communauté noire ici, beaucoup ne savent pas d’où ils viennent, ou pas de façon précise. Savoir ça m ‘a considérablement aidé en terme de confiance, car ignorer certaines choses sur ton histoire te prive d’une part de ta conscience en fin de compte. » Lorsqu’on lui parle de l’exemple Afro-Trap en France, ça ne lui évoque rien, même s’il aime l’idée d’un rap afro-centré et pleinement conscient de ses origines. Le seul artiste hexagonal qu’il ait écouté est « celui qui est chauve. » On comprend vite qu’il s’agit de Booba, inévitable ambassadeur et tête de gondole du rap français dans le monde, qu’il dit avoir apprécié avant de faire part de son admiration du marché français. « Tu peux aujourd’hui être un rappeur français et avoir une carrière en rappant en français, c’est une bonne chose. »
Kanye, Inévitablement.
Tout a été dit ou presque sur sa collaboration avec Kanye West. Admiratif du travail du rappeur-producteur de Chicago, il joue un rôle important dans la formation et l’identification d’Allan en tant que… rappeur-producteur. Le lien entre les deux s’appelle Plain Pat, producteur et A&R, qui fût un temps manager de Kanye. C’est lui qui parlera du rappeur du Missouri à celui qui l’invitera ensuite à venir lui faire écouter ses morceaux dans le cadre de la création de l’album qui s’appelle encore à l’époque Help Me God. « On s’est rencontré au studio en fait, où je suis resté 4 jours. Le premier jour, je ne l’ai même pas rencontré. Il était occupé à faire de la musique dans les autres pièces à coté. Le jour d’après, il à réussi à se libérer et j’ai enfin pu le rencontrer. Il avait déjà entendu ma musique, donc je lui ai fais écouter mes sons les plus récents, issus de Northern Lights à l’époque. Et il les a aimés. Il a pris quelques sons que j’ai faits, je suis revenu 2 heures plus tard après avoir enregistré, et ma voix était sur « All Day ». » La version pour laquelle il pose ne ressemble alors en rien au résultat final. Il ne découvre son couplet tel qu’il est que lors des répétitions des Brit Awards, lorsqu’il est appelé par Kanye pour une performance à Londres. « J’étais excité tout le long, jusqu’au moment final où le rideau s’ouvre. À ce moment là, j’étais effrayé. Mais avant ça, j’étais juste heureux, reconnaissant et excité. » se remémore celui qui accompli un rêve de gosse avec cette collaboration. Un rêve, certes, mais dont il se sort aussi vite qu’il y est rentré, toujours mené par sa clairvoyance qui lui permet de garder la tête froide et les pieds sur terre. Un trait saillant de sa personnalité qui ressort cette fois quand il parle de sa relation actuelle quasi-inexistante avec Kanye, qu’il prend avec philosophie. « Je vis la vie de mon côté, on n’a jamais eu l’opportunité de devenir si proches, on a seulement parlé musique. On n’a pas eu l’occasion d’être à proximité l’un de l’autre, avec son management autour de lui. J’espère que dans un futur proche, on pourra passer plus de temps l’un avec l’autre, en dehors d’un studio. » Il ne se voile pas la face sur l’intérêt qu’il porte aujourd’hui et voit cela comme un avantage. Ultime acte désintéressé, il change son numéro de téléphone le jour où Kanye l’appelle pour aller à Londres. Une manière pour lui de se protéger et de surtout distinguer ceux qui feront l’effort d’obtenir son contact pour de futures propositions. Un phénomène qu’il aime résumer en citant son ami et collaborateur Booby Raps : « Even fake love is real love .»