Alpha 5.20 : L’histoire orale d’Ousmane Badara
Tout commence par la lettre Alpha.
Une faille spatiotemporelle. Les mots sont maladroits, mais la percée d’Ousmane Badara dans le paysage rap pourrait être comparée à une anomalie. À quinze ans, il quitte la terre chaude du Sénégal pour la Champagne-Ardenne. Par la suite, ce sont les murs effrités de la cité d’Orgemont, un quartier populaire d’Épinay-sur-Seine, qui l’accueilleront de manière définitive. Au départ les études sont envisagées, mais les business licites et illicites prennent le dessus sur sa bonne volonté, puis le rap se transforme en une activité à temps plein. Désormais, Ousmane se prénomme Alpha 5.20, et son premier projet sort en 2001. À mi-chemin entre la compilation, le « bootleg » et la mixtape, Rimes & Gloire Vol. 1 devient la carte de visite d’un rappeur à l’accent du bled, qui rappait avant tout pour manger.
Article extrait du YARD Paper #6, disponible ici.
Illustrations : Stella Lory
Shone : ami, rappeur et héritier du Ghetto Fabulous Gang
Diomay : premier collaborateur d’Alpha et rappeur
Fredo : premier mentor et rappeur (La Brigade)
Le Kafir : fréquent collaborateur et rappeur (La Brigade)
Pheno Venom : producteur (Pop mon hood, Gangsta)
Jack S : producteur (Boss 2 Panam, Regrets, Les larmes du soleil)
Le.C : directeur du label Banque de Sons
Primo : producteur (Un monde tout blanc)
Juliette Fievet : attachée de presse du film African Gangster
Mehdi Maizi : journaliste (Abcdrduson)
Genono : journaliste (Captcha Mag/Noisey/Le Mouv’)
Fifou : graphiste et photographe pour l’album Scarface d’Afrique
Julien Kertudo : directeur de Musicast
Jean-Pascal Zadi : scénariste et réalisateur d’African Gangster
Shone : « Alpha, c’est un hustler. Avant d’être rappeur, il a commencé par vendre des cannettes à Clignancourt. »
Diomay : « Moi et Alpha 5.20, on a commencé très jeunes. À l’époque, tu avais encore la notion de grand et petit, et nous, d’une certaine manière, on était sous la tutelle du groupe La Brigade. D’ailleurs, dans notre bande, c’était le seul jeune que La Brigade songeait à mettre sur son album. »
Fredo : « Je me baladais à Châtelet, lui était vendeur dans un magasin de vêtements, et il m’a reconnu par rapport à La Brigade. Directement, il m’a demandé de faire un morceau avec lui. »
Shone : « Je ne vais pas te mentir, la première fois que j’ai entendu Alpha rapper, c’était nul. »
Fredo : « Au-delà de l’artistique, c’est l’humain qui m’a plu chez lui. Je l’ai toujours poussé parce qu’il avait quelque chose. Mais j’ai aimé son flow, son concept, même s’il a évolué par la suite car au départ il avait une approche moins gangster. Les premiers titres que j’ai écoutés d’Alpha, tu sentais son côté du bled… Pas dans le mauvais sens, c’est quelqu’un qui a des valeurs du Sénégal, des valeurs qui sont universelles. C’est pour ça que j’ai voulu l’inviter sur l’album de La Brigade. »
Diomay : « Alpha avait beaucoup de famille aux États-Unis, donc il avait la possibilité d’y faire des allers-retours. Là-bas, la communauté sénégalaise est très présente, c’est elle qui vendait les mixtapes de DJ Clue à New York. Du coup, il avait déjà cette culture des tapes, de prendre des morceaux par-ci, par-là, puis de les rafistoler. »
« Ghetto Fabolous »
Pour se faire une place dans l’univers « rapologique », Ousmane Badara choisit son modèle économique dans le sud des États-Unis, où Master P, un rappeur-entrepreneur, brasse des millions en totale indépendance. Pour matérialiser ses idées, Alpha 5.20 crée son unité, le Ghetto Fabulous Gang, une bande composée de quatre rappeurs tous issus de quartiers différents : Shone, O’Rosko Raricim, KER et Malik Bledoss. L’une des marques de fabrique de la clique, c’est d’abord une hyper-productivité et des sonorités doublées d’une imagerie très française. Casquette Lacoste, Air Max, lunettes Cartier, boubous. Ensemble, ils embarquent l’auditeur dans leurs histoires de « tess », le plus souvent avec une écriture vindicative. Un détail qui les contraint à se marginaliser, même si, en 2005, la famille signe son premier album commun, Gangsters avec de grands boubous.
Shone : « Alpha a vécu plusieurs mois aux États-Unis. Il suivait ce qui se faisait là-bas avec Master P, Eazy-E, Cash Money… Des mecs qui autoproduisaient, fabriquaient et vendaient leurs propres CD depuis leur camion. Je n’en avais pas conscience à l’époque, mais maintenant je me rends compte qu’il avait vraiment réfléchi à un tas de choses. C’est la première personne à m’avoir appris à réinvestir. Par exemple, après la mixtape Boss 2 Panam, on avait écoulé près de quinze mille exemplaires, et il nous a directement proposé de réinvestir notre argent. Quand j’étais jeune, je sortais, je claquais mes thunes, mais lui, c’était vraiment la première personne à me conseiller. J’irai même plus loin, je pense que c’est son ADN du Sénégal. Là-bas c’est comme ça, les Sénégalais sont divisés dans les quatre coins du monde, et peu importe ce qu’ils font, ils essaient toujours de faire de l’argent pour la famille restée au pays. »
Mehdi Maizi : « On a souvent dit que le rap français ne prenait du rap américain que l’attitude et les dernières tendances à la mode, et pas forcément la productivité, mais eux l’ont prise. »
Shone : « On était obligés d’être hyper-productifs pour exister. »
Pheno Venom : « Être crédité, ça a toujours été le fruit de longues discussions avec Alpha. Je voulais être remarqué pour mes morceaux, mettre un jingle au début de chaque production, or, lui ne voyait pas l’intérêt. Parfois, je pensais même que c’était une des particularités du rap français. Quand les rappeurs trouvaient un producteur qui sortait du lot, c’était comme s’ils voulaient se le garder. Mais travailler avec lui, ça a toujours été un plaisir malgré les engueulades. En plus, ce qui me saoulait, c’était quand il me disait : “Ghetto Fab t’a mis sur la carte du rap français.” »
Le Kafir : « Quand je suis allé dans le quartier de Shone à “Forest Foss” (La Forestière, Clichy-sous-Bois, ndlr), j’étais impressionné. J’ai grandi en cité, à Ivry-sur-Seine, mais Forest Fos’, tu arrives, tu n’as pas d’ascenseur, les tours sont immenses, les bâtiments sont brûlés. T’as l’impression d’être coupé du monde. J’étais choqué. Et à partir de là, il y avait une sincérité à laquelle j’étais sensible. »
Shone : « J’ai rencontré Alpha grâce à Fredo, il était plus âgé et connaissait déjà O’Rosko. Moi j’avais mon groupe Holocost et 93 Étendard, mais ce qui nous unissait, c’était plus que le rap, c’était le tiers-monde. J’étais du Burkina Faso, KER était Cambodgien, réfugié politique, O’Rosko était Haïtien. Quant à Malik et Alpha, eux, ils venaient du Sénégal. Je pense que la pauvreté nous a liés. »
Mehdi Maizi : « Dans les années 2000, il y a eu un durcissement du rap avec plusieurs rappeurs qui étaient à la mode. Je pense à Alibi Montana, LIM, Sefyu, l’âge d’or de Rohff. Même si c’est réducteur d’évoquer un rap de rue, dans l’imagerie qui était véhiculée, à l’époque on parlait comme ça. Par exemple on disait “street CD ”, aujourd’hui on parle d’EP, pourtant les formats sont les mêmes. Je pense qu’Alpha 5.20 était l’un des porte-étendards de ce style. Après, quand on y regarde de plus près, on remarque que ce n’était pas si binaire, pas si simpliste, il y avait une vraie identité. »
Shone : « Gangster avec de grands boubous était un aboutissement, c’était notre premier album pour nous tous. C’était une époque où on écrivait sans arrêt, on était des machines. Lorsqu’on rentrait en studio, on ne perdait aucune minute. On avait réussi à être signés en distribution chez Sony BMG. On avait un morceau (Tous les quartiers) pour plaire à un plus large public. Christophe Neny (ancien directeur de la radio Générations) nous avait même accueillis dans ses locaux. Sauf qu’au moment d’être joué en radio… Rien. On avait essayé de discuter, de lui proposer des sous, mais il était catégorique. On était furieux. Après ça, l’album est sorti puis on est revenus à la charge pour lui mettre un coup de pression. Au final, il a accepté de nous jouer, tout en n’oubliant pas de prendre notre argent. Mais pour la première fois qu’on était placés dans les bacs, l’album a très mal marché. Du coup, sur dix mille disques pressés, on a pu en récupérer la moitié pour les écouler aux puces. »
« L’argent c’est rien, le respect c’est tout »
Une maxime omniprésente sur chaque livret d’Alpha. Plus que cela, cet adage a régi la carrière du rappeur puisqu’il ne s’est jamais réellement préoccupé d’être disponible à La Fnac et consorts. Bien au contraire, sa réputation s’est forgée hors des réseaux traditionnels, aux puces de Clignancourt. Dans ce marché populaire, Alpha y fait sa promotion et s’en sert pour vendre ses projets et produits dérivés. Un point stratégique, sans intermédiaire, directement connecté à son public.
Jack S : « La phrase d’Alpha, “L’argent c’est rien, le respect c’est tout”, nous est venue en tournée pendant qu’il repassait ses affaires. On a commencé à déconner en disant “Alpha, c’est le genre de rappeurs qui fait tout”, puis on a dérivé sur la notion de respect. C’est à ce moment-là qu’il a surenchéri : “Si je laisse ma voiture dehors, les portes ouvertes, personne ne me la volera parce que les gens me respectent.” Au départ, c’était un délire. Au final, il a gardé cette phrase : “L’argent c’est rien, le respect c’est tout”.»
Shone : « On s’est installés aux puces purement pour le business. Pour nous, c’était vital. Réduire les coûts. Maximiser les gains. »
Genono : « Alpha 5.20, c’était le fer de lance de l’indépendance. »
Le Kafir : « Il a rendu Clignancourt noble. Je n’ai pas la prétention de connaître toute l’histoire du rap français, mais personne n’y avait pensé avant, pas à son échelle en tout cas. J’ai eu mon stand par la suite, et j’en ai vu des rappeurs défiler. »
Julien Kertudo : « Vers 2011, on a réédité un coffret Boss 2 Panam et Rimes & Gloire, le succès nous a complètement dépassés. Il y a une vraie estime d’Alpha sur le terrain. Il a toujours tourné avec sa camionnette dans les cités ou les marchés pour partir à la rencontre de son public. Du coup, quand on dit Alpha, c’est une marque hyper-identifiée. »
Mehdi Maizi : « Les puces était une manière de montrer qu’on pouvait commercialiser le rap différemment et qu’on pouvait construire des carrières différentes du format : “Je sors un premier album, je fais mon Planète Rap.” »
Le Kafir : « Les gens préféraient se déplacer aux puces pour parler un peu à Alpha, acheter ses albums et ses t-shirts Ghetto Fab. »
Shone : « Quand on a commencé le textile, les sweats Mafia K’1Fry étaient sur la fin. Tu n’avais pas beaucoup de personnes placées sur le marché, et surtout qui avaient compris l’importance des vêtements. Avec Alpha on a mis nos thunes dedans, conçu notre logo, un peu usé comme à l’image du tiers-monde, et c’était parti. »
« J’ai fait le cauchemar français »
En 2005, en pleine visite dans le quartier de La Courneuv, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, se fendait d’une diatribe désormais célèbre pour « kärcheriser » la mauvaise graine française. Quelques années plus tôt, les paroles de rap suscitaient débat à l’Assemblée nationale : Sniper fut poursuivi pour propos racistes et antisémites et La Rumeur assigné en justice pour “diffamation publique envers la police nationale”. Quinze ans après, la République française, laïque et indivisible, ne semble toujours pas bercer tous ses concitoyens dans le même landau “Liberté, Égalité, Fraternité”. Sans papiers, migrant, et avec un discours à contre-courant, Ousmane Badara incarnait plutôt la figure de fils illégitime. Un portrait qu’il s’est fait plaisir d’interpréter dans ses interludes devenus célèbres.
Le.C : « Ses interludes m’ont fait penser au délire des Américains, ce n’était pas un morceau, un morceau, puis encore un autre morceau. Au contraire, son album vivait, il avait capté qu’il fallait parler aux gens. »
Le Kafir : « C’était l’un des premiers à avoir apporté ça. Ses interludes étaient presque aussi intéressants que ses sons. »
Jack S : « Sa façon de parler, d’introduire les titres, c’est une des choses qui fait que je l’ai trouvé différent de tous les autres artistes. »
Genono : « Peine Noire. Celle où il dit : “On sera toujours là, comme des putains de cafards à Hiroshima.” Cet interlude m’a marqué parce que l’outro du morceau (une lettre ouverte au président Nicolas Sarkozy en réponse à son discours de Dakar) est plus longue que le morceau lui-même. Je crois que c’était la première fois que j’entendais ça. Ensuite, son discours est extraordinaire. Je n’ai jamais entendu un rappeur tenir ce genre de propos avant Alpha. “Il y a des pays en Afrique mon pote, presque vingt-cinq pour cent des mecs ils ont le SIDA, mais on est là cousin. En Europe, un mec il a le SIDA, il crève tout de suite. On ne meurt pas cousin. Envoie la putain de bombe nucléaire, on sera comme des putains de cafards à Hiroshima, mais on ne meurt pas cousin !” C’était incroyable ce qu’il racontait. Il n’y avait aucune victimisation. »
« Ghetto Fab Films. Ghetto Fab DVD »
L’univers cinématographique s’est greffé naturellement sur la vision artistique d’Alpha 5.20. En 2010, il produit son premier film, African Gangster, épaulé par Jean-Pascal Zadi à la réalisation. L’histoire : un migrant sénégalais débarque à Paris pour travailler clandestinement, mais ses plans capotent avec l’assassinat de son cousin. Un long métrage dans lequel Alpha se mue en acteur. Une ligne de plus à son curriculum.
Shone : « Je pense qu’avec ça il nous a montré qu’on pouvait faire autre chose que du rap. Des choses qui peuvent paraître inaccessibles, lui, il les a rendues réalisables. »
Jean-Pascal Zadi : « La promotion a été très galère. Comme Alpha avait une espèce d’aura, que les gens l’aimaient bien, on a eu une attachée de presse qui s’appelait Juliette Fievet. À l’époque, on ne savait même pas à quoi ça servait. Elle est venue spontanément et nous a dit : “Je veux travailler avec vous.” Par la suite, elle nous a amenés dans plusieurs stations radio. Je me rappelle qu’on avait fait la nocturne de Skyrock. D’ailleurs, vu que c’était pour un film, Alpha 5.20 se posait la question de savoir s’il devait venir ou pas, car à l’origine il n’aimait pas la politique de Skyrock. Il m’a appelé et je lui ai dit : “Non ce n’est pas la peine, comme ça tu rentres dans la légende.” (Rires.) »
Juliette Fievet : « Au début, ils ont eu peur de mon aide. »
Jean-Pascal Zadi : « L’indépendance, c’était la seule manière qu’on avait d’exister. On ne s’est pas demander si on allait faire la même chose au cinéma ou pas. On s’est dit qu’on allait faire un film dans la rue, pour nos frères. Aujourd’hui ça va un peu mieux, mais à l’époque j’étais en marge, lui était en marge, c’était notre discours d’être dans la marge. C’était notre manière de faire. »
Juliette Fievet : « J’ai toujours managé des artistes, déjà à cette époque j’aurais aimé signer Alpha en distribution. Quand j’ai entendu qu’il projetait de produire un film, je lui ai tout de suite proposé mon aide sans aucune contrepartie. Plus que le long métrage en lui-même, c’était la démarche qui était importante. J’ai pris tous les numéros de mon téléphone et j’ai appelé tous mes contacts. On a réussi à faire Libé, Canal+, Trace TV, Skyrock et un tas d’autres radios. Dans un sens j’étais le plébiscite, mais je l’ai fait car j’avais un profond respect pour là d’où il venait. »
« La mort avant le déshonneur »
Dans Scarface, Brian De Palma enrôle Al Pacino pour incarner le personnage de Tony Montana. Excommunié du régime de Fidel Castro, ce jeune Cubain atterrit à Miami pour vivre le rêve américain. D’un job dans une friterie à la profession de narcotrafiquant, Tony a une vie de rêve avant de finir consumé par l’avarice. Des parallèles criants avec le parcours d’Alpha. Ousmane, le migrant sénégalais, a concrétisé ce qui paraissait impossible pour une partie des siens. Pour éviter le même sort que Tony, le rappeur a orchestré son dernier tour de piste le sourire aux lèvres et un revolver sur la tempe. Un homme serein avant sa mort, comme la pochette de son dernier album Scarface d’Afrique. Une image marquante. Un clin d’œil à Takeshi Kitano. Sombre et apocalyptique, cet opus, qui devait s’intituler Ben Laden d’Afrique mais qui, pour des raisons évidentes, changea de nom, faisait état d’un monde décadent, nihiliste, dirigé par l’impérialisme américain. Sorti le même jour qu’African Gangster, un dernier point pour mettre fin à un personnage rocambolesque qui souhaitait à présent trouver sa quiétude dans la religion, dans ses principes, et surtout loin du rap.
Genono : « Scarface d’Afrique est un album grandiloquent. Le dernier de sa carrière. Le thème “La mort avant le déshonneur” imprègne l’album. Tu sens qu’il part sans aucun regret, qu’il dit tout ce qu’il a à dire, sans se soucier de ce que les gens vont penser. Et musicalement, c’est son œuvre la plus aboutie. Aucune collaboration, uniquement Alpha du début jusqu’à la fin, la somme de toutes ses connaissances acquises dans le rap pendant une dizaine d’années. »
Mehdi Maizi : « C’est le discours d’un homme déçu, dégoûté de la société dans laquelle il vit et de l’hypocrisie des gens. Ce disque-là, c’est son testament. »
Shone : « Je ne garde pas un bon souvenir de Scarface d’Afrique. Je me souviens d’une époque où on avait beaucoup de problèmes en dehors du rap. Des personnes avaient essayé d’emmerder Alpha, donc on leur avait vite réglé leur compte, mais malheureusement, après cette histoire, Alpha est allé en prison. Même si pour lui ce n’était pas vraiment important, je me rappelle que dans son attitude quelque chose avait changé. C’était vraiment différent, il n’était plus là pour rigoler. Même avec moi, je le sentais différent. Deux semaines après sa sortie de prison, il m’a dit : “Écoute, j’ai réalisé mon dernier album.” »
Primo : « J’ai eu une grosse période Three 6 Mafia et, quand je composais, je faisais des sons qui étaient sombres. Je produisais vraiment des morceaux dans l’ambiance, sans me dire que quelqu’un rapperait dessus. Je m’imaginais même composer des musiques de film. Du coup, il a pris beaucoup de mes compositions qui étaient faites comme ça, dans mon délire. Des boucles de seize, vingt-quatre mesures, alors que les sons n’étaient pas terminés. Sur Un monde tout blanc (premier titre de l’album), il y a juste une boucle tout le long puis un refrain. En 2010, j’avais déjà arrêté de produire et c’est mon frère (Le.C), il y a trois ans, qui a découvert qu’Alpha avait utilisé cette production. »
Fifou : « Pour la pochette, c’était son idée à la base. Il lit beaucoup de bouquins, regarde énormément de films et a toujours été un grand fan de ceux de Kitano. Alpha a constamment ses concepts en tête. D’ailleurs, ça faisait des années qu’il me parlait de cette image. Il est venu en bas de chez moi, je l’ai pris en photo, puis on est remontés pour la finir dans la foulée. En deux heures, c’était bouclé. Pour le pistolet, il est plus gros que dans le film car avec le Ghetto Fab on a toujours fait des séances photos avec de vrais flingues. Et là, on n’avait que ça sous la main ».
Julien Kertudo : « En indépendant, sans média, sans promotion en radio, sans rien ; Alpha faisait partie de nos quatre ou cinq plus gros vendeurs. Il s’est arrêté quasiment au sommet de sa gloire personnelle en termes de ventes. »
Diomay : « Alpha aimait la musique, mais le but du jeu, c’était quand même de s’en sortir. C’est-à-dire qu’il était en France mais que des gens dépendaient de lui au Sénégal. C’était l’un des moteurs d’Alpha. Son but n’était pas d’être une star, il s’en foutait. »