Une faim d’Ama Lou

Ne vous y méprenez pas : la douce Ama Lou, jeune artiste émergée du si bouillonnant nord londonien, débarque avec une vision, des talents et un masterplan. Entretien avec une chanteuse à l’appétit vorace, et au futur radieux.

Photos : @alantheg

Au mois de juillet, la londonienne Ama Lou sortait son premier projet DDD (Dawn, Day, Dusk). Un EP de trois titres qu’elle a choisi de mettre en image dans un ambitieux court-métrage de treize minutes, tourné dans le désert californien. Là, les morceaux s’articulent autour du personnage de Lou, qui évolue entre les codes de l’univers mob et les situations surréalistes d’un Wes Anderson. Quant à la musique, elle détient l’efficacité de ces mélodies qu’on a l’impression d’avoir déjà entendue. Forte, entêtante, on l’écoute fatalement en boucle. En tout cas c’est ce qu’on a fait pendant une semaine avant d’envoyer notre demande d’interview.

C’est chez elle, en Angleterre, qu’on l’a rencontrée. Ama Lou nous donne rendez-vous à Hackney, là où elle a grandi, dans un restaurant familial vietnamien où elle a ses habitudes. Au moment de commander, la jeune artiste y va pour trois et coupe même l’entretien pour ne pas risquer de manger froid. Un appétit vorace qu’on lui pardonne vite tant il nous ramène à la force de la passion qui anime son travail. Du cinéma à la musique, en passant par la mode.

L’entretien débute de façon chronologique. Dès sa naissance lunaire qui sera célébrée par la réception incongrue d’une unique carte toute indiquée : « Félicitations, vous avez donné naissance à un alien. » « Ma mère m’a dit qu’enfant, j’étais un alien. Je n’étais pas réelle. La première nuit, je n’ai pas pleuré. Je ne pleurais pas beaucoup quand j’étais bébé. J’avais juste ces immenses yeux noirs ouverts et je ne dormais pas, je regardais tout autour de moi et elle me fixait en disant : “Ok, tu n’es pas réelle.” »

À l’époque déjà, son père est musicien et la musique rythme le foyer. C’est sur ce point précis que nous creusons pour retrouver l’origine de son sens de la mélodie, l’une de ses plus grandes forces. Ce qui se vérifie rapidement : « Ça a toujours été quelques chose pour lequel j’étais douée enfant. » Elle poursuit : « Je pense que la mélodie est ma zone de confort. Je peux toujours imaginer une bonne mélodie. Et j’ai toujours cru que, quoi que tu dises, tu dois toujours avoir une bonne mélodie, pour que les gens puisse absorber la chanson et ensuite, découvrir ce qu’elle raconte. C’est comme une double frappe tu vois. » C’est cette double-frappe qui a fait tout le succès de son premier titre « TBC » : une mélodie transcendante, qui décèle un message plus lourd et plus grave, un hommage au mouvement Black Lives Matter.

La première chanson que j’ai sorti, c’était « TBC » en 2016, le 10 octobre. Je me souviens littéralement de la date. Je n’avais pas vraiment d’attente. Je savais que c’était une bonne chanson. J’en étais très contente. J’étais de retour de New-York et j’ai en quelques sortes retranscrit l’expérience que j’ai eu là-bas avec le mouvement Black Lives Matter et la façon dont ça a affecté les gens avec qui je traînais là-bas. J’ai traduit ce que je ressentais par rapport à ça, pour en faire un genre d’étendard pour ce mouvement, et ceux qui ont été et sont toujours victimes de ces choses-là. Et je l’ai sorti, sans attente. C’était la première fois que je sortais un morceau. Et ça a pris, ces gens m’envoyaient des messages, en me disant ce que ma musique provoquait chez eux. Ça m’a rendu dingue, parce qu’ils m’envoyaient ces messages hyper profonds sur la vie, et me remerciaient pour ça. Pour la première fois, j’ai ressenti la responsabilité que j’avais à faire de la musique et en tant qu’artiste.

Qu’est-ce qui t’as convaincu de sortir une chanson pour la première fois ?

Ça avait l’air d’être le bon moment, c’était… [elle réfléchit] Tu vois quand l’univers te dis de faire quelque chose et que ça te suffit ? J’ai suivi mon instinct, c’est tout.

Après « TBC », Ama sort « Not Always », « Said It Already » et « Lost My Home », puis s’envole vers Los Angeles. Là, elle rencontre le mystérieux producteur anglais Jai Paul, qui lui offre toutes les ressources pour pouvoir pleinement exprimer sa créativité jusqu’à donner naissance à DDD.

J’ai rencontré l’équipe qui m’accompagne actuellement juste avant DDD. Peu de temps après, j’ai pris l’avion pour LA. J’étais un peu livrée à moi-même, jusqu’au moment où j’ai rencontré ce gars, Jai Paul, qui m’a tout simplement donné toutes les ressources. Il disait : « Yo, tu as toutes les réponses. Tu es productrice. Voilà tout ce qu’il te faut pour faire de la musique. » J’ai eu énormément de temps pour expérimenter. On a par exemple fait des sessions avec des musiciens pour chacune des chansons que j’ai enregistrées.

Tu as rencontré Jai Paul à Los Angeles ?

Oui ! DDD est né de tout ça et c’était génial. C’est mon processus de création à présent. Il ne m’a jamais dis que je ne pouvais pas le faire. Il le savait, bien avant que je ne le sache moi-même. C’était cool.

Est-ce que tu étais déjà dans la vidéo à l’époque ?

Oui, j’ai commencé à écrire un film au même moment, mais complètement séparé. Mais j’ai réalisé qu’ils étaient liés en quelques sorte. J’avais constamment ces visions de cette scène, des choses très étranges… Tu as déjà pu t’en rendre compte vu que le film est bizarre. Ma soeur travaille dans le cinéma. Elle est assistante caméra. J’ai commencé à les écrire, puis on a commencé à développer la trame du film. Après quoi, je suis retournée à la musique que j’ai produite comme une bande-son de ce film. Donc c’est devenu un monde à part et c’est très cool.

« On peut seulement prendre des références. Je ne crois pas qu’on puisse tout reproduire à l’exact, on ne devrait d’ailleurs jamais essayer de le faire. »

Le film de treize minutes, détient effectivement son propre univers, bourré de références au cinéma, une autre passion d’Ama Lou. Quand on lui demande de citer ses influences, elle commence par Les Affranchis, son film préféré. Puis enchaîne avec Comancheria, Kill Bill, la scénographie de Thelma et Louise, pour poursuivre par une référence à Wes Anderson.

Pour les couleurs ?

Oui ! J’adore Wes Anderson.

C’est toujours très coloré…

Oui, des couleurs bizarres et poussiéreuses.

Mais les tiennes étaient beaucoup plus chaudes pour le coup.

Carrément, beaucoup plus chaudes. Mais ça doit être différent. On peut seulement prendre des références. Je ne crois pas qu’on puisse tout reproduire à l’exact, on ne devrait d’ailleurs jamais essayer de le faire. Il suffit seulement de récupérer beaucoup d’éléments de différentes parties de l’univers pour ensuite faire en sortes qu’elles deviennent les tiennes.

On les transforme seulement.

C’est ce que j’essaye de faire en tout cas. Rien de ce qu’on créé sur Terre n’est nouveau, ça vient toujours de quelque chose. Ça vient juste du cours que suit ta pensée. Ce n’est pas quelque chose du genre « Oh, ça n’a jamais été fait avant. »

Si on schématise, les passions d’Ama Lou trouvent toutes un lien avec un membre de sa famille. Son père est musicien, sa soeur travaille dans le cinéma. Quant à sa mère, c’est la passion de la mode qu’elle lui a transmise. « Ma mère a étudié l’histoire de la mode. On allait souvent dans le Sud de la France et on allait toujours faire un tour dans les brocantes. Elle me montrait les vêtements en m’expliquant qu’ils venaient de telle ou telle époque et tel ou tel endroit etc. En grandissant, ça m’a vraiment intéressé. C’est devenu comme une façon de réduire le stress, mais aussi un énorme hobby pour moi : l’histoire des vêtements, d’où ils venaient, la forme des choses. J’ai une archive maintenant, avec quelques pièces. »

Elle garde secrète leur provenance mais nous ouvre en quelques mots son armoire. Elle revient notamment sur la chemise d’inspiration cow-boy qu’elle porte dans sa session COLORS. Une pièce rare datée des années 50, en fausse-fourrure, qu’elle a du faire recouper, car bien trop grande. Ou encore sur sa possession la plus chère : un cachemire en col V jaune. Toute une histoire.

Tu vois, à la fin des Affranchis, quand Robert de Niro se fait arrêter, il sort menotté, n’est-ce pas ? Il porte ce col V jaune en velours. Je l’ai vu et je suis tombée amoureuse de ce pull. C’était resté dans mon esprit. Je ne pensais pas que je pourrais le trouver où que ce soit, dans la même couleur. Un jour, je parlais à un ami qui vend des vêtements, et sorti de nulle part il m’a dit : « Oh, est-ce que tu voudrais ça? » Je te jure que c’était exactement le même, de la même période que le film.

Même coupe, même couleur ?

Même coupe, même couleur !

[rires] Pas besoin de retouche ?

Non, pas besoin ! Je te jure que j’ai presque pleuré. Il était là, genre : « Tiens, prend-le pour 20$. » Mais il ne comprenait pas ce que ça voulait dire pour moi. Exactement la même couleur. Je ne l’ai jamais porté.

À ce stade, les assiettes sont vides depuis bien longtemps. On commande la dessert avec sa manageuse présente avec nous. Puisqu’Ama est une habituée, on la laisse volontiers faire le choix, qui se porte sur un « three-colors dessert ». « Je ne sais exactement pas ce que c’est, mais ici on appelle ça comme ça », précise-t-elle toutefois. C’est un grand verre rempli de lait de coco et garni par étage de haricot rouges, de fils vert (à base de pandan) et de morceaux de glaces.

Le temps de le voir arriver et de laisser la glace fondre, on aborde rapidement le sujet de sa tournée, qu’elle préparait encore ce jour-là, en évoquant la première partie de Jorja Smith qu’elle a accompagnée tout autour du monde. « On traînait dans son salon quand je lui ai demandé qui faisait la première partie de sa tournée. Elle m’a dit : “Oh… Personne. Est-ce que tu veux la faire ? Est-ce que tu veux venir avec moi en tournée?” On a eu cette conversation où on s’est dit que ce serait cool, parce qu’on est complètement différentes. Ceux qui viendraient la voir auraient deux shows vraiment différents et pas une version moins développée de ce qu’elle fait déjà. C’est ce qui s’est passé. »

Autre chose : ça n’a pas vraiment de rapport mais Vogue a publié un article entier sur tes cheveux.

Ils l’ont fait ! [rires] Mais avant de faire l’interview, je ne savais même pas de quoi on allait parler.

Tu ne savais pas qu’ils voulaient faire ça ?

Non, mais la journaliste posait tellement de questions sur mes cheveux… Ça m’a surprise. Je me disais : « Mais je ne sais même pas comment répondre ! »

Tu en as pensé quoi ?

C’est cool qu’ils aient pensé à se poser des questions sur les cheveux bouclés. Parce qu’il y a quelques année, ils ne le faisaient pas. Je pense que c’est une bonne chose… Mais c’est un peu sorti de nulle part, non ? [elle coupe] Je pense qu’il est l’heure du dessert !

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