Anderson .Paak, for the love of Cali

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Après avoir mis longtemps son talent au service des autres, Anderson .Paak a mué en un artiste flamboyant pour donner à entendre sa Californie natale album après album. Entretien avec un artiste qui ne se voyait pas forcément en haut de l’affiche. 

« Tu as interviewé Anderson .Paak ? Ça devait être cool, il a trop l’air d’être un gars hyper chaleureux », me dit le message que je reçois après avoir teasé cet entretien sur mes réseaux personnels. Un a priori qui ne se base pas sur la moindre donnée concrète, mais qui revient de manière quasi-systématique à l’évocation du natif d’Oxnard. Artiste « solaire » par excellence, Anderson .Paak rayonne. Il se dégage de sa personne et de sa musique enjouée une forme d’énergie résolument positive qui finit de nous convaincre que nous avons là affaire à un chic type, sans qu’on ne sache réellement expliquer pourquoi.

Qu’en est-il réellement ? Si quinze minutes d’interview semblent bien maigres pour prétendre cerner un individu quel qu’il soit, notre échange avec celui qui se faisait appeler « Breezy Lovejoy » a au moins le mérite de conforter cette première impression. On y découvre un homme dévoué à sa passion et à ses proches, qui a forcé son destin pour passer du fond de la scène à la lumière des projecteurs. Il sort en ce vendredi 12 avril son nouvel album, Ventura, dont le titre fait une nouvelle fois référence à la Californie qu’il chérit tant.

Photos : @alextrescool

Tu as commencé la musique en tant que batteur, et les batteurs ne sont généralement pas sous le feu des projecteurs. Aurais-tu pu imaginer faire une carrière dans l’ombre ?

J’ai bien cru que ça allait être ça. Je n’étais pas particulièrement attiré par le devant de la scène, ou du moins pas en tant que chanteur. Je suis d’abord tombé amoureux de la batterie, puis j’ai commencé à simplement aimer faire danser les gens et c’est comme ça que je me suis retrouvé à mixer et produire très tôt. À l’époque, ça me convenait bien d’être juste dans les coulisses et de contribuer à la conception de la musique. Puis j’ai commencé à me développer en tant qu’artiste principal et j’y ai pris goût. De même que j’ai pris goût à l’idée de devenir chaque jour meilleur là-dedans. Je me souviens que les gens me disaient : « Tu devrais t’en tenir à la batterie, c’est ce que tu fais de mieux ». Mais ça me donnait d’autant plus envie d’aller vers autre chose. Cela dit, quand on a commencé à chercher un batteur pour notre groupe, on était tellement pointilleux qu’au bout du compte on a décidé que je ferai les deux. D’autant qu’on s’est rendu compte que ça pouvait faire notre singularité. D’où l’on vient à Los Angeles, il n’est jamais uniquement question de musique : il s’agit de trouver quelque chose qui te rend unique et que tu es le seul à savoir faire. C’est en partie pour ça que je continue encore la batterie.

As-tu déjà conçu la musique comme un job alimentaire ?

Totalement. Je ne voulais pas d’un job classique, pas plus que je ne voulais travailler pour qui que ce soit. Ma mère était une entrepreneuse, je l’ai vue lancer sa propre affaire et travailler d’arrache-pied pour s’en sortir et je pense que ça a joué sur moi. En grandissant, j’ai touché à plein de choses : j’ai travaillé dans un magasin de chaussures, dans un supermarché, etc. C’était l’enfer. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que tout ce que j’aimais c’était jouer de la batterie et que je pouvais peut-être être payé pour ça. La première fois que j’ai pris un billet avec la musique, c’était à l’église. Ça a été une révélation pour moi, et j’ai continué ainsi pendant un bon moment. Mais ce n’était pas assez pour subvenir aux besoins de ma famille. C’est seulement quand je suis devenu père que j’ai su que je devais faire passer ça au niveau supérieur. Je ne pouvais pas me contenter de quelques centaines de dollars la semaine. Ça n’allait pas être assez pour offrir aux miens la vie qu’ils méritaient. C’est là que j’ai compris que mon talent n’allait pas suffire. Il fallait que je pense business et que je m’organise pour sortir ma musique et la rendre accessible à un plus large public, sans pour autant la travestir.

Tout le monde peut apprendre à jouer d’un instrument, à exécuter une partition déjà écrite, mais tout le monde ne peut pas forcément créer quelque chose de nouveau. Est-ce ce qui définit un « artiste », selon toi ?

Ce qui définit un artiste, c’est le fait de s’investir à 100% dans ce qu’il fait. De ne pas avoir un pied en-dedans et un pied en dehors.  Quand j’ai commencé la batterie, c’était la seule chose qui me séparait des meilleurs de la discipline. Je suis allé à l’université avec quelques uns des musiciens les plus doués que j’ai connus, et je me suis rendu compte que beaucoup d’entre eux se contentaient de jouer pour d’autres artistes ou de jouer la musique de quelqu’un d’autre. J’ai mis du temps à développer la confiance nécessaire pour faire ma propre route. Mais je pense juste avoir été assez stupide pour croire que ma musique était suffisamment bonne pour que je n’aie pas à être dépendant de qui que ce soit. À partir de là, je ne savais pas si ça allait marcher, ni même « quand », mais je savais que j’allais donner tout ce que j’avais. Quand aujourd’hui je me retrouve à jouer dans de grandes salles, je comprends que tout ce que j’ai obtenu dans la vie n’est que le fruit de cette assiduité vis-à-vis mon rêve et ma passion. Et effectivement, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Beaucoup de musiciens qui ont appris à jouer d’un instrument et sont très doués là-dedans font leur propre musique à côté, mais sont souvent trop timides pour la dévoiler au monde. J’ai moi-même été comme ça, mais au fil du temps, j’ai eu l’impression de vivre en deçà de ma valeur. Heureusement, il y a des gens autour de moi qui m’ont encouragé et m’ont aidé à trouver au fond de moi la confiance dont j’avais besoin.

« Quand je suis devenu père, j’ai su que je devais faire passer la musique au niveau supérieur. Parce que ce que je gagnais n’allait pas être assez pour offrir aux miens la vie qu’ils méritaient. »

En mai 2018, Dr. Dre avait annoncé lors d’un Instagram live que ton premier album en major s’appellerait Oxnard Ventura. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on se retrouve finalement avec un album intitulé Oxnard et un autre intitulé Ventura ?

C’était censé être un double album mais il y a eu beaucoup de reports de la part du label, qui pensait que ça allait faire beaucoup de morceaux à digérer d’une traite. Puis au moment où j’ai pensé que le projet était fini, Dre a suggéré que nous avions peut-être un peu plus de temps pour le peaufiner, ce qui a fait qu’on n’a pas sorti aussi tôt que je l’avais prévu. Le mix des deux albums a été bouclé en même temps, mais l’idée de les sortir ensemble a été un peu abandonné en cours de route. C’est pourquoi Ventura ne voit le jour que maintenant.

Entre Venice, Malibu, Oxnard et maintenant Ventura, la Californie est au centre de ton oeuvre. Comment peut-elle continuer à t’inspirer après tout ce temps ?

Que puis-je te dire si ce n’est que c’est l’un des plus beaux endroits au monde ? J’ai la chance de pouvoir voyager à travers le monde, de voir d’autres paysages et ainsi de me rendre compte de la chance que j’ai d’avoir grandi dans cet endroit où il fait si beau, et qui est un carrefour pour les gens qui ont de l’ambition, qui sont progressistes et qui cherchent à accomplir de grandes choses. Où que j’aille dans le monde, les gens ne cessent de me dire qu’ils rêvent de venir ici. Et ce n’est pas moins vrai dans des villes ou des États qui sont très proches de la Californie : tu as des gens qui vivent en Arizona et veulent absolument partir à Los Angeles alors que c’est juste à côté. Mais je ne serais sûrement pas aussi reconnaissant de vivre ici si je n’avais pas autant voyagé et pris conscience de cette bénédiction. J’ai retrouvé des petites parties de ma ville un peu partout dans le monde, mais il n’y a vraiment aucun endroit de comparable. Je ne fais donc que rendre hommage à l’endroit qui m’a fait naître et qui a façonné ma personnalité, notamment musicale.

N’as-tu pas peur de tourner en rond au bout d’un moment ?

Non, parce que j’en ai fini avec les plages après Ventura. Je le promets. [rires]

Peu après la sortie de Malibu, tu as signé un contrat avec Aftermath, le label de Dr. Dre. Peux-tu nous raconter l’histoire de ta rencontre avec lui ?

J’ai reçu un appel me demandant de rejoindre Dr. Dre en studio pour travailler sur son album. Je n’y ai pas cru. Je me suis dit : « Je ne vais pas y aller. Je sais d’avance ce qui va se passer : on va venir au studio et écrire des morceaux qui ne sortiront jamais. » De mon côté, j’avais envie de me concentrer sur ma musique. Je venais de publier un single intitulé « Suede » avec mon groupe NxWorries, Venice était déjà sorti et j’en étais à peut-être 60% de Malibu. Mais ils ont insisté donc j’y suis finalement allé, et une fois au studio, les deux premières personnes que j’ai rencontré étaient The D.O.C. et Dr. Dre. Là, j’ai commencé à me dire que c’était du sérieux. Puis j’ai rencontré King Mez et Justus et j’ai compris qu’ils travaillaient sur ce qui allait être Compton.

Eux me disent qu’ils ont adoré mon morceau « Suede », puis me font écouter ce qu’ils ont commencé à bosser. Ils lancent l’instru de « All In a Day’s Work », le morceau est chaud, je me motive à écrire dessus mais ils me coupent et me disent : « Tu sais quoi ? On devrait faire écouter ton morceau à Dre d’abord, il ne l’a pas encore entendu. » Je ne clairement suis pas serein, je n’ai aucune idée de si ça va lui plaire ou non. Dre entre dans la pièce, ils lui font écouter « Suede » et à trois reprises, il demande à rejouer le morceau. Au bout de trois écoutes, il veut qu’on se mette à travailler, lance une prod et me dit les idées qu’il a pour ce morceau. Je rentre donc dans la cabine, je ferme les yeux et je me mets à improviser, parce que c’est comme ça que j’avais l’habitude de travailler à l’époque, simplement en lâchant tout ce qui me passait par la tête sur le moment. Quand j’ai rouvert les yeux après la prise, Dre était choqué. On continue de bosser ensemble depuis ce jour.

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