Anne-Charlotte Vermynck

À seulement 27 ans, Anne-Charlotte Vermynck crée son propre magazine pour les parents sur les enfants, Doolittle. 5 ans plus tard son petit se porte bien mais… L’entrepreneuse qui vient de passer le cap de la trentaine, n’est toujours pas maman. Un comble pour certains qui n’hésitent pas d’être à la fois critique et insultant à son égard. Dur, dur de ne pas avoir de bébé…

Qu’est-ce qui t’a amené à créer ce magazine ?

En fait, je suis autodidacte. J’ai commencé à travailler dans la presse à 19 ans. De fil en aiguille, je suis restée dans ce milieu. À la base, j’ai commencé par la presse féminine et j’ai « switché » (basculé, ndlr) sur plein de magazines et postes différents. À la fin de ce cycle, on m’a proposé d’être « rédac’ chef » d’un magazine pour les parents sur les enfants. J’ai fait un numéro pour eux avec zéro sous. Quand j’ai vu que j’ai réussi en appelant tous mes contacts et en faisant bosser tous les potes que j’avais rencontré pendant toutes ces années-là ; je me suis dit pourquoi pas. Puis j’ai eu une très bonne rencontre avec Franck Annese qui a rendu tout ça possible.

Pourquoi ce choix de l’autodidaxie plutôt que de suivre le chemin académique ?

J’ai passé mon bac que je n’ai pas eu à l’époque. Je n’étais pas hyper assidue, enfin si mais plutôt en bavardage. En fait, j’ai fait une prépa d’art pendant un an, à la fin, je suis partie un mois de stage dans un bureau de presse, Sandie Roy. Au bout de quinze jours, on m’a proposé un boulot, du coup j’ai tout planté et j’ai commencé à travailler comme ça. Après j’ai passé mon bac en candidat libre, que j’ai eu avec mention. C’est ma petite fierté de me dire que quand même je n’étais pas débile mais juste trop jeune et insolente.

Comment es-tu devenue compétente dans ce secteur de la presse ?

Dans ce genre de métier, il n’y a pas d’école pour apprendre à être créative et rigoureuse. Je pense vraiment que j’ai fait la meilleure école, pour moi en tout cas, car je ne le conseille pas à tout le monde. C’est très particulier d’être autodidacte. C’est très plaisant pour plein de choses, mais c’est hyper dur aussi. Déjà, on n’a pas le même rythme que ses amis. J’étais toujours avec des gens plus âgés que moi, tout est très différent.
Mes modèles de réussite dans la vie, je les ai côtoyés dès mon plus jeune âge. J’ai pu me former en les observant, en travaillant pour elles. En plus, je n’ai bossé qu’avec des femmes. Toutes ces rencontres-là m’ont forgée au fur et à mesure. Quand j’ai monté Doolittle, j’avais 27 ans, ce qui est assez jeune, mais en même temps je travaillais depuis 7 ans. Honnêtement, ça t’apporte une ambition que tu n’as pas forcément quand tu es sur les bancs de la fac et une envie de réussir.

Tu as travaillé avec beaucoup de femmes mais c’est ta rencontre avec un homme, Franck Annese, qui t’a permise de concrétiser ton ambition ?

Ouais, c’est marrant c’est vrai. C’est d’autant plus marrant qu’en 2009 dans So Press (boîte comprenant So Foot, Pédale, So Films et depuis vendredi dernier Society, ndlr), il n’y avait que So Foot.

Tu sais ce qui a plu à Franck ?

Bah alors là, c’est une bonne question, je ne sais pas. Il faudrait lui demander, mais Franck est un amoureux du papier et des projets. Il aime bien donner sa chance aux gens, et je pense qu’il a vu en moi toute cette envie.
Le rendez-vous a été rapide. Je suis arrivée à l’époque dans le XIVème dans le troisième sous-sol, dans le garage, il y avait cinquante mecs. Il m’a dit : « – Bon, apparemment tu as envie de faire un mag ? – Ouais. – C’est sur quoi ? – Là, je viens de finir telle expérience, donc je voudrais faire un mag pour les parents sur les enfants. – Bon bah écoute, la semaine prochaine, je te fais une petite place au bureau, viens ! » J’étais là à me dire : « Mais c’est tout, tu veux pas en savoir plus… » Je me suis retrouvée une semaine après dans un bureau avec mon ordi en me demandant par quoi je devais commencer. J’étais perdue.

Quand tu es arrivée avec ton ordinateur dans ce garage et cette cinquantaine de mecs, étais-tu perdue ?

C’est génial, moi j’adore. J’adore car j’ai deux grands frères, donc je suis la petite. Du coup, j’ai toujours été entourée de mes frères, leurs potes, c’est un truc que je maîtrise bien. C’est aussi pour ça que le magazine fonctionne si bien. C’est que ça doit se ressentir. D’ailleurs beaucoup d’hommes écrivent dans le magazine, et le rédacteur en chef est Marc Beaugé.
Je trouve ça génial car on se chambre tout le temps, il faut avoir de la répartie. Je trouve que c’est un jeu hyper agréable autant pour eux que pour moi. Ça évite d’être trop dans les histoires entre filles, alors qu’au bureau : on va jouer au ping-pong, au ballon… C’est drôle, ils me parlent parfois de leurs histoires de meuf. Ça me fait rire de les écouter. Et généralement, les filles sont toujours plus trash que les garçons.
Aujourd’hui, les filles qui travaillent avec moi adorent venir au bureau car il y a ce mélange. Hier on a fêté la sortie de Society, et vraiment on a une ambiance dans le crew qui est vraiment géniale.

 

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Est-ce qu’être une femme t’a aidé lors de cette aventure ?

J’ai un magazine pour les parents sur les enfants, n’ayant pas d’enfant. De base, c’est un peu fou. J’ai du beaucoup me défendre là-dessus, ce sont des attaques assez régulières. Maintenant, je pense que c’est rentré dans la tête des gens donc ça passe. Mais j’ai dû et je dois encore me justifier des raisons qui me poussent à faire ce magazine. Donc je suis attaquée plus là-dessus que sur le fait d’être une femme.

Les gens te pensent illégitime, c’est ça…

Oui mais je n’écris pas dans mon magazine, déjà ça aide. Deuxièmement, je suis entourée de plein de personnes qui ont des enfants. Après, je pense qu’au quotidien, je prouve que les gens ont tort car on existe toujours et qu’on se développe.
En plus, je pense que le fait que je n’ai pas d’enfant dans l’immédiat, aide à avoir ce ton un peu cool, un peu décalé, un peu drôle. L’idée est de décomplexer un peu les gens en exprimant l’idée que c’est merveilleux d’avoir un enfant mais qu’on a le droit aussi de dire qui sont un peu relou. Ce n’est pas grave.

La critique est violente à ce point…

Je n’ai jamais fait un rendez-vous où les gens ne sont pas au courant que je n’ai pas d’enfant. Jamais. Ça m’est déjà arrivé d’avoir des personnes agressives sur le projet parce qu’ils ne comprenaient pas que je puisse faire ce genre de magazine sans avoir d’enfant. Et ça m’est arrivé de dire en réunion : « En gros vous êtes au courant de tout, vous savez si je suis stérile ou pas, si je suis entrain d’adopter ou non… » Parfois t’es un peu obligée de rentrer dedans. Dans le dernier numéro de Doolittle, j’ai absolument tenu à faire ce papier : « Quoi t’es pas encore enceinte ? » C’est mon message, j’ai dit à Marc Beaugé : « Celui-ci, c’est obligé qu’on le fasse. »

Pourquoi avoir attendu 5 ans pour faire ce papier ?

Car j’ai passé le cap de la trentaine. Donc ça devient plus compliquer de justifier le fait que je n’ai toujours pas d’enfant. Ce qui est chiant, c’est que les gens te regardent comme si tu n’en auras jamais. Je vais bientôt avoir 32 ans et je fais bien ce que je veux. Mon métier n’a rien avoir avec ma vie personnelle, je ne vois pas le rapport. Ce n’est pas parce que je n’ai pas d’enfant que je ne sais pas faire un magazine. La preuve.

Comment tu vis ces critiques ?

Ce n’est pas tous les jours facile, mais je me dis toujours qu’il faut prendre le négatif et le transformer en positif. Du coup, ça me donne une raison de plus de vouloir y arriver, et de prouver que j’ai ma place. C’est une motivation de continuer à faire ce que je fais avec passion, envie…
Je dis à chaque fois aux gens pour désamorcer la chose : « Appelez-moi Dorothée (qui a réalisé toute une carrière artistique et médiatique autour de l’enfance sans en avoir). » C’est évidemment une image qu’ils ont. Après, je ne vais pas me construire sur l’image des gens. J’ai autre chose à faire quoi. C’est chiant mais ce n’est pas grave.
Je suis très heureuse de ma vie, je sais pourquoi je n’ai pas d’enfant aujourd’hui. Je suis en couple, je suis amoureuse. J’ai un magazine qui marche, c’est ma priorité. Je développe plein de choses à côté. Les gens n’aiment pas qu’on puisse avoir une autre ambition que d’être maman tout de suite.

Comme tu le disais, le fait de dépasser le cap des 30 ans intensifie la critique ?

Je le ressens à travers le regard des gens. Maintenant, je donne rendez-vous à toutes ces filles dans dix ans avec leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ça m’ira très bien, je pense que je serai au top.

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