Arts of Zaman : un henné contemporain et revisité

Si le henné est rattaché dans l’esprit au monde arabe et à la culture indienne, à un mélange entre croyance et magie associé à la cérémonie du mariage, pour Samia a.ka. Arts of Zaman, le henné est un médium. Le médium d’un art dont elle connait tous les tenant et qu’elle met au service de son impressionnante dextérité tout en rendant hommage à la culture arabo-musulmane. Géométrie, symétrie, finesse, précision, autant de compétence qu’elle utilise pour réaliser les demandes de ses clients et dans chacun de leurs tatouages éphémères.

Et elle ne sublime pas que les femmes, le henné étant l’art de tatouer, les hommes aussi peuvent se parer des créations de Arts of Zaman. Rencontre.

Portraits : @HLenie

 

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D’où vous vient cette passion pour le henné ?

C’est peut-être surprenant mais je n’ai pas de passion réelle pour le henné, en soi. Ma passion, c’est la belle esthétique. C’est orner le corps de motifs, dessins ou mots en jouant avec l’espace et les proportions en créant une harmonie parfaite qui me passionne. Le challenge de réussir à retranscrire mon inspiration sur une surface limitée, en gardant une cohérence dans les motifs choisis et en créant quelque chose tout simplement beau, voilà ce qui me passionne. Le henné est un moyen pour moi d’étancher, grâce à sa nature éphémère, ma soif de création, sur le medium le plus noble qu’il soit: la peau. Il faut savoir que le henné est un colorant qui traverse la peau pour imbiber chaque cellule de couleur, il ne reste pas en surface. Et il y a une beauté en ça, car mon dessin après l’avoir appliqué sur la personne en face de moi, ne fait plus qu’un avec elle. Il devient une partie d’elle, et c’est là que repose ce défi qui me passionne, à savoir : créer un design en parfaite osmose avec le corps mais aussi la personnalité de chacun.

 

Pour beaucoup cet art est associé à la religion musulmane, mais n’est-il pas avant tout un art tout court ?

Tout art, émanant de la culture musulmane ou perfectionné par elle, est un art à part entière avant d’être art musulman. Et ils sont nombreux, comme l’ornementation et la mosaïque par exemple. Mais le henné n’en fait pas parti. Il s’inscrit dans les traditions de communautés différentes, dont les religions varient aussi (chez les juifs, hindouistes, et musulmans), mais n’est pas propre à l’une plus qu’à l’autre. Les seules références que l’on fait au henné dans la religion musulmane sont la recommandation du Prophète Mohammed aux femmes de s’appliquer du henné sur les mains afin de se différencier des hommes, et son usage pour la teinture de la barbe. Le reste ne relève que de traditions culturelles, car le henné est dans toutes les communautés une plante de bonne augure. On a donc développé cet art du tatouage au henné pour les festivités, les cérémonies de mariage en particulier. Toute une célébration est dédiée à ce moment où la future mariée se fait tatouer les mains et les pieds, et c’est ainsi que s’est développée l’idée que cet art porte une signification religieuse (car associé à un évènement -le mariage- qui l’est).

 

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On me dit souvent qu’il y a un sentiment très urbain mais très délicat à la fois qui ressort de mon travail, et c’est normal, car c’est qui je suis.


 

Votre accroche « le traditionnel n’a jamais été aussi moderne » montre votre volonté de vous nourrir du passé tout en le réactualisant. Comment associez-vous le présent à votre héritage ?

C’est au contraire du présent que je me nourris ! Les codes du henné traditionnel sont figés et connus des amateurs et praticien de cet art, je cherche aujourd’hui à les enrichir de tout ce que la culture contemporaine nous apporte, ou à les casser pour les remodeler d’une manière qui me parle, aujourd’hui en 2016. Néanmoins, je me rends compte que cet héritage ne connait pas la barrière du temps car ce n’est pas moi qui le rend moderne, il l’est déjà dans sa forme la plus ancienne et traditionnelle. Le henné marocain par exemple -qui est ma spécialité-, composé de figures géométriques emboitées les unes dans les autres, très linéaire et graphique, jouant sur les espaces négatifs, n’a besoin d’aucune altération pour remplir toutes les conditions de ce qui se fait de plus tendance aujourd’hui en terme de visuel. Ce n’est pas moi qui associe le présent à cet héritage, cela se fait naturellement à chaque fois qu’une personne décide de se faire tatouer et d’ancrer dans sa peau l’espace d’une dizaine de jours un art porté depuis des générations, car elle reconnait en lui quelque chose qui lui parle à l’heure actuelle. On me dit souvent qu’il y a un sentiment très urbain mais très délicat à la fois qui ressort de mon travail, et c’est normal, car c’est qui je suis. Je souhaite montrer que l’on peut porter haut l’étendard de notre héritage et la culture de nos ancêtres mais que nous sommes aussi très riches de ce que notre siècle a ajouté en nous. Chacun de nous est à la fois le présent et le passé, à sa propre façon, et c’est pour ça que mes tatouages trouvent sur chacun une place bien singulière.

 

 

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Je pense que c’est un de mes traits de caractère qui me donne cette « finesse de trait », le perfectionnisme.


 

 

Le henné est aussi l’art de tatouer. Où avez-vous appris votre finesse de trait et votre passion du dessin ?

Je pense que c’est un de mes traits de caractère qui me donne cette « finesse de trait », le perfectionnisme. Je n’aime pas bâcler le travail ni faire moins bien que ce que j’aurai pu faire alors forcément je fais en sorte que mes traits soient les plus fins possibles parce que le tracé c’est la base, c’est ce qui va composer le dessin. Et comme j’aime qu’il y ai beaucoup de détails mais que je travaille sur des surfaces restreintes, je me dois d’être précise pour réussir à tout emboîter dans l’espace dédié. Il suffit juste d’avoir un peu de dextérité, ce qui s’apprend et se développe, et c’est à la portée de tous. Quant au dessin, c’est juste le prolongement de ma vision; si j’imagine quelque chose, que ce soit une peau tatouée ou un objet décoré, il faut que je fasse en sorte de la réaliser. Alors loin d’être une dessinatrice, j’essaie juste de donner vie à ma vision en composant avec ce que je sais faire.

 

Chacune de vos créations semblent uniques, travaille-vous à partir de modèles ou freestylez vous ?

Dans 95% des cas, c’est de l’improvisation totale. On me donne carte blanche ou me demande de m’inspirer d’un style, d’un placement du tatouage ou d’incorporer au design quelque chose de particulier. Mais j’ai la chance d’avoir le plus souvent carte blanche car les personnes qui viennent à moi connaissent mon univers et me font confiance pour ne pas les décevoir. J’improvise donc à chaque fois, en laissant parler ma créativité. Je ne réfléchis pas vraiment lorsque j’exécute le tatouage, c’est assez mécanique, au point où on me demande souvent si je suis en train de réaliser un design que je connais par cœur. En fait, oui et non. Car les tatoueurs au henné ont une sorte de banque de motifs dans la tête, ceux que l’on se transmet de génération en génération et d’artiste en artiste, donc il y a une part d’acquis. Mais c’est ce que l’on décide de faire à l’improviste et spontanément de ces motifs qui relève du freestyle et de la création artistique. Je laisse ma main travailler pendant que, quasi simultanément, mes yeux scannent l’harmonie entre l’espace déjà utilisé et restant. Je cherche l’équilibre dans le ratio traits fins/traits épais et autres détails pour déterminer ce que sera le prochain motif à dessiner et son emplacement. Ajoutez à ça un peu d’inspiration et vous obtenez la surprise d’un tatouage qui en quelque sorte a commencé sans savoir où il allait et a fini au bon endroit. Il faut se faire confiance quand on improvise et se laisser guider par sa main, car la main ressent mieux l’intuition que l’esprit.

 

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Le henné n’est pas seulement pour les femmes, pas vrai ?

C’est une question compliquée car en soi, rien n’est exclusif, donc non le henné n’est pas seulement pour les femmes. Et la nature et ses plantes sont faites pour tous. Mais vous entendrez beaucoup dire qu’en effet ça l’est. Son usage n’est pas restrictif, mais il est vrai que dans l’histoire de cet art on constate que le henné était appliqué sur les hommes de manière beaucoup moins stylisé que sur la femme (un des buts du henné étant de l’embellir, pour les célébrations notamment). Mais il leur était aussi appliqué! Donc il y a cette connotation féminine mais qui n’exclut l’homme en rien. Il y a aussi le fait que certains hommes n’aiment aussi tout simplement pas la couleur du henné, contrairement à beaucoup de femmes. Est-ce parce qu’ils ont été inconsciemment programmés pour penser que ce n’était pas fait pour eux? Surement. Mais ils ne devraient pas. Et pour les hommes qui préfèrent un rendu similaire au tatouage à l’encre, qui est lui universellement considéré comme unisexe, il leur reste comme option le jagua.

 

Le henné noir est souvent associé au mot allergie. Mais parlez-nous du jagua, cette encre noire avec laquelle vous tatouez.

Le jagua est l’alternative naturelle à ce qu’on appelle souvent le « henné noir » (qui est en réalité un concentré de produits très nocifs, et un peu d’encre noire). C’est le jus d’un fruit d’Amazonie. Il est utilisé depuis toujours par les indigènes de cette région du monde pour se tatouer. C’est donc un fruit qui pèse lourd dans leur héritage et dans l’histoire du tatouage tribal. Une fois que le jus est extrait du fruit, on le manipule pour en faire un gel prêt à l’utilisation. Les fournisseurs sont rares mais j’ai la chance d’avoir trouvé la team de Jagwa Ink à Nice qui est spécialisé dans le jagua et qui me fournit un gel certifié aux normes cosmétiques européennes et le plus frais possible! La particularité du jagua est qu’il teint la peau d’une couleur bleu/noir, très similaire à celle d’un tatouage permanent. C’est souvent des personnes voulant se faire un tatouage permanent mais hésitant ou qui en rêve mais ne peuvent pas pour diverses raison qui me demandent d’utiliser du jagua sur eux. Le rendu est vraiment réaliste!

 

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Grâce à ses tatouages on est passé du petit dessin que l’on fait au mariage de sa copine maghrébine à une forme d’expression artistique et culturelle et un accessoire de mode à part entière.


 

Si certains le boudent, le raccrochant à la religion, la chanteuse Rihanna s’est faite tatouer un motif qui puise dans l’esthétisme du henné. Que vous inspire son tatouage ?

Je trouve que c’est un exercice particulièrement bien réussi car ses tatoueurs avaient pour objectif de recouvrir son précédent tatouage, il fallait donc qu’ils adaptent leur dessin tout en recréant l’esprit « mehndi » (tatouage aux motifs indiens) qui n’est absolument pas leur spécialité. C’est donc un challenge relevé vu leurs contraintes, mais ce n’est pas le dessin le plus esthétique que l’histoire de cette culture ai connu.. Et c’est pour cela qu’il ne m’inspire pas grand chose. Les tatouages qui m’ont vraiment inspiré et ont appuyé l’idée que je me faisais de cet art du tatouage sont ceux de Pia Mia (une jeune chanteuse, accessoirement amie de Kylie Jenner), qui contrairement à l’idée reçue qu’on le doit à Rihanna, a fait du henné ce phénomène viral sur toutes les pages beauté et mode avec les photos d’un de ses shootings en juillet 2014. Elle l’a réellement démocratisé, en montrant à tous que l’on pouvait porter sur soi un bijou de peau on ne peut plus traditionnel en étant en parfaite harmonie avec un style vestimentaire et une esthétique on ne peut plus edgy et branchés. Grâce à ses tatouages on est passé du petit dessin que l’on fait au mariage de sa copine maghrébine à une forme d’expression artistique et culturelle et un accessoire de mode à part entière.

 

Instagram : @ArtsOfZaman

 

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