J’ai vu ta plaque au bois de Boulogne
Pour n’importe quel habitant de l’Île-de-France le Bois de Boulogne est un haut lieu de la prostitution transgenre. Il n’en a pas toujours été ainsi. Vous vous doutez bien qu’au moment de son aménagement par le baron Haussmann au milieu du XIXème siècle le projet n’était pas de bâtir un espace vert vivifiant pour les travelos brésiliens. Non, le but était d’agencer un immense parc où le Tout-Paris bourgeois et aristocratique viendrait roucouler ses mondanités de serpent. Et ce fut le cas. Zola décrit le défilé VIP de l’époque dans La Curée, Aragon parle du « grand monde » qui s’y affiche dans Les Beaux Quartiers.
Aujourd’hui on n’y croise plus la belle Carlotta d’Aragon mais Carlito de Sao Paulo. Si la jeune femme symbolisait l’appétence coupable du jeune Edmond pour le Paris bling bling, Carlito est plus franc du collier : il monnaye sa bouche et son anus pour une quantité d’euros relativement modique, le tout avec le folklore de l’accent portouguèche… en fermant bien les yeux le client peut imaginer Thiago Silva aux basses besognes, voire Alex, dont la sortie médiatique homophobe mérite bien un petit viol de bouche punitif.
Année 2000, Wiltord et Trezeguet apprennent aux ritals comment reboucher une teille de champ. Un soir de ce même été, moi-même, Bardamu, et quatre autres flibustiers, nous décidons de nous rendre séance tenante au Bois de Boulogne pour y enquêter sur les déclarations tapageuses de l’un des nôtres. Selon ce bon José il y a une tainpe qui suce la bite gratos moyennant un argumentaire ad-hoc. José en a profité à quelques reprises… L’oisiveté, la curiosité et la concupiscence nous assaillent toutes trois et viennent rapidement à bout de la culture, la raison et la sagesse qui, elles, nous laissent tranquilles la plupart du temps.
Nous embarquons dans la gov de Chris, bonne racaille débonnaire du 18ème, qui a en sa possession LA BMW de dealer par excellence : la série 3 berline de 1994. Vous couplez ça avec sa gueule d’Antillais pas commode et ça vous donne du contrôle de carte grise/maglite dans les châsses une fois sur deux. Sur la banquette arrière de cet appeau à kisdé : il y a mon pote d’enfance Eric, franco-algérien au blair proéminent et aux sourcils tracés au posca noir, Nagib, modèle réduit italo-éthiopien charismatique et cinglé, et José donc, petit portugais jovial, disquetteur de bonne facture. Saupoudrez tout ça de votre Bardamu hollando-belge et vous obtenez le négatif d’un shooting street de Benetton sur lequel Manuel Valls et Brice Hortefeux se paluchent en costume nazi.
Après la traversée d’un Paris jaune comme une maladie de foie, Chris se gare dans les sinuosités désertes du bois. La petite équipe descend du véhicule et remonte vers le coeur de l’activité. Eric, en promeneur avisé, met son casque de scooter sur la tête… « on ne sait jamais » nous confie-t-il. Progressivement nous entrons dans une autre dimension où un démiurge siphonné propose son bestiaire infernal de part et d’autre de la rue. Le vice qui s’étale devant nos yeux est d’une étonnante pureté. Les travelos frétillent leurs corps indéfinis devant des grappes de caillera beaucoup trop aimables au vu du caractère androgyne de la situation. Ici tout le monde semble avoir deux sexes, pour autant on est assez éloigné d’un ballet aquatique d’hippocampes. C’est bouche bée que je me retourne vers mes comparses. Eric lâche un « truc de ouf » absorbé en dodelinant du casque de scooter. Il avait bien raison de se parer de ce heaume moderne, moi aussi j’enfilerais bien un scaphandre pour plus de sûreté sanitaire.
Le truc le plus édifiant est sans doute le nombre étonnant de ghetto youth qui sont là à louvoyer parmi les trans et les trav comme s’ils avaient affaire à des meufs trop bonnes de clips ricains. Pourtant le dress code 2000 est respecté avec minutie: le croco sur les vestes, la Reebok royale sur les pieds, la cicatrice sur les arcades, mais la bite cherche à se soulager dans un cul ou une bouche d’homme. Non pas que je condamne intrinsèquement ces pratiques, c’est juste que de les voir si prégnantes dans le milieu en théorie si viril de la voyoucratie bas de gamme m’interpelle. Passé les quelques minutes de stupéfaction nous commençons à nous bidonner doucement… car voir une grosse caillera manufacturée disparaître dans de sinistres fourrés à la suite de Rosalita est franchement poilant.
Quant aux travelos… on ne peut pas s’empêcher de les fixer. Ils vous incitent à les suivre d’un sifflement, se dandinent avec leur musculature à la Van Persie, se battent comme des épaves de troquet, se remontent le bustier, vont pisser debout… Des machines humanoïdes protéiformes engorgées par trop de fonctions pour que ça marche vraiment bien. L’incongruité de leur apparence est gênante, on se demande s’ils ne payent pas deux trois saloperies d’une ardoise antérieure, d’une vie d’avant qu’ils auraient bien foirée. La réalité est vraisemblablement plus simple : leur âme, pas moins pure que la nôtre, ne s’entend pas avec le corps qui leur a été alloué. Et dans l’exiguïté des jugements moralisateurs de l’espèce humaine, c’est une malédiction.
Le tableau est totalement dénué d’innocence, ça suinte le sperme frustré et le transsexuel mal fendu. Eric, Chris, Nagib, José et moi on se balade bien groupé, on est bien curieux aussi. Eric, toujours casqué, m’accompagne derrière les broussailles pour visualiser la magie des coulisses. Nous marchons à pas de loups parmi les feuilles, l’herbe, les capotes et les seringues. Nous sentons instinctivement que nos semelles de baskets deviennent séropo par simple contact avec le sol maudit. Nos détecteurs de mouvements signalent deux ombres qui s’enfilent sans tendresse au pied d’un arbre. Le trav assure la presta courbé comme une équerre. Il nous remarque et assène de véhéments « pas rester »… « partir ». Nous nous exécutons, hilares, en rejoignant les autres.
Nous reprenons le chemin de l’automobile comme une petite famille qui reviendrait d’une cueillette de champignons. Sur le chemin du retour nous croisons un travelo isolé des autres. Défoncé à je ne sais quoi, ce dernier titube avec son sac à main et ses bas filés. Notre stupidité post adolescente nous rattrape et nous invectivons l’hermaphrodite de quolibets empruntés au calendrier chrétien : « Wesh Jules »… « Gustave, bien ou bien? ». Celui-ci est rompu à toutes ces avanies mais notre insistance a raison de sa tolérance : il plonge la main dans son sac et en sort un calibre qu’il pointe vers nous, l’équilibre pas sûr.
Chacun d’entre nous ravale bien prestement sa salive moqueuse et manque de déposer un gros caca apeuré dans le caleçon. On se carapate comme des cafards derrière des abris de fortune. Pendant de nombreuses secondes j’ai tenté d’évacuer, en vain, un cliché sur la Une du Parsien avec pour légende: « Un mort et deux blessés graves tombent sous les balles de Salvador Baranco, un prostitué héroïnomane du Bois de Boulogne ».
Terrés en attente du coup de grâce, une sirène de police met fin au début de fait divers. L’inverti épicène range son gun en toute quiétude. Quatre keufs de la BAC descendent de voiture sans accorder d’attention au tireur fou et se dirigent vers nous pour un contrôle d’identité. Le trav, pas bégueule, tente de nous sauver de la maréchaussée. « Ils z’ont rien fé, sa va. ». Incroyable comment tout le monde s’accorde en genre et en nombre pour lutter contre les représentants bleutés de l’État.
Après une fouille énergique et des formules de politesse de médecin légiste, les chtars se détendent un peu. On discutaille tous ensemble comme de sympathiques concierges à l’entrée d’une porte cochère. Mais au fait, chers îlotiers, où sont les vrais putes avec de vrais oestrogènes dedans? « Ah mais il n’y en a pas au Bois… Faut aller jusqu’à Porte Dauphine. ».Sourires… on remercie chaudement la BAC de ce renseignement précieux et les deux groupes se quittent bons amis, mais pas trop quand même parce qu’on a une déontologie scarla à respecter. Je ne sais plus trop qui brisa le silence avec une question létale.
Bien sûr il nia en bloc, tança les keufs incompétents, se débattit contre les apparences, se défendit d’être un sodomite… rien n’y fit, il prit au bas mot deux mois fermes de brimades sur les bancs du 18ème. Et pour tous ceux qui connaissent ces ambiances conviviales de rues populaires, vous savez que le taux de pénibilité du supplice est élevé. La remise de peine est rare et en cas d’absence suspecte, la condamnation peut s’alourdir.
On ne sut jamais vraiment si José s’était fait reluire le colosse par un homme ou par son imagination, toujours est-il qu’on se remémore parfois cet épisode comme de vieux combattants édentés. La sale BM de Chris a rejoint une casse de narco-trafiquants, Nagib s’est bien calmé en embrassant la foi, Eric vient à peine d’enlever ce fameux casque… Quant à moi ce périple me reste en mémoire comme un souvenir heureux bien que poisseux, avec une vision bien distincte d’un groupe d’amis soudé qui slalome entre les bas résilles résignés et les libidos dérangées.