La Skumu

« Je vais à la musculation » et « je vais mater le DVD d’Anne Roumanoff » sont peut-être les deux seules activités pour lesquelles votre interlocuteur ne pourra pas s’empêcher de penser que vous êtes complètement con. Ayant pratiqué les deux, j’ai décidé de continuer la muscu.

Pour faire un peu passer la pilule j’ai une sorte de discours préformaté que je sers régulièrement à qui de droit: « je pratique le foot et le basket, la muscu c’est un complément ». Ce n’est que partiellement vrai. J’ai toujours secrètement voulu offrir à mes partenaires sexuelles le même dénivelé musculeux qu’affiche Brad Pitt dans Snatch. Dans le film c’est un putain de gitan sexy, et il y a un moment précis où il retire son tee shirt avec trop de style juste avant de se taper dans une grange. Le body est parfait, le relief du buste tranchant comme un skatepark.

Nous, les types avec des corps de lâche, on a tout de suite pensé: « Ah l’bâtaaaard ».

Vous les meufs, vous avez tout de suite pensé : « Je donnerais mon intégrale de Sex And The City pour qu’il joue avec mon clitoris ».

Vous les pédés vous avez tout de suite pensé : « Je donnerais mon intégrale de Queen pour qu’il joue avec ma prostate ».

Vous les zoophiles, vous avez tout de suite pensé : « Je ne donnerais jamais mon intégrale de 30 Millions d’Amis à qui que ce soit ».

Bref, personne n’est resté insensible.

Début d’année 2013, le chômage et les taros attractifs des nouvelles salles me décident enfin. Dès le premier jour je m’aperçois rapidement du caractère religieux de l’endroit. Le culte du corps y est célébré sur chaque machine, c’est discipliné, opiniâtre. Les faciès affichent des stigmates de douleur, la flagellation est consentie et autoadministrée. Ça impressionne un brin.

bardamu

Je m’insinue tout en discrétion et constate mon statut de non gradé dans la hiérarchie des corpulences. Sans amertume à vrai dire… ici le muscle est boursouflé, il réclame de l’air, il suffoque de turgescence. En observant autour de moi je me dis qu’il n’y a rien de plus inesthétique et de plus vain que de porter des poids sans que l’énergie dépensée à cet effet ne soit dévolue à une activité productive autre que de remplumer sa propre carcasse. Encore que… ici et là il y a quelques vraies silhouettes qui s’entraînent, sans doute comme moi, dans une logique de « complément » musculaire.

Je m’installe sans oser m’immiscer dans le carré VIP de la salle, celui des bancs. Ceux-ci sont solennellement disposés devant une longue glace. Une bonne quinzaine de bodybuildés se délectent de la torture qu’ils infligent à leur corps. Car oui, on se regarde quand on soulève. Ce qui peut paraître complètement stupide ou narcissique alors que, j’allais l’apprendre après quelques mois de pratique, se voir souffrir à la levée est un stimulant naturel. Il y a une franchise dans la musculation, le corps gonfle au fur et à mesure de la séance, autant profiter de l’effet immédiat.

Toutes ces salamalecs nous amènent ici : les poids. On pousse, on soulève, on tire des kilos. Le but du jeu est d’augmenter progressivement les poids. Ce qui donne lieu à des catégories croquignoles:

– Ceux qui chargent trop la monture : on les reconnaît aisément. Ils ont souvent le corps de Vin Diesel et la tête de Bernard Campan. Ils éructent, leurs yeux sont injectés de rage, les fibres musculaires se disputent entre elles et le cou disparaît au profit d’un rondin de chair. A chacun de leur mouvement la descente d’organe est plausible et il ne fait aucun doute que plusieurs milliers de neurones quittent le navire par ennui.

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– Ceux qui ne chargent pas du tout la monture : et c’est quand même un peu drôle. Quand une personne affiche un rictus de douleur quand elle soulève, à chaque bras, l’équivalent d’une brique de Danao à moitié consommée, c’est drôle et touchant. Ce qui est mon cas quand je fais les biceps, larchouma.

– Ceux qui prennent un abonnement et qui ne viennent que deux fois : spéciale dédicace à mes potes qui clopent et boivent du Jack depuis 15 piges et qui se disent « bon allez je me prends en main ». Mais l’exigence d’une remise à niveau du corps humain est une histoire de sérieux et d’assiduité. Comme  l’autodestruction au bistrot d’ailleurs. Les alcooliques sont des athlètes non reconnus par le comité olympique.

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Que mes codétenus du Fitness Park ne jugent pas trop sévèrement ces quelques mots taquins. Même s’il manque un peu de jeu d’esprit du côté de nos haltères et nos poulies, l’inverse est aussi notable dans les bibliothèques. Il n’est pas rare en effet d’y croiser des cerveaux entourés de livres écoeurants d’épaisseur, des cerveaux qui peuvent mettre bas d’absconses théories résolvant la dette extérieure de l’Afrique, mais des cerveaux mal défendus par des biceps  moelleux.
Peut être faut-il jumeler les deux domaines pour qu’après chaque entraînement une lecture de poème soit imposée ? Que l’élimination des graisses n’empêche pas l’apparition de la grâce.

 

Illustration: Lazy Youg

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