Supplément d’âme
Ça m’a pris sans prévenir, dans le métro. J’entamais un trajet de retour sans âme vers mon logement. La journée s’achevait autour des usagers qui ressassaient des choses derrière leurs yeux préoccupés. Je revenais d’une session d’écriture fructueuse où les mots s’étaient ralliés à ma cause sans trop de difficultés. C’est là qu’une ivresse inexpliquée m’a pris par la main pour un voyage de l’autre côté.
Je suis monté dans le wagon, transfiguré, tout mon être galvanisé autour de la sensation. Ce n’était pas une expérience sans précédent, un souvenir diffus somnolait dans les recoins de mon ossature. Les contours de la révélation qui déferlait étaient indistincts même si je tente ici d’écarquiller des mots pour la fixer. Ce n’était pas un sentiment de bonheur total, plutôt une délectable mélancolie face à la douloureuse mais prometteuse réalité de ce qui va nécessairement finir et de ce qui est encore à vivre.
Les stations se succédaient et mon émoi persistait. Mes projets étaient soudainement tangibles à l’horizon, il ne tenait qu’à moi de leur consacrer une juste énergie. Les difficultés de la vie apparaissaient comme des obstacles pertinents à ma propre construction, l’entrelacs des mes émotions et de mes expériences passées se dénouait avec une étrange facilité et fixait mon identité. Mon passage dans l’histoire des hommes ne serait peut-être qu’anonyme mais ma valeur en tant que personne était inaliénable, un être rond et indivisible électrisait désormais ma musculature. Les minutes, heures, journées à venir étaient désormais de radieuses promesses de vie où le temps m’éprouverait pour m’élever à la hauteur à laquelle je pouvais prétendre.
Je me sentais là, pleinement présent, en communion intuitive et animale avec le monde, ce qui peut sembler hasardeux quand on se trouve entre deux stations de la ligne 8. Et pourtant la trivialité même des circonstances semblait être le stimulus logique à une telle plénitude.
L’événement me quitta doucement au moment de la correspondance. Je ne m’en étonnais pas vraiment, l’évanescence de cette sublimation tombait sous le sens. La bulle qui m’avait enveloppé étaient maintenant dissoute et je me raccrochais à sa fraîcheur fuyante. Je repris progressivement conscience de ce qui m’entourait et mes sens me transmirent à nouveau les informations du réel.
En inspectant la sensation a posteriori j’en appréciais la puissance spirituelle et la valeur mystique. L’explication précise de ce rendez-vous chimique ne surviendra sans doute jamais mais sa densité n’en demeurait pas moins bouleversante.
De nouveau en lutte avec mon environnement et mes dilemmes, j’arrivai à mon domicile dans une langueur inhabituelle. Je mis la clé dans la serrure, rentrai dans la pièce à pas plaintifs avec l’étrange sensation d’avoir été dépossédé d’un pouvoir supérieur mais avec la satisfaction unique d’avoir pu en jouir un instant.
texte par : Bardamu
illustrations par : Lazy Youg