Bobby Shmurda, born in 2014

Depuis quelques mois déjà, la scène est inévitable : quel que soit la soirée dans laquelle on se trouve, à mesure que Jahlil Beats sonne l’alarme, les corps ne peuvent s’empêcher de se mouvoir au rythme des déhanchés désarticulés de la « Shmoney Dance ». Le phénomène est énorme, et l’engouement qu’il a pu susciter l’est aussi. En effet, avec plus de 60 millions de vues comptabilisées sur les deux publications officielles de son street hit « Hot Nigga » (avant et après VEVO), il est devenu pour ainsi dire impossible de se passer de Bobby Shmurda. Entre les rappeurs qui s’emparent chacun leur tour de son hymne à tel point que les remix pullulent, et même que le grand Jimmy Fallon le convie à performer dans son émission The Tonight Show, il a été un centre d’attention omniprésent médiatiquement, sans toutefois empêcher son personnage de susciter l’interrogation. D’autant que lorsque retombe peu à peu l’allégresse de notre « Shmoney Dance », le discours tenu par le jeune emcee dans son titre phare finit par se faire entendre, et aurait presque de quoi nous faire froid dans le dos.

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Hard as a motherfucker

« I’ve been selling crack since like the 5th grade »/« J’’ai vendu du crack depuis le CM2 ». La phrase est lâchée, violemment, et parait tellement invraisemblable qu’on pourrait douter de sa véracité. Et pourtant, le Bobby Shmurda est formel : il était bel et bien impliqué dans quelques histoires de trafic à cet âge d’apparence si innocent. Privé d’une figure paternelle, incarcéré alors qu’il est encore tout jeune, la famille d’Ackquille Pollard – son vrai nom – quitte sa Floride natale pour emménager vers la Grosse Pomme, à Brooklyn plus précisément. Là-bas, il ride sa ville avec ses frères ainés et leurs amis, tous plus âgés, en étant de tous les coups, les bons mais surtout les mauvais. A leur contact, le jeune Pollard développe une inquiétante précocité, vivant à seulement 10 ans d’aventureuses péripéties d’ados dans un environnement précaire : « J’ai grandi difficilement, parce que [mes frères et leurs amis] me disaient toujours de dégager, de ne pas rester avec eux, sauf que dès qu’il y avait de l’animosité avec d’autres jeunes, c’était moi qu’ils envoyaient combattre. Et je ne me défilais pas, j’ai combattu tout le monde, toujours des mecs plus âgés que moi. Je me suis endurci comme ça ».

C’est à ce même âge que commencent ses histoires de deal donc, mais également sa romance avec le rap, ce qui nous ramène à 2014 et « Hot Nigga ». Un titre qui transpire cette brutale précocité, laissant fleurir de la bouche d’un gamin ayant tout juste la vingtaine une forme d’apologie de la violence. La jeunesse et la violence, deux caractéristiques qui ont récemment contribué à faire le succès de la scène Drill de Chicago, et qui forcent logiquement la comparaison. D’autant que le tube de Bobby Shmurda a également en commun avec le mouvement chicagoan des sonorités sudistes parfaitement assumées. Mais là, le rappeur se défend : « Je ne dirais pas que mon son est du même type que la Drill, puisque j’ai commencé à rapper ainsi bien avant d’entendre parler de Chief Keef et des autres rappeurs de Chicago. De plus, je voyageais sans cesse vers le Sud pour voir mon père qui était incarcéré à Miami. Du coup, à chaque fois que je revenais à New York, je mettais les gens au courant de ce qui était chaud là-bas, et c’est comme ça qu’on a commencé à mélanger le style du Sud avec le nôtre ».

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Avec Chief Keef, l’initiateur de la « Shmoney Dance » partage aussi une spontanéité commune qui, depuis quelques années, semble réussir à tous ceux qui agissent ainsi. En ce sens, le visuel de « Hot Nigga », tourné à même les rues de Flatbush sans le moindre artifice, n’est pas sans rappeler les vidéos de « Love Sosa » ou « I Don’t Like » dont la démarche semblait similaire. Au regard de tous ces éléments, on constate que Bobby Shmurda a su en peu de temps dompter quelques-uns des paramètres favorables à son éclosion – volontairement ou malgré lui – au point d’être adoubé par bon nombre d’icônes du genre (Jay-Z, Raekwon, Beyoncé, etc.) et d’être rapidement amené à parapher un juteux contrat avec la maison de disques Epic Records.

Être entendu, être écouté

Et pourtant, jusqu’à ce qu’un second titre phare et un projet solide ne viennent nous prouver le contraire, Bobby Shmurda ne demeure ni plus ni moins qu’un simple phénomène viral. Et lorsque qu’on se penche sur les derniers artistes ayant eu à porter ce statut, le constat n’a pas de quoi éclaircir l’avenir du new-yorkais. Trinidad Jame$, Kreayshawn, Cash Out, YC, ou plus récemment OG Maco ; tous ont en commun d’avoir vu l’un de leurs titres agiter les réseaux sociaux au point d’agir en accélérateur dans leur ascension. Sauf que depuis leur heure de gloire, le premier a été largué par Def Jam et les suivants se sont éclipsés aussi soudainement qu’ils sont arrivés. De ce marasme collectif, seul YG a su réellement mettre à profit cette exposition aussi grande qu’éphémère, à la différence que lui pouvait se targuer de disposer d’une solide crédibilité bien avant que Vine ne s’empare de son single « My Nigga ».

Dès lors, on peut se demander ce qu’il en sera de Bobby Shmurda. Surtout quand l’on sait que l’accueil qu’a reçu son second single « Bobby Bitch » n’a pas tout à fait été à la hauteur d’un « Hot Nigga », et ce bien que la qualité du titre ne soit pas nécessairement à remettre en cause. Saura-t-il concrétiser l’effervescence qui s’est développée autour de sa personne en une sérieuse carrière ? Parviendra-t-il à se séparer de son étiquette de phénomène viral pour devenir un personnage respecté de sa discipline ? Là où l’histoire ne se souvient des premiers que comme de simples bourdonnements que l’on a vaguement entendus, elle glorifie les seconds en de véritables artistes dont les morceaux sont littéralement écoutés.

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Qu’à cela ne tienne, le rappeur quant à lui, affirme avec fermeté ne pas être un « one-hit wonder » : « J’ai entendu que certaines personnes disaient que j’allais être un one-hit wonder. A chaque fois je me dis, « Si tu penses que « Hot Nigga » était chaud, alors il faut que tu saches que j’étais encore en train de m’amuser là ». Donc si tu veux que je m’y mette sérieusement… Dieu m’a envoyé un signe. D’où je viens, les gens n’arrivent pas jusqu’où j’en suis ». Désormais confronté à de nouveaux défis qui ne sont que la suite logique sa fulgurante progression, le new-yorkais semble décidé à saisir l’opportunité qui lui est offerte aujourd’hui, et qu’il sait exceptionnelle. Reste maintenant à savoir si cela suffira.

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