Chronique d’album : Booba – D.U.C

Booba a sorti son nouvel album (D.U.C.) il y a maintenant quelques jours. C’est un évènement pour le game, aussi bien pour les haters que pour les fans. Pour les meufs aussi puisque des statuts énamourés bourgeonnent (« Booba est beau. Point final. »).

Mais qui est Booba finalement? « Notre Jay-Z » entend-on parfois… La longévité de sa carrière est inédite dans le rap français. 20 piges protéinées qui comprennent des classiques à la pelleteuse, des interventions télévisuelles d’autiste, des pecs huilés à l’Isio 4, une collection de punchlines inestimable et quelques cadavres de rappeurs français dans le jardin.

Pour un fan de rap français, Booba est, ou a été, une référence. Les septuagénaires de 35 ans « ne le supportent plus », les kids le trouvent « chaud » et les grands mères « le reconnaissent car elles l’ont vu à la starac ».

 

 

Le début de l’album envoie de la trap de malfaiteurs (« D.U.C », « Tony Sosa », « Bellucci ») et ça reste très bon jusqu’à « Mon Pays » inclus, une déclaration d’amour/haine envers la France où quelques phases nostalgiques affleurent (« Loin est le temps du silence n’est pas un oubli », « Les retours zombie de boîte de nuit/ Perdu dans le cul d’une ghanéenezer de la rue Saint Denis »). Finalement c’est assez rare quand Booba se livre et ce morceau efficace affiche cette plus-value. À chaque album il y a bien quelques fulgurances intimes (l’Afrique exsangue, les potes disparus), mais elles boivent la tasse dans un océan de « 92i », « lambo » et autres « uzi ».

À ce titre l’évocation de sa « petite fille » est un heureuse nouveauté. On souhaite à Luna bien du courage pour exister dans une discographie étincelante de misogynie, son papa étant quand même programmé pour couvrir les femmes « d’or et de semence ».

 

Booba-D.U.C-5

 

L’écoute se poursuit, et rapidement deux morceaux gênants se faufilent dans nos tympans: « All Set » avec Jeremih, dont la prod dance/pop rappelle les heures les plus sombres de Jul, et G-Love avec Farruko, qui lui est un manifeste Reggaeton un peu étrange. Bon… Les phases sont là comme d’hab mais c’est plutôt indigeste.

Il est temps d’ouvrir un chapitre spécial:

 

La Variet Caillera :

 

Que s’est-il passé quand Booba a découvert l’autotune ? Venait-il de regarder un documentaire animalier sur les bébés Panda ? Qu’est-ce qui explique ce moment de faiblesse que nous payons encore aujourd’hui ? Car s’il se targue d’être toujours en phase avec son époque, il use et abuse pourtant d’un procédé technique que 95% des cainris ont abandonné. Ceci étant dit, il nous a gratifié par le passé de petits bijoux du genre (« Tombé Pour Elle », « Jimmy ») qu’on pourrait qualifier de Variet Caillera ; une appli que Doc Gyneco avait brillamment inauguré sur Première Consultation.

 

Booba-D.U.C-1

 

Une chanson de Variet Caillera se singularise par des paroles assez poivrées (insultes et saloperies en tous genres) chantonnées en toute innocence ; un peu comme si Patrick Juvet ou Joe Dassin lâchaient du « fils de pute  » et du « nique ta mère » à longueur de mélodie. Cette réappropriation de la variété française avec un glossaire urbain est assez jouissif mais flirte fréquemment avec le ridicule chez notre Booba autotuné. Preuve en est les toutes premières paroles de l’album, autotunées donc, qui sont : « étoiles et constellations ». On dirait le début d’allocution d’un prédicateur Inca au pied du Machu Picchu. Le fou rire n’est pas loin.

Les morceaux de l’album les plus concernés par ce label de Variet Caillera sont « Loin D’Ici », « Mon Pays » et « Jack Da ». Ce dernier, qui parle des femmes avec un raffinement particulier, ne manque pas d’épices sémantiques bien troussées:

« Le coup de rein la fera revenir/ Laisse tomber ta garde »
« Mon poto m’dit qu’t’es cheum mais j’suis alcoolisé »
« Tout ce qui est petit est mignon/ Rien de mignon chez moi »

 

       Nous parvenons au dernier tiers du D.U.C. qui est fourni en bonnes bastos (« Billets Violets », « Ratpis », « Mr. Kopp », « 3G », « OKLM »…). Mais le point d’orgue, le 14 juillet de l’album, ou le 11 septembre, c’est bien sûr « Temps Mort 2.0 » avec Lino. Nos deux meilleurs rappeurs gaulois croisent le mic comme des légendes de la mythologie greco-romaine. Lino, qui n’a jamais lâché le ter-ter du rap nerveux, est en grande forme avec une musicalité exemplaire et des punchlines énervées (« Musique émasculée prise dans la masse de tubes/ Comme quand Edward Aux Mains D’Argent s’masturbe », « Le soleil pionce la lune devient ma lampe de chevet », « J’ai foiré tous mes examens j’réussis l’alcootest »). Booba quant à lui nous balance en drive by rhyming son meilleur couplet depuis un bail. Hyper motivé au vu de l’adversité, il reprend ses guibolles de 20 ans pour fondre sur le beat comme une buse sur un mulot. Ça fait un bien fou que nos pendules de rap francophone se mettent subitement à l’heure comme un iPhone après un vol long courrier.

 

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Au final pas de surprise, D.U.C. est bien un album de Booba avec toujours les mêmes thématiques d’homme des cavernes:

 

1. Je suis plus fort et plus riche que toi espèce de boloss au RSA:

« Encore quelques millions et je ne sais plus qui tu es »
« Nique sa mère courir pour être à l’heure au taf »
« J’baise la propriétaire/ Tu lèches la chatte de la voisine »

2. Je rappe mieux que toi espèce de sac à foutre du rap:

« Dans ce rap game niquer des mères ça me rémunère »
« Ils ne remplissent que le bataclan/ Leur fanbase tient dans la boîte à gant »

3. Je suis un gars de la rue qu’il ne faut pas tester parce que si tu me testes c’est chaud:

« Calibré jusqu’au menton tah middle east »
« Quelques negros à terre il n’a fallu qu’une seule moto »

 

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Tout ça est un peu débile. Et pas forcément bien foutu non plus d’ailleurs, il a du mal à tenir un thème sérieusement, les punchlines s’enchainent souvent sans queue ni tête, les sons pourraient s’arrêter une minute avant ou une minute après ça ne changerait rien… Et ce n’est pas grave, le D.U.C. est un blockbuster musical, une tranche de jambon avec la couenne, un divertissement goût cholestérol. C’est immoral au possible, réactionnaire, UMPiste même, mais il exprime, avec son génie du sens de la formule, tous les fantasmes les plus inavouables et répréhensibles du mâle occidental :

– Dominer son prochain par le pouvoir et l’argent.
– Baiser des putes à tour de bite.
– Défourailler en cas de contrariété.

 

Il est aussi drôle et spectaculaire dans ses phases les plus gerbantes (« Personne a les yeux bleus chez nous à part un huski » ce qui est clairement raciste, ou le polémique « Ai-je une gueule à m’appeler Charlie ? Réponds moi franchement/ T’as mal parlé tu t’es fait plomber/ C’est ça la rue c’est ça les tranchées »). De fait, écouter ce disque, comme tous les autres du même auteur, est un défouloir fantastique, un karaoké satanique auquel on s’adonne en dansant les bras en l’air avec un verre rempli d’alcool fort. Le D.U.C. fourmille une nouvelle fois d’aphorismes racaillo-burlesques déclamés avec un flow impeccable qui renvoie 92% des rappeurs français en classe de neige.

 

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En bref, pour ceux qui veulent du sérieux allez bouquiner du Proudhon ou du Aristote bordel, nous on se bute à Booba, et si t’es pas content on te « tire une balle grosse comme un gnocchi dans le larynx » juste avant d’envoyer notre « jet privé au Mexique pour un tacos ».

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