Cahiips : du Sheguey Squaad au 77, trajectoire d’un surdoué de la rue

Lorsque Gradur et le Sheguey Squaad étaient à leur zénith, la gloire, la reconnaissance et l’argent lui tendaient les bras. Et puis, plus rien à part peut-être un arrière goût amer d’inachevé. S’ensuit alors ce qui pourrait s’apparenter à une traversée du désert. Mais comme bon nombre de ses illustres prédécesseurs, l’homme noirci des pages et des pages de paroles, prenant tant bien que mal, ces maux en patience. Certain de son talent et perfectionnant son art, un jour après l’autre. Pour tout dire, Cahiips est fier et fougueux, comme les Lions de son pays, et après avoir pas mal bourlingué entre le Nord et la région parisienne, l’artiste s’est enfin posé en périphérie de la ville des Lumières pour se réinventer à l’ombre d’une industrie qui, pendant un temps lui fit les yeux doux sans vraiment le regarder.

 

Photos : @mamadoulele

 

Pour rentrer directement dans le bain, peux-tu nous dévoiler ton premier contact avec le rap ?

Ce sont  des grands de chez moi qui m’en ont fait écouter. Pas leur propre musique mais plutôt des sons du Secteur Ä, NTM et les premiers rappeurs médiatisés. Moi je suis né en 1991, donc si tu fais le calcul, à cette période je devais avoir 6/7 ans, ça te resitue la scène rap de l’époque…et c’est avec cette musique là que j’ai grandi. Finalement, à force de kiffer ce que j’entendais, j’ai commencé à m’y mettre mais c’était bien plus tard, en 2005.

 

Comment tu définirais ton rap ?

Comment ? Wow…terre à terre. Le truc aussi, c’est que je n’ai pas eu l’occasion de m’exprimer comme je le voudrais. Mais bientôt ça va changer car il y aura beaucoup de sons qui vont choquer les gens. Y’aura un changement, un virage que je vais prendre dans la forme…mais impossible pour moi de changer le fond. Comment ça se traduit ? Bah je vais prendre plus de risques, tout simplement. Les thèmes ne changeront pas mais peut-être que je les rapperais d’une façon différente. Je vais me mettre en danger, avec les risques que ça comporte.

 

Ça tombe bien, parlons de ta consommation musicale. Niveau rap, qu’as-tu bien pu écouter qui te fasse changer ton approche de rapper ?

Je vais pas te cacher que c’est seulement depuis ces deux dernières années que j’ai ralenti ma consommation de rap français. Ça coïncide avec le moment où je me suis « pleinement » investi dedans. Mais que ce soit clair, j’ai grandi avec le rap français.
Tu trouves ça étrange que ce ne soit pas le contraire concernant ma consommation de rap ? Ouais…c’est bizarre mais selon moi, ce que t’écoutes va trop influencer ta manière de kicker. Donc si t’écoutes quasiment que des rappeurs français, forcément tu vas rapper comme eux. C’est mon propre avis, et donc je me suis mis à baisser ma consommation de tout ce qui se faisait ici. Par contre, je suis quand même ce qui se fait, je ne suis pas fermé ou quoi, j’ai un œil sur tout ce qui se fait.
Au niveau du flow ? Y’a toujours des inspirations, c’est vrai, mais il y a tout le travail de personnalisation, avoir sa propre touche. Le mien change selon les instrus, mes humeurs ou ce que je vis au moment de poser un texte. Mais honnêtement, je ne saurai te l’expliquer, c’est quelque chose qui vient naturellement chez moi.

 


« Demain je peux te faire un son Trap et le jour d’après du Boom bap new-yorkais. Je considère que je n’ai pas de limites »


 

 

Justement, tu pointes du doigt un phénomène assez symptomatique de la scène rap depuis quelques temps, cette impression qu’une grande partie des protagonistes ont le même flow. Ce n’est pas forcément dommageable, vu que ça a l’air de marcher pour eux. Il n’y a plus ce « devoir » de se différencier selon toi ?

Je ne sais pas. Si je devais analyser ce que je fais, je dirai que j’aime cette musique. Je n’ai pas peur de tester de nouvelles choses, si l’instru s’y prête. J’ai écouté plusieurs styles, je ne suis pas fermé : demain je peux te faire un son Trap et le jour d’après du Boom bap new-yorkais. Je considère que je n’ai pas de limites.

 

Tu as baigné dans la musique dès le berceau car ton père était musicien. Est-ce que tu penses que c’est quelque chose, avec le recul, qui a étoffé ta panoplie en tant qu’artiste ?

Je pense. Mon père est un grand amateur de Jazz et j’ai grandi en écoutant cette musique à la maison. Certainement que ça m’a influencé et que musicalement je suis plus ouvert. Mais ça, quand t’es jeune, ce n’est pas quelque chose que tu vois tout de suite. Le temps d’assimiler ces sonorités, de digérer ce bagage musical…je pense que ça a joué dans la musique que je propose aujourd’hui. Mais je vais pas te mentir, je n’écoute plus de Jazz depuis très longtemps.

 

À quoi ça ressemble de grandir dans le 59 (département du Nord) ?

C’est un peu comme partout. Lille se classe dans le top 10 des villes les plus peuplées de France, donc il n’y a pas vraiment de différence entre Paris…et les autres villes d’ailleurs. En ce qui concerne la musique, il n’y pas vraiment de rap « régional », on écoutait les rappeurs les plus médiatisés. Après, c’est vrai qu’il y eu quelques mecs de la région qu’on écoutait mais on écoutait plus la scène parisienne, tout simplement.

 

Le département a définitivement été mis sur la carte du rap grâce à Gradur. Du moins, il a popularisé et mis un coup de projecteur sur le Nord. Quand tout a explosé en terme de notoriété, là ba, comment vous viviez ça ?

Ah mon pote, j’ai vécu ça comme une bénédiction dans le sens où je me suis dit « Enfin ! » Quand Gradur a vu sa cote monter de plus en plus, pour ma part cela faisait déjà huit ans que je rappais. J’attendais donc ce moment depuis longtemps et on en a profité comme il fallait à ce moment là.

 

Mais vous, rappeurs nordistes, sentiez-vous que c’était par le biais de Gradur, plus qu’un autre, que vous réussiriez à être sur le devant de la scène ? Que c’était le moment ou jamais pour percer ?

Franchement…(il soupire, ndlr) autour de nous, on avait pas forcément les mêmes chances que lui pour y arriver, pour être totalement honnête. Pour mon cas personnel, je sentais qu’il pouvait faire la différence. En plus de ça je faisais parti de son groupe « Sheguey Squaad », et ça changeait tout à mes yeux. Déjà il faut savoir que ce groupe s’est constitué naturellement. On se connaissait depuis des années et je soutenais Gradur dans tout ce qu’il entreprenait, même quand il a commencé à rapper. Quand ça a commencé à marcher pour lui, il a voulu monter un groupe alors il m’a appelé…j’étais content parce qu’il n’avait pas oublié.

 

Et des années plus tard, comment analyserais-tu son évolution ? Est-il resté fidèle à lui-même ?

Je ne vais pas te mentir, son dernier projet je l’ai survolé mais pas assez pour donner un avis. Par contre, Sheguey Vara vol.2, c’était un projet qui lui ressemblait vraiment. Faut savoir que Gradur a toujours été quelqu’un de très éclectique, il écoutait de tout et je trouve ça bien car ce qu’il fait aujourd’hui lui correspond aussi.

 

La vie étant ce qu’elle est, vous vous êtes un peu éloignés l’un de l’autre, pourtant tu n’as pas hésité à poster son dernier projet sur les réseaux sociaux en incitant tes fans à aller l’acheter. Sans parler de fidélité, c’est assez « fair-play » de ta part d’avoir fait ça. C’est aussi une manière de dire que ce que vous avez vécu et partagé ensemble a été quelque chose de fort ?

Ça c’est sûr. C’est certain, même. On était au quartier et du jour au lendemain on se retrouve au Bataclan, on se retrouve à rapper sur Skyrock, à Canal +…ce sont des trucs que je ne pourrais jamais oublier de toute ma vie. Surtout que ce n’est pas comme si à l’époque je faisais déjà quelque chose. Ok, je faisais mes petits clips sur le côté mais ce n’était rien comparé à ce qu’on a vécu à ce moment là. Ça a complètement bouleversé nos existences et ma carrière. Je ne pourrais jamais cracher dessus.

 


« Comme on dit chez nous, « ton pied, mon pied ». Tant que je continuerai de rapper, je représenterai toujours les mecs derrière moi »


 

 

Et puis, tu bouges du Nord pour le 77 en région parisienne. Pourquoi ce move ?

J’essayais de fuir une routine mais en même temps ça a été un choix réfléchi par rapport à ma carrière aussi, je ne te cache pas. Le fait d’avoir de grands studios d’enregistrement à proximité, d’avoir des radios comme Skyrock ou Générations à portée de main, et vous-mêmes ! Ça joue, c’est plus facile en terme d’évolution professionnelle.

 

C’est intéressant cette « phobie » de l’inertie. En tant que mec de banlieue je sais que c’est facile de ne pas aller voir ce qui se passe ailleurs. Le confort qu’apporte son quartier, ses potes…Toi, tu t’es très vite affranchi de ces « barrières » en partant par exemple au Cameroun pour poursuivre une carrière dans le foot.

J’avais 20 ans, je sortais d’un échec aux examens pour la deuxième fois d’affilé et je ne voulais pas rester à trainer dans la rue. J’ai donc profité de cette occasion pour retourner au pays pendant six mois et cette période a été très enrichissante mentalement. En allant là bas, le but était de me faire un CV, d’apprendre, de m’améliorer. C’était la cinquième fois que j’allais au Cameroun, la seule différence avec les autres fois c’est que j’y suis resté plus longtemps et que j’y suis allé sans mes parents. À part ça, j’étais rodé, je connaissais les quartiers et leur façon de vivre. J’étais comme un poisson dans l’eau. Le fait d’y aller pour un projet sans que ce dernier se concrétise n’a pas altéré l’expérience, au contraire, j’en garde un bon souvenir. Qu’on le veuille ou non, pour un enfant d’immigrés africains, ce continent représente l’avenir.

 

Tu m’as dit que tu avais déménagé pratiquement dix fois au cours de ta vie. D’où vient ce désir de changement ?

Tu me croirais si je te disais que c’est même pas quelque chose que j’ai décidé ? La plupart du temps, c’était avec la famille que je suivais. Jusqu’à aujourd’hui.

 

Paradoxalement, dans ta musique et dans te visuels, on a cette sensation que tu as un besoin de te revendiquer à un groupe, un endroit voire un état d’esprit.
Est-ce important pour toi, cette notion d’appartenance ?

Non, je ne dirais pas ça. Comme tu peux le savoir, dans les quartiers il y a grande solidarité donc je me dois de représenter les mecs autour de moi qui eux ne rappent pas. Parce que derrière, en coulisse, le public ne sait pas forcément ce qu’il se passe mais ces gars là, à un moment ou un autre ils m’ont aidé, soit en m’inspirant, etc. Et vice versa, comme on dit chez nous, « ton pied, mon pied ». Tant que je continuerai de rapper, je représenterai toujours ces mecs.

 

Paradoxalement, il y a aussi ce rejet ou ce désir de ne pas se mélanger à d’autres groupes. On retrouve plusieurs allusions de cet état d’esprit dans tes textes. Est-ce que selon toi, le rap de banlieusard est différent du rap « parisien » qui lui se voudrait plus rassembleur et unifié ?

Je ne suis pas fermé non plus mais je pense que rester « en famille » est la meilleure chose à faire. C’est mon avis. Si tu regardes bien, j’ai fait pas mal de feats « familiaux » dans le sens où c’était soit avec des proches à moi soit avec des proches de proches à moi. Si demain je peux faire une connexion avec un artiste que je ne connais pas forcément mais que ça peut m’apporter quelque chose artistiquement ou en terme de stratégie, pourquoi pas ?
Pour en revenir à la scène parisienne, moi je ne fais pas de différence parce que je trouve qu’il y en a pas. La seule chose que je pourrais dire c’est qu’il y a beaucoup de monde dans le périmètre…du coup le niveau est élevé parce que ça crée de l’émulation.
À côté de chez moi y’a Ninho, tu montes un peu plus haut t’as Djadja & Dinaz et à côté y’a Niska.

 


« Le rap devient du business quand tu commences à faire des vues sur ton compte YouTube ou quand tu commences à faire des showcases et qu’il y a de l’argent en jeu »


 

 

Un pote à moi appelle ça de « l’inceste intellectuel » parce que vous avez les mêmes goûts, les mêmes délires et tout. Sur du long terme cela peut générer une stagnation voire une régression. T’as pas peur de t’enfermer dans une sorte de « communautarisme musical » ?

C’est vrai que ça peut être dangereux sur du long terme, je le reconnais… Mais ce n’est pas forcément figé. Si l’un de nous évolue dans le bon sens, ça devient profitable pour les autres et on évoluera tous.

 

En terme de carrière, es-tu satisfait de ton évolution et de ton parcours ?

Oui et non. Oui, parce qu’il y a trois ans je ne me serai jamais imaginé être là où je suis aujourd’hui. Mais depuis ces deux dernières années, je me dis que je ne peux pas me satisfaire de cette position. Je pense que le destin y est pour beaucoup, pour le reste, c’est qu’une question de travail.

 

Cette question n’est pas innocente. Mon idée est de savoir et de comprendre pourquoi pas mal de rappeurs ayant tes caractéristiques ont « percé » ces dernières années alors que toi non ?

Franchement, même moi je ne pourrais pas te l’expliquer. Je voyais tout ça de loin et ça m’a frustré pour dire clairement les choses, mais le but n’est pas de jalouser les autres. Alors j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : il faut charbonner deux fois plus. Et puis, ça ne devait pas être mon heure, c’est tout. Comme on dit, chacun son destin…
Selon moi, est-ce que certains ont sucé pour réussir ? Si c’est par rapport à certaines phases que je rappe, faut pas le prendre au pied de la lettre. Sans langue de bois, je pense que oui. Mais la vérité, c’est qu’aujourd’hui les gens et le public s’en battent les couilles. C’est le business qui veut ça. Mais faut qu’on se dise une chose, c’est que la musique ce n’est pas le quartier. Ça n’a rien à voir…et ce sont des choses que, trois ans en arrière, je ne savais pas parce que je n’étais pas vraiment dedans. Maintenant, j’ai plus de recul par rapport à tout ça. Le business…ça en devient quand tu commences à faire des vues sur ton compte YouTube ou quand tu commences à faire des showcases et qu’il y a de l’argent en jeu. À partir du moment où tu deviens une valeur monétisable…ça devient du business et c’est pour ça qu’il faut faire attention à ce que tu fais et à ce que tu dis.
La musique est un monde particulier mais ce n’est pas un univers si compliqué. J’ai vu des gens que je côtoyais, percer du jour au lendemain, et ça, sans explications. Donc comment tu dois analyser ça ? Moi je pense qu’il ne faut pas se prendre la tête, il faut penser à la musique avant tout, et arrivera ce qui doit arriver.

 

En terme de projets et de travail, ça se traduit comment pour toi ?

Ça fait déjà quatre mois que j’enregistre et que j’écris, alors dès que je serai prêt, on sortira un projet. On a pas de date pour le moment alors on continue de bosser, on attend la bonne opportunité et ce moment se rapproche très vite.
Est-ce qu’on va créer un truc autour du futur projet ? Je ne sais pas, il faut demander à mes producteurs (rires). Non mais c’est sûr qu’on va bosser le truc, pour l’instant comme je te dis, on est encore dans la phase d’enregistrement et on continue de clipper. L’étape suivante n’a pas encore été planifié.

 

Qu’en est-il de ta relation avec les labels ? J’ai cru comprendre que tu as eu une histoire qui ne s’est pas forcément bien terminé avec Because Music.

J’ai eu des contacts en maison de disques au début quand je suis arrivé avec le Sheguey Squaad. Bon…moi j’ai mon avis sur les maisons de disques, les mecs font leur boulot et ce boulot se traduit par la rentabilité d’un artiste ou d’un projet. Eux, ils observent le nombre de vues sur ta chaine YouTube et ne veulent pas forcément faire du développement d’artiste. Ils arrivent quand t’es déjà prêt, ensuite tu deviens un produit et là ils te proposent à la consommation. Mais c’est leur boulot. Pour faire simple, j’ai pas envie qu’on croit que j’ai une mauvaise opinion d’eux…mais mon avis sur ces gens là n’est pas positif non plus ! La vérité aussi, c’est qu’ils sont utiles au rap français, il ne faut pas se mentir.

 

Donc si demain une maison de disque vient pour te signer, quel sera ton discours ?

Ahhhhh…faut qu’ils allongent le chèque. S’ils ne proposent pas une belle somme, qu’est ce qu’on va faire avec eux ? Allongez et je viens. C’est sûr que je ne vais pas signer en maison de disques s’ils me donnent rien du tout.

 

Donc admettons que trois labels te proposent un contrat, ton choix ira à celui qui te proposera la plus grande avance ?

Là tu me poses une colle… Je ne veux pas regarder que l’argent mais je pense qu’aujourd’hui le business de la musique n’est pas vraiment stable. Si demain je signe, je ne veux plus me prendre la tête, je veux simplement penser à mon confort car pour moi c’est le plus important. Ça représente 50% de mon choix…

 

Ne trouves-tu pas que c’est ce qui pousse les rappeurs à signer des deals qui, sur le long terme, ne leur est pas bénéfique ? Ma question est de savoir si tu serais plus enclin à signer pour le plus gros chèque ou pour le meilleur projet artistique ?

C’est une question de feeling aussi. Rien qu’au regard du directeur artistique qui veut te signer, tu sens si le mec a confiance ou pas et tu sens s’il croit au projet ou pas. De ce point de vue là, l’aspect financier passe au second plan mais bon… J’ai pas envie de vous mentir en vous disant que je rappe parce que c’est ma passion et que je fais ça juste pour le kiff de rapper. Non. J’aime cette musique, je fais ça avec passion depuis mes 14/15 ans mais aujourd’hui j’en ai 26 et dans le monde où on vit, l’argent est le nerf de la guerre.

 

On a l’impression que c’est pas mal de musique « fast food » de nos jours, ceci étant dit, j’aimerai savoir quelle est ta rigueur de travail ?

Je me prends pas la tête lorsque j’écris, par contre je réfléchis beaucoup aux thèmes. Parce que ce sont eux qui vont t’orienter et influencer ton écriture.

 

Pour avoir écouté tes textes, on a trois thèmes qui se dégagent vraiment : la bicrave, la violence et le quartier. Je me fais l’avocat du diable en voulant savoir si ce schéma thématique n’a pas été vu et revu et si, tu n’as pas l’impression que vous êtes beaucoup trop sur le même créneau ?

Je te cache pas que ce sont des trucs que je ne calcule même pas… Mais comme je le disais tout à l’heure, au niveau de mon orientation musicale, je n’ai pas eu la possibilité d’exploiter tout ce que je pouvais faire. Les sons qu’on catégorise comme « commerciaux », j’en ai fait il y a deux ans mais ce n’est jamais sorti. J’ai testé des choses avec une autre approche artistique mais je pense que pour ce genre de morceaux, le timing fera toute la différence.

 


« Je me rappelle que la première prod que Punisher a fait, c’était en 2010 et c’est moi qui rappe dessus »


 

 

Dis moi que tu ne parles pas de « Zumba » ?

Jamais… Tu veux savoir ce que j’en pense ? Déjà il faut faire la distinction entre la Zumba et l’Afro trap et comme je me suis jamais posé la question, il faut que j’y réfléchisse. Mais pour toi, c’est quoi la Zumba ?

 

Pour moi ? On inverse les rôles là c’est ça (rires) ? Je dirai que c’est une formule musicale applicable à tout type d’artistes potentiellement urbains et sans réelle honnêteté musicale. C’est aussi le moyen le plus rapide pour se faire un billet grâce au streaming, aux showcases et aux chichas.

Après faut les comprendre hein (rires). Moi je me sens plus proche de l’Afro trap, j’en ai déjà fait d’ailleurs mais si je dois en faire plus, ça me gênera pas. Ce n’est pas se travestir que de faire de l’Afro trap et j’ai surtout pas envie que le public croit que je suis quelqu’un de fermé musicalement.

 

Pour reparler de musique, j’aimerai qu’on s’attarde sur le cas Mr. Punisher, car il y a une vraie alchimie entre vous. Comment s’est crée cette connexion ?

Ça fait dix ans qu’on se connait, on a grandi ensemble. On a également rappé dans le même groupe. Il a décidé de quitter le Nord pour la région parisienne et ça, quatre ans avant moi. Il s’est fait ses connexions et a réussi à mettre un pied dans le game. Je ne te cache pas que c’est lui qui m’a motivé à continuer de rapper et même de venir le rejoindre ici en 2014. À cette époque, il me connecte avec l’équipe Golden Eye d’Oumar Samaké et grâce à ça je fais un feat avec Dosseh sur le morceau « Faut qu’ça chie ». Punisher, c’est mon frère, en vrai… Des fois quand on s’appelle, je lui dit que le chemin qu’on a parcouru depuis nos seize ans, c’est quand même quelque chose de fou. Parce qu’il y a dix ans, quand ça parlait de musique, pour nous c’était rien de plus qu’un rêve. Aujourd’hui on a de quoi être fiers.
Il faut savoir qu’à la base, c’est via un membre de sa famille qui faisait des prods sur FL Studio que Punisher – à force de le voir bidouiller derrière son écran – s’est lui aussi mis dedans. Je me rappelle que la première prod qu’il a fait c’était en 2010 et c’est moi qui rappe dessus. Il bossait avec beaucoup de samples à ses débuts et, petit à petit il a progressé et il est devenu celui qu’on connait maintenant.

 

Il t’a aiguillé un peu sur comment agir en arrivant sur la capitale ? Qui tu devais capter, avec qui connecter, etc ?

Bah il m’a plus ou moins indiqué la marche à suivre en me présentant la team Golden Eye. À cette époque, il faisait des prods pour Joke et Dosseh alors ils leur faisaient écouter mes sons. Les premières fois, ils n’ont pas vraiment été réceptifs, les fois suivantes non plus et puis un jour Dosseh a vraiment accroché. Tout ça c’était en parallèle avec le Sheguey Squaad, peut-être deux ou trois mois avant que j’intègre le groupe. Tout est allé très vite d’un coup.

 

Tu as d’autres producteurs de prédilection ?

J’aime bien Benjay Beatz, ZEG P et Yorogliphe qui a fait la prod de « C’est risqué », d’ailleurs c’est Punisher qui me l’a présenté. À part ça, il y a aussi Xmaridine et BDR Prod, un ami à moi qui vient lui aussi du Nord et qui a fait des prods pour XV Barbar, PSO Thug et Ikbal. Je me rends compte que j’ai une équipe assez restreinte parce que j’aime pas trop m’éparpiller non plus. Si je peux me limiter à quatre ou cinq beatmakers ça me va parce que je suis sûr de mes beatmakers, j’ai confiance en leur taff que je trouve assez complémentaire. Avec eux j’ai trouvé ma couleur, donc à quoi bon aller chercher ailleurs ? Mais si demain un mec m’apporte une prod que j’aime bien, je ne vais pas la refuser. Par contre, si un jour je me retrouve en galère de son, je sais qui appeler.

 

 

On a presque fini. Dans un texte tu dis « Je manie les mots, j’étais le dernier en lettres », « le savoir est une arme, j’ai mon 9mm, j’ai jeté mes livres ». Encore une thématique qui revient souvent dans le rap en général.
Sans rentrer dans la philosophie de comptoir, on sait que les rappeurs ne sont pas des modèles, par contre on sait aussi qu’ils influencent les plus jeunes et les faibles d’esprit. En tant que père, quel est la valeur de ce message ?

C’est quelque chose que je ne dirais pas à mon fils. J’espère même que lorsqu’il grandira, notre vie sera beaucoup mieux, c’est le désir de tout parent. Après, c’est tout le paradoxe du rappeur…ça nous arrive de dire des trucs à chaud. Je prends l’exemple de « Bibi Boy », c’est moi ! Je parle vraiment de moi mais dois-je pour autant le cacher même si je sais que dans cinq ou six ans j’en aurais honte ? Pas par rapport à moi, mais par rapport à moi fils.
À quinze ans quand il voudra faire un truc mais que je lui interdirais, il pourra me dire « mais toi tu le faisais bien avant dans tes clips ! » En tant que rappeur j’y pense des fois, souvent je ne calcule pas.
Le rap occupe beaucoup la tête des plus jeunes, et j’essaie de faire attention à ce que je dis…depuis mes débuts d’ailleurs. Dans certains textes je dis que la rue n’est pas forcément un endroit à glorifier. Loin de là.

 

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