Capo Plaza, âge tendre, tête dure
Il y a quelques jours commençait la tournée de Ghali, figure majeure – la plus pop – du rap d’Italie. En première partie, un jeune artiste de son label Sto Records rappe des chansons que le public connaît déjà par cœur. Capo Plaza n’a en effet rien à envier à son patron, ni en termes de vues YouTube – qui se comptent en dizaine de millions – ni en termes de records Spotify. Il n’a que 20 ans mais son premier album sorti pour son anniversaire en avril 2018 fait déjà résonner les angoisses de ceux qui sont hantés par la peur de vieillir trop vite.
Il est devenu presque insignifiant de rappeler le jeune âge des artistes aujourd’hui, tant cette génération de post-adolescents a déjà prouvé l’intensité et la pertinence de leurs courtes expériences de vie. Dans cette industrie qui tourne à vitesse éclair, la jeunesse n’est plus un argument de concurrence. Capo Plaza lui, n’a qu’une chose en tête : la protéger à tout prix. Né en 1998, le rappeur a dégainé cette année un premier album qu’on pourrait déjà ironiquement qualifier d’album de la maturité.
Le 20 avril, le jour de ses 20 ans, le rappeur ouvre son album avec un morceau éponyme (« 20 ») en clamant « Avant tout, je ne suis qu’un enfant, je viens d’avoir 20 ans. » Il met ainsi un holà clair à l’industrie, aux journalistes et aux potentiels jaloux : hors de question que ceux-ci fassent passer son temps plus vite qu’il ne devrait passer. Hors de question aussi de lui rappeler que sa jeunesse est éphémère. Le jeune rappeur revendique deux fois plus, comme une provocation, l’idée d’insouciance avec un triptyque de sujets assez classique : fumer des joints, explorer son monde et faire son chemin sans écouter personne.
Biberonné à la trap US, l’artiste commence à écrire à 13 ans, avec la sincère conscience de ne pas avoir encore beaucoup de substance, mais assez d’émotions pour exploser. Trois ans plus tard en 2014, il écrit encore, il trap même, saisi par la frénésie de son temps. Car au même moment, les nouvelles têtes qui composent aujourd’hui la nouvelle scène rap italienne semble arriver avec grand fracas. Le jeune Luca d’Orso – de son vrai nom – envoie à ce moment ses sons à qui veut bien les entendre. Sfera Ebbasta, un des talents les plus avancés dans cette course, sent le truc. Une semaine plus tard, Luca et Sfera sont à Milan et enregistrent. « C’est mon fils » : c’est ainsi que Sfera Ebbasta le présentera sur ses réseaux. De là naît une amitié qu’ils qualifient tous deux de fraternelle. L’entrée dans la cour des grands est incontestablement royale.
Sto Records, label des histoires
Depuis cette rencontre, la détermination du rappeur est plus que jamais infaillible. Il ne veut rien entendre ni du temps qui passe, ni de la difficulté du milieu. Tous ses morceaux abordent le fait d’avoir un objectif et de tout faire pour l’atteindre sans aucune excuse. Rien ne semble pouvoir faire obstacle à cette philosophie. Il n’aura pas fallu attendre longtemps alors pour le voir signer chez un label significatif. Le 11 décembre 2016, Capo Plaza annonce son arrivée chez Sto Records, fondé par Ghali. Si on aurait pu s’attendre à une signature chez BHMG (le label de Sfera Ebbasta) au vu du coup de pouce de lancement de carrière, l’identité du rappeur reflète l’image de son label.
Comme Ghali, Luca a dû quitter sa ville natale pour trouver à Milan ce qu’il manque à l’aboutissement de ses rêves : l’effervescence et la structure.
À l’instar de Ghali, Capo Plaza cultive une image sensible et moins clinquante que Sfera et son Billion Headz Money Gang. Capo Plaza distille dans cet album des références à son intimité qui laissent entrevoir une vraie profondeur. Brute, la sensibilité du jeune rappeur est perceptible dans ses textes à l’apparence simple mais au méta universel. Sto Records semble être le label des histoires similaires, de jeunes plein de rêves qui partent dans la grande ville de Milan pour conquérir le monde, non sans pincement au cœur. Comme pour Ghali, Luca a dû quitter sa ville natale, Salerne, pour trouver à Milan ce qu’il manque à l’aboutissement de ses rêves : l’effervescence et la structure.« On est plein à trainer en bas des immeubles et à passer notre vie à fumer parce il n’y a juste rien d’autre à faire dans nos petites villes […] À Salerne, on ne m’aurait jamais pris au sérieux. »
Les gens du label Sto Records témoignent de cette histoire de la jeunesse qui refuse de sacrifier ce qui la constitue au profit d’une norme ou d’une supposée condition pour le succès, qui ose prendre le large pour que plein d’autres n’aient pas à le faire, qui refusent les fatalités. « Salerne a ralenti mon processus », affirme-t-il, lucide, en interview. Mais l’artiste en a fait une force, surtout pas une faiblesse. Sans faire de politique, par le simple fait de mettre en musIque ces histoires du présent, son rap témoigne du souhait de changement de la dynamique sociale et un bouleversement des prérogatives. Capo Plaza représente ceux qui ne se contentent plus de leurs quatre murs et qui veulent façonner leurs propres mondes, conscients que les limites ne sont finalement que structurelles.
Derrière la simplicité des lyrics se dévoile tout de même un sentiment particulier propre à l’identité du jeune salernitain : la sensation d’être unique qu’il ressentait au fond de lui déjà enfant, à l’instar des jeunes enfants précoces. Certainement cette flamme qui brûle et qu’il lui a donné assez de jus pour oser bâtir sa réussite. Il écrit « Sto giù » (« Je suis au-dessus ») à l’âge de 15 ans. Son single « Giovane Fuoriclasse » – littéralement « jeune champion » – est triple platine et compte plus de 32 millions de vues. Capo Plaza provoque avec son jeune âge et sa confiance déroutante. Comme s’il voulait se convaincre lui en premier avant de convaincre les autres, tout en sachant que ce pouvoir il l’a déjà entre les mains.
Passée cette étape des sons égotrip balancés au compte-gouttes et validés par le succès public, Capo Plaza était enfin en mesure de proposer un album entier dans lequel il pouvait livrer plus du Luca sensible et moins du Capo Plaza qui ne parle que de son talent. Comme si les morceaux qui précédaient l’album avaient suffi à poser les arguments de sa victoire. Dans cette position où il n’avait plus rien à prouver à personne, il pouvait désormais balayer d’un revers de main tous les gens, et par extension la société, qui de façon circonstancielle, ne lui auraient jamais donné l’opportunité d’aller aussi loin.
Insoumis 2.0
Il se souvient dans cet album, le temps où il rêvait avec seulement 2 euros en poche. Capo Plaza rappe sincère, évoque des moments douloureux comme son déclic après avoir vu sa mère pleurer en face des juges venus pour lui et bêtises. Quatre mois difficiles s’en suivirent, à introspecter, jusqu’à ce qu’il traverse une prise de conscience violente de frustration. Le Salernitain avoue aussi être passé par une longue période de douloureux vide, avant que le rap ne le sauve. Il évoque l’école comme une prison. Des émotions à vif qui refont surface au moment où l’écriture devenait une contrainte.
La signature en label a fait que la création de l’album devenait en effet concrète. Très dur de s’y mettre alors, rempli de ces bouillonnements au fond du cœur. Ce n’est qu’une semaine avant le rendu officiel du projet que la plume se débloque. Rien avant, comme si la spontanéité de Capo Plaza avait été brimée dans ce processus industriel. Comme si la remontée de ses souvenirs était trop douloureuse. L’artiste confie en interview n’avoir jamais autant pleuré que lors de l’écriture de cet album. Il se souvient avoir fondu en larmes sur sa ligne « Je me souviens de ces palais, Salerne est tout » sur « 20 ». Autre morceau intime et aussi inattendu, « Forte e chiaro » qui évoque ses longues nuits d’éveil, angoissé et mélancolique. On retrouve aussi un featuring avec Ghali, « Ne è valsa la pena », et un featuring avec Sfera Ebbasta, « Tesla », l’œil rivé vers le futur. L’album a été numéro 1 des charts en Italie et les singles qui en sortent continuent de plafonner au sommet en suscitant la grande attente.
Il affirme haut et fort : « Je ne sais pas ce qui m’attend à l’avenir, mais je sais que je ne serai pas juste de passage. Ce n’est pas de la chance, c’est de la détermination. » Capo Plaza continue de foncer. Celui qui s’affiche dans une Maserati aux côtés de Ninho dans le clip de « Fendi » semble doucement trouver l’équilibre entre humilité, affirmation de soi et lucidité. Il ne sait rien de l’avenir à part que le prochain album sera surprise, autant dans la date de sortie que dans le contenu. Porté à la fois par les plus grands de la scène italienne et par sa témérité, Capo Plaza n’a pas fini d’écrire son histoire à la première personne, hors des narrations sociologiques habituelle.