Chris Macari : « J’ai voulu arrêter de clipper le rap français mais c’est plus fort que moi »

De nos jours les réalisateurs de clips ont acquis le statut de personnalités à part entière du paysage rapologique, des stars à la notoriété parfois équivalente à ceux qu’ils mettent en image. Dans ces nouveaux noms ronflants, Il est impossible de passer à côté de celui de Chris Macari. Un des pionniers du genre en France et sans aucun doute le plus reconnu des vidéastes du pays, Macari a tracé le premier un parcours inédit que beaucoup ont suivi depuis. Une carrière déjà bien aboutie qui l’a vu clippé des classiques modernes du rap français comme « 9.3 Tu Peux Pas Test », « Le Combat Continue III » ou « Zoo », mais aussi des artistes aux antipodes de cet univers tels que Princess’ Lover, Tony Parker ou Clara Morgane. Aujourd’hui âgé de 36 ans, le Martiniquais compte à son actif plus de 200 clips depuis ses débuts en 2004 et, malgré ses ambitions, ne songe pas encore à la retraite. Au lieu de cela, le diplômé d’école d’art prend son temps pour développer ses envies. Comme un symbole, c’est chez son loueur de matériel privilégié situé dans le 13ème arrondissement que CM nous donne rendez-vous pour cette interview. Une rare occasion pour celui qui se fait discret dans la vie d’en refaire le film entre sa carrière, l’inévitable question de son lien et de sa relation avec Booba, et son univers culturel et surtout cinématographique. Action.

Photos : @HLenie

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D’où te viens ce goût pour les arts graphiques ?

Petit, j’ai pris l’habitude d’observer les publicités. Ma mère me l’a d’ailleurs fait remarquer, elle me disait : “Tu ne regardes jamais les dessins animés, tu regardes toujours des films ou des séries.” Les pubs c’est comme des rêves mis en images et c’est ça qui m’a donné envie au départ. Je me suis intéressé aux dessins animés qu’après, avec Cosmocats, Les chevaliers du Zodiaque, et Ken le survivant. À la base, je dessine et je peins beaucoup. C’est quelque chose d’inné chez moi mais très peu de gens le savent. Depuis tout petit mes parents étaient très admiratifs de ce que je faisais en dessin et mon art s’est petit à petit mis à évoluer. Plus tard, j’ai fait une école d’art graphique, mais je n’ai jamais fait d’école de cinéma ou de production audiovisuelle. J’ai appris par moi-même en 2002-2003. On m’a juste donné les notions de bases sur After Effect à l’école.

Tes parents devaient beaucoup te soutenir quand tu as décidé de faire cette école. Quel métier tu voulais faire à ce moment-là ?

J’ai grandi aux Antilles et jusqu’à mes 18 ans je ne savais pas quoi faire après mon bac. Mon père était parti en stage à Paris et il en a profité pour me chercher des écoles en rapport avec les arts graphiques. Il en a fait le tour et m’a ramené beaucoup de prospectus. Parmi toutes les écoles qu’il m’avait choisies, il y en avait pas beaucoup qui me plaisaient mais je savais juste que je ne voulais pas rester aux Antilles et finir professeur d’histoire, rien de péjoratif. Du coup mon père m’a amené avec lui en France durant l’été 1998 et on a planifié plusieurs rendez-vous dont un à l’ESAG Penninghen où j’ai rencontré le directeur. À ce moment là, je savais que c’était là-bas que je voulais aller. Mon père était un peu perplexe mais étant donné que j’ai eu une mention au bac il a accepté de m’aider à payer l’école. Très vite, on est devenu juste financièrement. J’ai donc eu un rendez-vous avec le directeur, à la fin de ma première année, pour lui dire que je n’avais plus assez d’argent pour payer et que j’allais donc devoir arrêter. Alain Roulot, le directeur de l’ESAG, m’a offert la scolarité gratuite si je restais bien placé à la fin de chaque année, jusqu’au diplôme. Ça m’a donné un coup de boost et ça a renforcé ma motivation. Je me suis dit que j’avais la chance d’avoir des gens derrière moi pour m’aider et c’est ça qui m’a donné la rigueur que j’ai aujourd’hui dans mes vidéos.

« On ne peut pas dire que j’ai eu un mentor si ce n’est la chaîne BET et le réalisateur phare de l’époque Hype Williams. »

Quand tu sors de cette école qui n’est pas forcément destinée à former au clip ou au cinéma, à quel moment tu t’es rendu compte que tu voulais faire de la vidéo ?

En 1993, mon cousin, qui revenait en Martinique pour les vacances, m’a donné une cassette avec des sons du Wu-Tang. Je mets l’album et je me prends une grosse gifle. À l’époque j’écoutais beaucoup plus de dancehall ou de reggae que du rap. Trois ans plus tard, BET arrive aux Antilles ce qui me permet de me familiariser de plus en plus au rap et je me prends des gifles visuelles. Je passais tous mes après-midis à regarder BET à la télé. Bien évidemment ma mère me gronde parce qu’elle trouvait que les rappeurs étaient de mauvaises influences. C’est comme ça que j’ai commencé à aimer l’image et les clips vidéo, du Wu-Tang à Busta, tous ceux que Hype Williams leur faisait. Je me disais qu’avec After Effect j’allais essayer de faire ce que les Américains faisaient, c’est à dire jouer avec la couleur, l’étalonnage…

Ce que tu me décris se passe vers 2004. À cette période où tu commences à faire des clips, il n’y avait pas beaucoup de réalisateurs connus. C’était plus des collectifs mais il n’y avait pas de place pour l’individualité et pas de considération pour les vidéastes hip-hop.

Au début, je ne pensais pas à l’argent, je voulais juste rendre des projets de bonne qualité qui se rapprochent un peu de ce que font les Américains. J’avais juste mes parents qui m’aidaient de temps en temps mais je n’avais rien de sûr. Malgré tout, j’ai toujours voulu m’accrocher à mon rêve et au fond de moi je savais que j’allais réussir parce que je faisais tout pour. J’ai découvert mon métier sur le tas, au début j’y allais un peu à l’aveugle.

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Avais-tu un mentor à ce moment-là ?

En 2002 j’ai fait un stage chez Fokal, ils copiaient vachement les clips US et je voulais vraiment apprendre le métier de réalisateur mais je me suis finalement retrouvé à être graphiste… Sur la touche quoi. On ne peut donc pas dire que j’ai eu un mentor si ce n’est la chaîne BET et le réalisateur phare de l’époque Hype Williams. J’essayais de m’inspirer sans plagier. Dans mon travail, je me souviens qu’au début ce qui touchait le plus les gens c’était la qualité de l’image et la gestion des couleurs car à l’époque la HD n’existait pas encore. Quand je faisais les clips pour Rim’K ou Mokobé on me disait déjà ça. J’essayais vraiment de récupérer ce que les Américains nous enseignaient. C’est le clip de « Made You Look » de Nas, réalisé par Benny Boom qui m’a donné le déclic. Je suis un vrai fan de rap et à cette époque Nas était en clash avec Jay-Z. J’étais fan de rap new-yorkais et Nas n’arrêtait pas de sortir de nouveaux sons et des albums comme Stillmatic ou God’s Son. Forcément, quand j’ai vu le clip de « Made You Look », je suis devenu fou.

On pense forcément à Hype Williams en tant que pionnier des clips de rap. Quelles sont tes autres références cinématographiques ?

J’ai beaucoup regardé les films de Spike Lee, j’ai vu Do the right thing en 1989 et ce film m’a beaucoup inspiré. Il y a aussi Antoine Fuqua avec Training day. Je suis très ancré dans ma culture, j’aime beaucoup tout ce qui concerne la culture afro-américaine. Malgré tout, je ne suis pas fermé, j’écoute et je regarde de tout. À un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’arrive à montrer que les Noirs n’étaient pas seulement bons qu’à être sportif, comique ou musicien. Il peut y avoir de bons journalistes, de bons réalisateurs… Inconsciemment, je me suis forcé à devenir celui que je voulais être.
Pour revenir à mes influences, mon film préféré est Man on fire. C’est dû à son image générale du film : le montage, le rythme, l’acting… Le film est très « clippé » et c’est ce que j’adore. Ça me fait aussi toujours très plaisir de voir Denzel Washington en tête d’affiche d’un film. Je me dis putain enfin un « Renoi » qui y arrive. Les gens vont peut-être se dire que j’aime que les trucs de « Renois » mais encore une fois je ne suis pas du tout fermé. Mais ça me fait plaisir de voir que notre culture avance.

https://www.youtube.com/watch?v=yqs0y-xX3BY

C’est à cause de réalisateurs comme Hype Williams que tu as décidé de poser ton nom sur les vidéos ?

Quand j’ai commencé, je signais juste avec le logo de Tchimbe Raid Productions, c’était le nom de ma société à l’époque. Avant ça, quand j’ai fait « Trafic de stéréotype » pour Despo j’avais fait une animation dessinée de moi en train de mettre une capuche et j’avais mis mon nom dessus. Après réflexion, ça ne me convenait pas parce que je souhaitais rester discret. En 2009, quand Booba m’a contacté pour faire « Game over », il m’a demandé de mettre mon nom au début de la vidéo. Il m’a dit mot pour mot : « Il n’y a pas de « Renoi » en France qui fait des beaux clips. » Les seuls où il n’y a pas mon nom c’est « Ma couleur », parce qu’il y a des images qui ont été tournées par d’autres personnes, ainsi que « Comme une étoile », parce qu’on ne voulait que rendre hommage à Brams, paix à son âme. À chaque fois que tu vois mon nom au début d’un clip de Booba c’est qu’il qui me l’a demandé. C’est comme si je faisais un featuring avec lui [rires, ndlr]

« À un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’arrive à montrer que les Noirs n’étaient pas seulement bons qu’à être sportif, comique ou musicien »

À partir de 2006 c’est le début de ta collaboration avec Mac Tyer. Comment un réalisateur comme toi qui faisait beaucoup de zouk arrive à se faire repérer par Mac Tyer ?

J’ai eu beaucoup de chance, ça s’est passé plutôt simplement. Quand j’ai commencé la vidéo j’ai créé mon propre site internet. Pour communiquer avec les gens, il faut que tu sois présent sur le terrain, j’étais donc obligé d’ouvrir mon site. J’étais en bons termes avec Princess Lover, qui est une amie, son ex-copain m’a contacté pour que je fasse des clips pour lui et son groupe. À l’époque, je gravais mes clips sur des DVD et je les donnais à des artistes. Un groupe qui s’appelle Hiroshimaa avec qui j’ai collaboré sur deux ou trois vidéos et qui était affilié à Tandem m’a contacté pour que je réalise leurs vidéos. Un jour ils m’ont emmené à leur studio à Saint Denis, où Mac Tyer et Mac Kregor enregistraient également. Je tombe donc nez à nez avec Mac Tyer et Mac Kregor, des mecs que j’écoute tous les jours dans le RER en allant à l’école. Je venais juste de faire le clip de « Juste nous » de Ali Angel, j’en profite donc pour le montrer à Mac Tyer. Il m’a dit qu’il m’appellera quand il aura besoin de clipper mais il restait un peu sur sa réserve pour ne pas trop me saucer. Je me souviens que ce qui les avait frappé c’est que je faisais tout tout seul. J’allais sur le tournage avec un pote, je montais, je faisais l’étalonnage… 6 mois après cette rencontre, Kregor m’appelle pour faire un clip en solo. Tyer était sur le tournage pour observer comment je fonctionnais. Après ça, il me contacte et me présente son projet de faire un clip entre la France et le Cameroun. Initialement on devait clipper « Ouais ouais », son titre avec Booba, mais finalement ça ne s’est pas fait pour des histoires de label, du coup on a fait « 93 tu peux pas test ». Ça a commencé comme ça.

Tu te rends compte de l’opportunité qui se présente et que ce clip va marquer le rap français ?

Non pas vraiment… J’étais tellement passionné par ce que je faisais que je ne m’en suis pas rendu compte, comme un mec qui venait de réaliser un clip sur un son qu’il kiffait. Je n’étais pas trop enthousiaste parce qu’après le tournage Tyer et le label nous demandaient de rendre le clip assez rapidement. J’ai passé des nuits blanches dessus, je ne me rendais pas compte du travail que je réalisais. Je ne suis pas tout le temps satisfait de ce que je fais. Lorsque Tyer a vu la première version, il doutait parce qu’on avait fait un visuel assez dirty et c’était du jamais vu en France. Il kiffait mais il appréhendait le retour du public. Quand c’est sorti, les gens ont pété un câble, le clip a buzzé et m’a permis de me faire un nom. C’était ma première fois en Afrique et c’était dingue.

Il y a des choses curieuses dans ton parcours. Tu as notamment bossé avec Clara Morgane.

Oui. C’était à une période où j’avais du mal à trouver du travail. Je faisais des vidéos à droite à gauche pour me faire un peu d’argent. J’ai posté mon CV sur un site internet et Antoine Laroche, qui travaillait chez 1 2 3 Multimédia, m’a remarqué et m’a fait passer un entretien. Il m’a dit qu’il faisait une émission hebdomadaire avec Clara Morgane et qu’il aimait bien mon profil. Le principe était de la suivre deux ou trois jours par semaine pour ensuite livrer un reportage la semaine suivante. Au début je pensais que c’était pour des films de cul mais il m’a ensuite expliqué que c’était pour la promotion de sa marque de lingerie. Je l’ai donc suivi dans des défilés, dans des séances d’essayages et autres. C’est une fille super cool et c’est une bosseuse qui se donne les moyens d’y arriver. J’ai fait ça pendant 8 mois avant que ça me casse les couilles. J’ai eu un différent avec un des membres de l’équipe et je n’allais pas filmer Clara Morgan toute ma vie.
Je me suis remis en mode charbon dans les clips et, par chance, c’est à ce moment que j’ai rencontré Mac Tyer. Tout s’est enchaîné très vite. Je ne suis pas resté bien longtemps sans ressource même si au début je ne mangeais pas beaucoup. Des clips comme « Trafic de stéréotype » ont coûté zéro euro. Je ne suis pas un mec qui gratte, c’est-à-dire que si je sens qu’il y a une opportunité à saisir, je préfère faire un clip gratuit dans l’esprit qu’ensuite d’autres artistes viennent demander mes services. Mais bon après faut taffer et assurer la plupart du temps sinon tu es vite out…

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Tu sais te créer des opportunités au bon moment. A priori tu serais à l’origine de ta première rencontre avec Booba ?

Oui et non. J’étais allé au Quai 54 un peu au culot avec mes cartes de visite. J’en avais donné une à Manu Key qui m’avait mis en contact avec Mokobé. A l’édition 2007 du Quai 54, tout le rap français était présent. Je me souviens que j’étais avec un pote et au début je n’osais pas les déranger. J’y suis finalement allé, je me suis présenté, j’ai laissé ma carte. Je l’ai donnée à Booba et il m’a répondu : « Ouais t’inquiète je sais qui t’es. » Je pense qu’il a dû la jeter ou la perdre. En hiver 2008, il y a 8 ans, Booba m’appelle et me demande si j’ai écouté son album, si je l’aime bien, mon son préféré… Et il me propose de clipper « Game over ». Il m’a par la suite avoué que c’est Manu Key qui lui a redonné mon contact.

Comment vis-tu cette première expérience avec Booba ?

C’est le tournant de ma carrière. Après « 93 tu peux pas test » et quelques que j’ai fait entre temps, c’est le clip qui a changé ma vie. Je me souviens que 0.9 est un album qui avait été incompris à l’époque. D’après ce que j’avais entendu Booba et son équipe n’étaient pas très satisfait de « Illegal », le clip qu’ils avaient fait juste avant. J’avais donc pour challenge de revenir aux sources visuellement. Je lui ai proposé de faire un clip inspiré des visuels que l’on peut voir dans le rap new-yorkais, avec beaucoup de contreplongées et d’autres éléments techniques. On a échangé nos idées, il a kiffé et c’est là qu’il m’a dit de mettre mon nom au début du clip. J’ai ensuite eu le culot de lui proposer de clipper « Salade, tomates, oignons » façon cuistot dans un grec. Je pensais qu’il allait être contre mais au final il a accepté. C’est donc comme ça que ça a commencé, on est parti de « Game over » et j’ai continué de travailler avec lui sur d’autres projets.

« Je ne suis pas resté bien longtemps sans ressource même si au début je ne mangeais pas beaucoup »

Comment peux-tu décrire Booba dans son travail. De notre point de vue, on imagine une personne très exigeante, autoritaire et perfectionniste.

Je ne dirais pas autoritaire mais quand il te demande de travailler sur quelque chose tu ressens toujours un minimum de pression. Il a eu une grande carrière et tu ne peux que respecter ça. Tu es obligé de donner le meilleur de toi-même et de redoubler d’efforts. C’est quelqu’un d’exigeant qui sait ce qu’il veut. Pourtant je m’amuse beaucoup avec lui, parce qu’il me ressemble dans sa façon de penser,visuellement aussi. On aime les mêmes genres de clips.

Quand tu as commencé à travailler avec lui, tu n’imaginais sûrement pas que vous alliez bosser ensemble 8 ans. Comment qualifierais-tu aujourd’hui ta relation avec Booba ?

On a une relation très simple. À l’époque de « Game over », on avait vraiment une relation professionnelle mais au fil du temps on a bien sympathisé. Au début je n’étais pas sur BBM (l’application de messagerie instantanée de BlackBerry), alors que lui oui, j’ai donc dû m’acheter un BlackBerry pour pouvoir lui parler. On a tissé des liens en discutant de musique, de cinéma. Quand tu travailles avec lui, c’est uniquement dans un cadre professionnel, mais une fois le travail terminé c’est toujours lui qui vient prendre de mes nouvelles et qui vient s’assurer que tout va bien. Cet été par exemple on a tourné deux ou trois clips pour prendre de l’avance sur son album Nero Nemesis. J’étais en mode charbon parce que je bossais avec d’autres artistes en même temps donc je n’avais pas le temps de communiquer qu’avec lui, et en plus de ça mon BBM bugait. Il a des enfants, son site OKLM, sa marque, je ne voulais pas l’embêter. Au final c’est lui qui m’a appelé en me disant : « T’as un soucis ? T’as disparu… » Ça me fait toujours plaisir quand il prend de mes nouvelles. Tout se passe naturellement.

« Au Quai 54, j’ai donné ma carte de visite à Booba et il m’a dit ‘T’inquiète, je sais qui t’es.’ Je pense qu’il a dû la jeter ou la perdre. »

On a l’impression qu’il travaille encore mieux avec ses amis.

Oui bien sûr. Tout est basé sur la confiance. Je sais que Booba a eu pas mal de gens qui lui ont tourné le dos, comme Kaaris et d’autres rappeurs, alors que c’est quelqu’un de très protecteur. Je ne dirai pas qu’il n’aime pas travailler avec d’autres personnes, il a bien conscience qu’il faut que moi aussi je fasse mes sous. Mais je sais que si un jour La Fouine ou Rohff m’appelle, il va être la première personne à me dire : « Mais wesh tu fais quoi ? ». De toutes façons, je n’irai pas faire des clips pour ces gens parce que j’ai eu des problèmes personnels avec eux. Ma relation avec B2O est basée sur la confiance et l’intelligence.

Peux-tu me parler de votre processus créatif. C’est lui qui te propose les scénarios et idées à chaque fois ?

Ça dépend vraiment du morceau. Je vais te citer trois ou quatre titres et t’expliquer la démarche avec laquelle nous avons abordé la réalisation du clip. Pour « Validée », Booba m’a donné le lieu et m’a expliqué de quoi la chanson parlait. À partir de ça, j’avais carte blanche pour réaliser le clip. Il y a d’autres clips comme « Une vie » où Booba voulait absolument tourner au Costa Rica. Il n’avait pas vraiment d’idée et je savais qu’il aimait beaucoup la science-fiction, du coup je lui ai proposé de faire un visuel dans le délire d’Avatar. Pour « Attila », on n’était pas trop inspiré donc on est allés sur un parking pour faire un « street clip ». 50% du temps, il vient avec ses idées puis je lui fait quelques suggestions et on attaque le clip. Il me laisse pas mal de liberté à ce niveau. Ces derniers temps, il m’a beaucoup demandé de lui proposer des idées. On croise nos envies finalement.

Finalement il n’y a pas vraiment de direction artistique ?

Ça dépend. Sur certains clips, il a une idée très précise du rendu final. Pour « Ma Couleur », il voulait qu’on projette des images de ses concerts sur un mur. Pour « Caesar Palace », il n’avait pas vraiment d’idée mais je voulais absolument faire un court métrage. Cette fois, il s’était plus occupé de la direction artistique des vêtements et le choix des voitures et moi du scénario. Quand on me demande un clip, peu importe l’artiste, j’écris toujours un synopsis, parfois des trucs de « oufs » mais faute de moyens ou par frilosité intellectuelle je réduis mes ambitions. Mais la plupart du temps quand tu as des clips courts-métrages comme « Caesar Palace », « Validée » ça vient de moi et de mon goût pour le cinéma donc c’est quelque chose que je fais souvent. À l’inverse, pour tous les clips « performance » ou « street clips », Booba sait déjà quoi faire, comment se placer, et gérer ses déplacements. C’est un mélange de nous deux.

A quelle genre de situation un peu inédites auxquelles tu as dû faire face sur un tournage avec lui ?

Il y en a eu tellement… Sur le tournage de « Double poney », il avait sa chaîne Tallac et à un moment il voulait faire des plans sans. Du coup il me l’a mise autour du coup pour que je la garde. Moi j’étais en train de taffer avec les caméras, j’aurais pu la casser. Sur le coup, je me suis dit : « Il est sérieux ou quoi ? » [rires]. On a eu aussi des petits accidents sur des tournages, notamment sur « Billets violets » où j’ai fini à l’hôpital après un malaise dû à un surmenage. Je sais qu’il a pris de mes nouvelles, ce qui m’a fait plaisir. Il est même passé à l’hôpital, qui aurait fait ça ? Je ne vais donner de nom mais à l’époque de « Double Poney », un rappeur concurrent m’avait contacté pour un clip et quand je lui ai dit que j’étais à l’hôpital et que je n’allais pas pouvoir le faire il s’est énervé. Avec Booba, il y a toujours des petits détails qui montrent que s’il te fait confiance, il sera là pour toi.

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Dans vos domaines respectifs vous avez tous les deux apporté quelque chose au rap français. Mais en tant que binôme, il reste un sentiment d’inachevé visuellement. Ne penses-tu pas sous-exploiter Booba, qui est l’artiste rap le plus esthétique et le plus populaire du rap hexagonal ?

Je ne ressens pas du tout ce sentiment d’inachevé… Parfois on a des idées mais on n’a pas forcément les moyens et le temps de les réaliser. Il faut aussi tenir compte des envies de l’artiste. Je dis sûrement une bêtise mais il n’a peut-être pas forcément envie de se voir dans une tenue d’astronaute en train de sauter sur la Lune. Lui a une certaine image, un certain standing aussi. C’est vrai qu’on pourrait essayer de plus s’amuser, je lui en ai déjà parlé. C’est pour cela qu’on essaye d’innover avec de nouvelles petites touches. Mais il a aussi une image à tenir, un univers à conserver et pas mal de contraintes qui se dressent devant lui. Il m’arrive d’être frustré parce que j’ai envie d’aller plus loin mais ça ne vient pas de notre collaboration.

Tu as beaucoup bossé avec Kaaris mais Booba reste l’artiste pour qui tu as réalisé le plus. Ne penses-tu pas que tu es en train de te fermer des portes ?

Avant de bosser avec Rohff et Booba, les gens me demandaient déjà ce que je ferais après avoir travaillé avec eux. À partir du moment où j’ai été appelé par Rohff et que j’ai commencé avec Booba, mon statut a changé, particulièrement à partir de Booba. Beaucoup de gens que je connaissais et que je côtoyais à l’époque m’ont tourné le dos, en me jetant la faute. Je ne sais pas comment expliquer ça. Pourtant je ne pense pas m’être fermé, la preuve j’avais des projets avec Youssoupha et d’autres artistes cette année. C’est très bizarre, mais en même temps on a enchaîné beaucoup de clips avec Booba : Lunatic, Autopsie 4, Futur… Je n’ai pas eu de répit pour pouvoir démarcher d’autres personnes. Il faut dire aussi que je ne cours pas après les artistes. C’est un milieu d’hypocrites et ma mère m’a toujours dit : « si les gens ne veulent pas de toi tu auras d’autres opportunités dans le futur. » Je sais que certains réalisateurs, producteurs ou artistes pensent et disent que je suis l’esclave de Booba… Mais si ils savaient ce que je pense d’eux, ils se tairaient vite fait bien fait [rires].

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Tu penses que cet état d’esprit est propre au rap français ou qu’il touche d’autres styles musicaux ?

Dans le rap il y a beaucoup d’hypocrites et certains rappeurs n’hésitent pas à l’écrire dans leurs textes. Mais après ce n’est que mon avis, je ne sais pas comment je suis vraiment considéré… J’entends juste des rumeurs. C’est « relou » quand même d’être au centre des mêmes ragots, je fais juste mon taf. Donc si Booba veut toujours travailler avec moi tant mieux, si d’autres personnes veulent aussi bosser avec moi, c’est encore mieux. Je ne me prends pas la tête. Je fais mon taf et si les gens ne veulent pas collaborer avec moi tant pis. Je ne suis fermé à personne. Il y a des personnes avec qui ça ne s’était pas bien passé il y a quelques temps, je ne vais plus travailler plus avec eux. Quelques mecs avec qui c’est mort. Ce n’est même pas qu’ils ne m’ont pas payé mais des histoires personnelles. Mort de chez mort.

Être engagé avec Booba émotionnellement et professionnellement c’est forcément être impliqué dans tous ses combats ?

Tu prends parti sans vraiment le faire mais tu te sens obligé car Booba me booste et m’aide beaucoup. Ce que je vais dire va peut-être paraître démesuré mais c’est comme dire à son frère adoptif de s’occuper de ses problèmes tout seul. Par exemple la dernière fois l’autre (Rohff) m’a défié à la radio de lui faire un clip. J’aurais pu répondre « Tu défies qui déjà ? Je te fais un clip si j’ai envie! » et « entre toi et moi c’est mort. »
Donc c ‘est quelque chose que j’accepte parce que ça fait partie du métier, t’es obligé. C’est dommage parce qu’il y a des artistes avec qui j’aurais pu m’exprimer à travers mon travail, mais je ne regrette pas, c’est inhérent au délire.

« Au début je n’étais pas sur BBM, alors que Booba oui, j’ai donc dû m’acheter un BlackBerry pour pouvoir lui parler. »

Justement, quand Rohff dit : “Regarde avant je travaillais avec Chris Macari on a fait quatre clips ensembles, quatre beaux clips ensemble… Aujourd’hui je ne sais même pas si Chris Macari a le droit de m’adresser la parole. Je le mets au défi de faire un clip de Rohff”. Comment tu réagis ?

Déjà j’aurais pu faire le mec arrogant en expliquant que je lui ferai un clip quand il aura un classique mais ce n’est pas mon délire, je ne suis pas comme ça. Je ne peux pas travailler avec lui, ça ne vient pas de Booba mais de moi personnellement. À l’époque on a eu une altercation verbale et c’est tout. C’est aussi un artiste compliqué, notamment en post-production. Il ne sait pas ce qu’il veut, il change toujours d’avis. Sur les quatre clips, c’est un peu compliqué…

Quand on parle de Chris Macari, une critique revient souvent, celle que tu travailles seulement avec Booba…

C’est dommage parce que j’ai pourtant essayé cette année de travailler avec d’autres artistes. Dans les maisons de disques, on me demande souvent pourquoi je travaille uniquement avec Booba sauf que c’est les autres artistes qui ne m’appellent pas. J’ai taffé avec Vitaa parce qu’elle aime bien mon travail et que c’est une artiste que j’apprécie, avec Youssoupha sur un de ses clips cette année, « Mannschaft ». Il voulait quelque chose de différent, un choc visuel. J’ai kiffé tourner ce titre avec Youssoupha, on s’est bien amusé. C’est une autre facette de sa musique.
Il ne faut pas que les artistes aient peur de venir vers moi parce qu’ils pensent que je ne travaille qu’avec Booba. Certes j’aime beaucoup bossé avec lui, je ne suis pas fermé à d’autres artistes, ça ne me dérangerait pas de faire un clip pour des mecs comme Georgio, Oxmo ou autres. Je suis réalisateur donc mon but est de mettre en image les idées des artistes. Après, il y en a certains qui viennent me voir pour des clips comme ceux de Booba alors que d’autres veulent l’opposé.

« Je sais que si un jour La Fouine ou Rohff m’appelle, Booba va être la première personne à me dire : ‘Mais wesh tu fais quoi ?' »

Je ne dirai pas que travailler avec Booba est un frein parce que grâce à lui j’ai eu plein d’opportunités et je lui serai toujours reconnaissant. Je pense que ce sont les « culs serrés » du rap qui se mettent ça dans la tête. Mais s’ils mettaient leur égo de côté et qu’ils me contactaient pour voir s’il y a possibilité de travailler ensemble, ils verront que je suis ouvert à beaucoup de propositions. Quand Youssoupha m’a appelé je lui ai tout de suite répondu que j’étais chaud. Je ne sais pas si Booba s’entend ou pas avec Youssoupha mais il sait très bien que c’est du taf donc il s’en fout. Je sais qu’il l’a vu. Il ne m’a jamais dit avec qui je dois travailler. Même sachant que j’avais bossé avec Rohff auparavant, il n’a jamais critiqué ou questionner mon travail.

Seconde critique qu’on entend souvent sur la simplicité de tes clips, certains disent même que tu ne cadres plus ?

Vous auriez dû venir sur un de mes tournages [rires]. Pendant toutes ces années, j’ai connu pas mal d’équipes techniques et de mésaventures. Dans la vie tu ne restes pas tout le temps avec les mêmes personnes, je sais qu’il y a pas mal de gens qui sont déçus parce que je ne travaille plus avec eux. C’est sûr que j’entends des trucs à droite à gauche.
Concernant le fait que je délègue le travail à d’autres personnes, je laisse juste le steadicamer faire le cadre tout en le guidant et le conseillant… On a des mecs qui sont spécialisés dans le steadicam donc forcément je ne vais pas le faire moi même. Si tu me dis qu’il n’y a pas de différence entre « Caesar Palace », « Une vie », « Tomber pour elle », « Validée » et « Bakel City », j’aimerais bien savoir qui taffe en France alors ? Presque tout le monde fait des clips quasi identiques… Laisse-moi rire avec ce genre de critiques à 2 francs. Certes on retrouve l’image de gangster de Booba mais ce sont des ambiances complètement différentes les unes des autres. Je me prends la tête honnêtement sur chaque proposition et je ne l’ai jamais fait autant pour un artiste. Quand Booba m’a dit qu’il voulait tourner « Tomber pour elle » au Brésil parce que la sonorité lui rappelait le carnaval de Rio, je lui ait écrit un synopsis et il a kiffé. Un synopsis à 90% comme je le voulais : l’entrée sur la mer en hélicoptère, la moto… Si c’est pas se prendre la tête…
Je suis toujours en stress avant de rendre un clip parce que j’ai envie que l’artiste kiffe. J’aime bien entendre les critiques parce que ça me donne un coup de pied au cul pour les prochains.

La dernière critique concerne l’irrégularité de tes clips, et la qualité d’image trop fluctuante.

Booba est un fan du grain du 5D. Beaucoup de ses clips ont été tourné au 5D comme « Caesar Palace », « Jour de Paye »… Avec la Red, l’image est lissée alors qu’avec le 5D il y a un côté un peu plus brut qu’il aime beaucoup. Forcément quand on passe d’une vidéo tournée à la RED où l’image est presque parfaite avec des effets spéciaux, à une autre comme « Attila », les gens remarquent la différence. Je ne réponds pas à la demande du public mais à celle de mon artiste. S’il me dit qu’il veut un clip sur un parking je ne vais pas lui dire non. Pour « Génération assassin », une semaine après avoir clippé « Validée » en Colombie, on a pris nos billets d’avion pour la Colombie et on a tourné un « street clip » à Rio. On s’en fiche de ce que les gens pensent. On ne peut pas plaire à tout le monde.

Pourquoi tu ne revendiques pas ce statut de réalisateur officiel de Booba ?

Je ne le revendique pas car je n’ai pas envie de faire le Skyrock à dire que je suis numéro un alors que c’est faux. Si Booba souhaite faire un clip avec d’autres réalisateurs, il le fait. Je suis son pote, il aime mon taf, moi j’aime beaucoup sa musique et on en reste là. On est sur la même longueur d’onde mais je n’aime pas revendiquer des trucs comme ça.

« Petite anecdote, ça fait longtemps que je voulais faire une vidéo près des volcans au Groenland ou en Islande avec Booba. On en a reparlé récemment et il m’a fait remarquer que Justin Bieber, PNL et Nekfeu ont fait un clip là-bas. Ça m’a bien fait rire. »

« Bakel City » et « Zoo » sont vraiment impeccable visuellement… À aucun moment, tu ne t’es rendu compte de l’impact qu’allait avoir ces clips dans le monde du rap ?

J’adore les sons agressifs et hardcores, ça me procure quelque chose. Quand Booba m’a proposé « Bakel City », il voulait une image street qui reflète la rue. J’ai juste fait mon travail de réalisateur en l’aidant à faire un clip dans cet esprit. Pour « Zoo » c’était la même chose.
Pour répondre à ta question, je ne réalise pas tout de suite. C’est une fois que je les regarde à nouveau ou que des amis m’en parlent que j’ai une prise de conscience. Pour « Bakel City », la première fois qu’il a été montré au public c’était à Bercy. À ce moment-là, j’étais en train de filmer la foule et les gens étaient bouche bée devant l’écran.
Pour « Zoo », il y a des scènes mythiques et pas mal d’idées qui viennent de l’artiste comme le truc avec le Ciroc à la fin. J’essaye de trouver de bons angles, et de bien cadrer l’image pour me faciliter la tâche au montage.

Il y a d’autres clips comme « RTC » où on a l’impression que tu n’es pas allé au bout de ton idée…

Ca, c’est votre avis… pas le mien. Sur « RTC » on filme tous les inserts à la RED et pour la scène dans la Lamborghini, je ne pouvais pas me trimbaler dans Paris derrière une moto à filmer avec ma RED donc on a dû ressortir le 5D. Je m’adapte aux situations. Après Il y a des problèmes de productions, de coût et autres… J’aurais bien aimé faire un Dark Knight et mettre Booba en Batman mais quand tu as le producteur qui a un budget limité tu ne peux pas te permettre d’excès à la réalisation donc on essaye de faire autrement.

Penses-tu que la majorité des clips de rap français se ressemble.

Je pense que les artistes pourraient se prendre plus la tête. Ils trouvent le gars capable de mettre en images leurs idées et il y a moins de travail de recherche pour le réalisateur. Quand je regarde certains clips trap c’est souvent la même chose. Je félicite le réalisateur qui les a fait, souvent William Thomas, une valeur montante des clips de rap mais il faut arrêter avec les clichés « drone + cité » Ça devient un standard et c’est dommage. Mais encore une fois, je sais que ce n’est pas tout le temps évident car tout le monde veut impressionner. Ils ont vu d’autres clips buzzer donc ils veulent leur part de gloire visuelle aussi. Pour en revenir à « RTC », une des choses qui m’a longtemps posé problème, c’est que les gens m’ont considéré comme un réalisateur low-cost capable de faire des trucs magiques.

C’est aussi une chose que tu as alimenté quelque part. Dans une interview en 2013, tu avouais continuer à faire des clips gratuits malgré ton statut et ton parcours.

Ouais c’est vrai mais c’est parce qu’il fallait bien que je me fasse connaître. C’est comme partout tu fais tes preuves… Crois-moi que les maisons de disques abusent de ce système avec pleins de réalisateurs encore et beaucoup plus maintenant. Je continue à en faire de temps en temps mais j’essaye de bien jauger et de bien choisir l’artiste pour qui je vais accepter d’en faire un gratuit. Si c’est pour un son où les mecs ne font qu’insulter les mères et qu’il ne me plaît pas je vais lui dire non. En revanche si tu as un artiste comme Despo à l’époque qui m’envoie un son comme « Trafic de stéréotype » où je kiffe l’instrumental et les lyrics, je vais accepter de m’investir et de prendre sur mon temps pour lui faire son visuel. C’est au feeling. J’essaye de faire la part des choses et d’aider quand je peux.

Le rap français peut être un milieu difficile : frilosité, manque d’expertise technique, problèmes d’organisation, manque de professionnalisme… Comment as-tu fais pour tenir aussi longtemps ?

Je ne sais pas je pense que c’est la rigueur de Penninghen qui m’a aidé. Pour que ma scolarité soit offerte, je devais à chaque fois rester dans les dix premiers, j’ai donc dû redoubler d’efforts et apprendre à être consciencieux. Je ne sais vraiment pas comment je fais pour rester aussi longtemps dans le rap. Parfois c’est dur, quand tu reçois des pseudos menaces d’artistes, quand tu en as certains qui veulent se battre avec toi parce que tu as refusé de leur faire un clip… Par moment ça me dégoûte de mon travail. À plusieurs reprises j’ai voulu arrêter et faire autre chose mais je suis passionné c’est plus fort que moi. Je voudrai bien aller plus loin mais pour l’instant j’aime toujours autant mon travail. Puis je n’ai peur de personne et j’ai la foi.

« Parfois c’est dur, quand tu reçois des pseudos menaces d’artistes, quand tu en as certains qui veulent se battre avec toi parce que tu as refusé de leur faire un clip… »

Tu travailles avec beaucoup d’artistes « street », il y a un côté brutal dans ce que tu fais. Pourtant tu te dis capable de bosser avec des rappeurs comme Georgio, Nekfeu, ou encore Oxmo Puccino.

J’ai bien aimé la série de trois clips qu’Oxmo a fait avec Seth Gueko, Georgio et Jhon Rachid. J’ai kiffé les trois morceaux que ce soit pour le choix de l’instrumental ou pour les lyrics. Ça ne me dérangerait pas de réaliser des clips sur ce type de son, ça me permettrait de m’exprimer d’une autre manière. J’ai kiffé l’image d’« Égérie », j’ai bien aimé tout ce qui est 3D avec les plans sur la ville. J’adore quand un morceau va bien avec le visuel.
Petite anecdote, ça fait longtemps que je voulais faire une vidéo près des volcans au Groenland ou en Islande avec Booba. On en a reparlé récemment et il m’a fait remarquer que Justin Bieber, PNL et Nekfeu ont fait un clip là-bas. Ça m’a bien fait rire.

Que penses-tu de la nouvelle école de réalisateur ?

Il y en a qui sont très bons, d’autres qui tendent à le devenir et d’autres qui copient beaucoup trop. J’admire beaucoup ce que fait Valentin Petit, il a d’ailleurs réalisé un des derniers clips de Nekfeu (7:77) J’aime bien les clips de PNL, c’est devenu une marque de fabrique, on les reconnaît directement. J’aime bien le côté « glidecam » avec les déplacement fluides, les ralentis. T’as Beat Bounce travaille pour Lacrim et même de pour. J’ai bien aimé son dernier clip pour SCH, « A7 ». Il y a William Thomas qui a beaucoup de potentiel et qui est très fort au montage. Tu as des nouveaux qui arrivent comme Spilly, il y a des anciens comme Charly Clodion…
Aujourd’hui tu ne peux pas faire un bon clip de rap sans un réel travail de montage. Des artistes choisissent des visuels très lents alors que leur son est rythmé et ça donne un résultat plutôt agréable. Nekfeu avait fait ça sur « Égérie ».
J’essaye de regarder ce que tout le monde fait et c’est cool de voir qu’il y a un certain engouement autour des réalisateurs. La plupart du temps on travaille avec des rappeurs alors qu’ils s’en foutent de qui on est, ils veulent juste un joli clip. J’ai eu de la chance d’être tombé sur un mec comme Booba qui me respecte et qui respecte mon travail mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

« Une grosse maison de production m’avait contacté pour un projet Fast and Furious à la française avec Sinik et La Fouine… J’ai dit non, ça ne m’intéresse pas. »

On attend toujours ta transition vers le cinéma que peut de réalisateurs de clips ont réussie, en plus tu bossais sur ton premier long-métrage La mort leur va si bien ?

En 2012, j’ai été contacté par mail pour la réalisation de ce projet de court. On  m’a présenté un scénariste avec qui on a écrit une histoire intitulée “Le Gang”. Un an et demi après on a tourné ce court métrage, à Aulnay, à Sevran et un peu partout, j’étais super content.

Lorsqu’on commence le montage de la vidéo, j’en parle à Booba qui était très enthousiaste pour moi au point de vouloir insérer un de ses sons comme musique pour le court métrage. Il m’a envoyé le titre et je vois qu’il s’appelle « La mort leur va si bien”.  C’est le titre qu’il me fallait !  J’étais tellement content que dans la foulée j’ai fait l’affiche. Ils mont demandé de faire un appel participatif, je ne suis pas producteur du film, on lâche un petit teaser… Malheureusement les producteurs, eux, voulaient finalement absolument faire un long métrage. Je n’étais pas chaud du tout. Ce n’est pas la même chose. L’intention n’est plus la même.

Pour répondre à ta question oui c’est sûr, j’ai envie de me lancer dans le cinéma, c’est un processus qui met du temps, je veux faire les choses bien et surtout par conviction.

On continue le tournage et on filme d’autres scènes. Plus on avançait, plus je sentais que la production commençait à s’éloigner du projet. Je commence à me demander si je n’aurais pas dû m’affirmer sur la question du court. Pendant 2 ou 3 mois je n’ai pas de leurs nouvelles, ils m’ont mis un autre monteur qui comprenait pas forcément l’idée du film, avant d’en mettre un autre mais les acteurs n’étaient pas forcément disponibles pour tourner les prises à refaire. Mais le court-métrage est prêt [rires].

Aujourd’hui on n’est pas en stand-by mais en pourparler et la situation est un peu compliquée. Pour répondre à ta question oui c’est sûr que j’ai envie de me lancer dans le cinéma mais je n’aime pas trop en parler parce que je n’ai pas la prétention de me dire réalisateur de cinéma.

« Je me casse la tête avec les synopsis, je devrais faire comme les autres, faire juste comme les autres… Mettre des images et c’est tout. J’écris des synopsis ! »

Quel genre de réalisateur voudrais-tu être toi qu’on qualifie de « street » ?

Je pense que je pourrai faire une histoire d’amour parce que je kiffe les comédies du style Crazy, stupid, love, La vie rêvée de Walter Mitty. « Street » ou pas ça m’est égal, l’essentiel est de raconter une histoire et de faire ce que tu aimes. Si je fais du cinéma je ne vais pas me contenter de faire que des films sur les cités, les banlieues… Je vais m’imposer vraiment des règles et de nouvelles façons de travailler. J’ai kiffé la préparation, la post-production, le tournage, j’ai vraiment appris autre chose avec La mort leur va si bien. Ça prendra le temps qu’il faut mais j’y arriverai. Il ne faut pas que les gens oublient que la plupart des réalisateurs qui réussissent n’ont pas 25 ans, mais plutôt à 50-60 ans. Morgan Freeman a eu son premier grand rôle à 35 ans alors qu’il fait du cinéma depuis qu’il a 20 ans.

Mine de rien tu as déjà une grosse expérience avec 10 ans de clips à ton actif mais le cinéma français est assez fermé. Penses-tu pouvoir te faire une place ?

Déjà il n’y a pas que le cinéma français… Je suis Français mais le monde est vaste… Si demain je gagne au loto, une grande partie sera dédiée à la production d’un film. Je pense être capable de réussir à toucher les gens. À l’époque du court-métrage, j’étais tellement enthousiaste que la vie m’a stoppé dans mon élan. Ça m’a permis d’acquérir une nouvelle expérience, de travailler avec de très bonnes équipes techniques, de me familiariser à de nouvelles méthodes de travail qu’il faut que j’applique à chacun de mes projets. Je suis de ceux qui pensent que si quelque chose ne fonctionne pas, toujours une autre porte s’ouvrira. Il ne faut jamais baisser les bras. Il n’y a pas de place à prendre, il n’y a que des places à se faire. Par contre une fois que tu as ta place, il faut la garder. Dans la vie il faut toujours chercher à s’améliorer.

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T’as déjà eu des opportunités pour bosser au cinéma ?

Oui j’en ai eu avec les gens d’une boite de production très connue. Ils m’avaient contacté pour un projet Fast and Furious à la française avec Sinik et La Fouine… J’ai dit non, ça ne m’intéresse pas.

Aujourd’hui de quoi est composée ton assiette culturelle ?

Chris Macari écoute beaucoup de salsa gangster comme Willie Colon. J’aime bien cet artiste parce qu’il a fait que des chansons sur la rue. Il parle de gangsters, de trafiquants, c’est de la « salsa street ». Depuis que je suis allé en Colombie, je suis retombé dans la salsa. J’écoute aussi beaucoup de musique de film, surtout de ceux comme Man On Fire où la bande originale est liée à l’image.
Après niveau audiovisuel, je kiffe tout ce qui est série : Narcos, Les experts Miami, j’ai honte de le dire mais je n’ai pas réussi à rentrer dedans car je n’ai pas eu le temps, je n’ai vu que le premier épisode… Au cinéma j’ai kiffé Prisoners.
Je ne sors pas beaucoup, je suis discret, un peu dans mon coin. J’écoute beaucoup de bandes originales chez moi. Parfois ce n’est pas bien car je pourrais découvrir des choses, mais je suis comme ça. Parfois, j’ai des potes qui m’engueulent car ils ne me voient pas souvent, mais je suis bien dans mon petit cocon. Mais j’ai recommencé à sortir, je suis allé voir l’expo de Paps Touré et j’ai kiffé, j’aime bien ce qu’il fait en photo ; ou encore d’un artiste plasticien D-Tone, je kiffe aussi ce qu’il fait. Après je suis ancré dans la culture antillaise que je revendique pur et dur, je parle, je mange, et je vis créole.

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Le visuel importe plus que le message pour toi dans tes clips ?

Beaucoup des clips que j’ai fait étaient pour des morceaux qui me plaisaient, même si certains ne me parlaient pas. Donc il faut trouver le sens du morceau, s’adapter et dépasser tout ça. C’est comme si tu essayais de trouver la quintessence d’un truc. Quelque fois j’ai eu cette critique dans les commentaires, je ne les lis pas tous mais ça m’arrive, expliquant que les paroles ne collent pas trop aux images… Mais si j’ai validé le concept avec l’artiste, ce que tu penses on s’en fout en fait [rires]. Ce n’est pas à toi à qui je rends le clip, c’est à l’artiste de réfléchir à l’image qu’il veut envoyer. La plupart des artistes savent ce qu’ils veulent, même s’ils ne savent pas l’exprimer visuellement. Souvent quand j’écris un synopsis, les gars me demandent des trucs, et moi je dépasse les consignes et ils me disent qu’ils n’avaient pas pensé à ça … Mais je me casse la tête avec les synopsis, je devrais faire comme les autres, faire juste comme les autres… Mettre des images et c’est tout. J’écris des synopsis ! Certains je les écris pour Booba, il ne les lit même pas [rires] ! Je lui demande s’il l’a consulté, il me dit : « Ouais »… Mais je sais qu’il ne les lit pas… Donc on s’appelle pour en parler. Après je sais qu’il n’a pas le temps, mais il m’appelle toujours pour savoir ce qu’il y a dedans. Sur « Validée », ça faisait longtemps qu’il ne m ‘avait pas laissé totalement libre.

On a l’impression qu’à l’échelle du rap français tu seras toujours le réalisateur de Booba, et à l’échelle du cinéma français tu resteras le réalisateur « street ».

En France les gens ne font pas confiance, donc je vais me battre et m’imposer si c’est ce qui doit se passer… J’ai rarement vu des réalisateurs de clips aller très loin dans le cinéma, il y en a comme Brett Ratner qui a fait les X-men et autres. Hype Williams a tenté mais a échoué malheureusement, j’aime bien Belly mais je ne sais pas… L’acting, le film est trop clippé… Si ça m’arrive, je serais le plus heureux du monde, sinon je trouverais des alternatives pour faire des trucs qui me plaisent. Faut faire gaffe. Aujourd’hui, j’imagine que les réalisateurs doivent se dire : « Je vais faire un clip pour untel ou untel. » Mais faut faire gaffe. Ça s’est tellement démocratisé le clip que j’ai plus l’impression que les gars font ça pour la gloire que pour l’esthétisme. Je trouve ça dommage car c’est bien beau de faire des clips mais ça va terminer où ? Tu vas faire quoi de ta vie ? C’est quoi ton projet sur du long terme ?

Chris Macari après Booba, ça donnera quoi ?

Je ne sais pas, je vais me concentrer sur des projets personnels, courts-métrages et autres. Je vais voir ce que l’avenir me réserve mais pour l’instant je n’y pense pas, je n’ai pas le temps d’y penser.

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