Corniche Kennedy, plongée dans un phénomène marseillais

Adaptation du roman éponyme de Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy emprunte son nom à la Corniche du Président John Fitzgerald Kennedy qui longe la mer Méditerranée et les plages marseillaises. Le film dépeint le quotidien d’une bande de potes férus de sensations fortes et bravant les lois de la pesanteur et de la profondeur pour assouvir leurs besoins de distraction et d’évasion. Avec ses documentaires, Dominique Cabrera est chevronnée aux questions de la jeunesse, des tensions sociales et de la mise en scène d’amateurs. C’est sous l’œil de sa caméra de la réalisatrice que l’on découvre cette discipline et ceux qui la font. L’occasion était belle d’en apprendre un peu plus sur cette pratique du plongeon peu orthodoxe en compagnie des principaux protagonistes du film, jeunes acteurs improvisés pour le film, mais surtout plongeurs à l’origine du film, Alain Demarie, Kamel Kadri et Melissa.

Photos : @RickRence

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La rencontre avec Dominique Cabrera

Alain Demaria : À la base, quand elle nous a croisés Kamel et moi, j’étais en train de plonger. Au bout d’un moment elle s’est avancé vers nous et nous a posé des questions. Je ne voulais pas parler avec elle, alors c’est Kamel qui l’a fait. Elle nous a fait comprendre que c’était une réalisatrice et qu’elle cherchait des acteurs et des gens pour l’aider sur son scénario. Elle nous a donné rendez-vous le soir même, on n’y est pas allés, pas par peur mais parce qu’on ne le sentait pas. Elle nous a rappelé car elle voulait nous voir à tout prix. Finalement on l’a vu, et on lui a raconté notre vécu. De là, ça a collé, on a papoté pendant plusieurs jours avec elle, elle venait souvent de Paris passer la journée avec nous, ça a crée des liens. Au départ on devait juste l’aider à connaître le contexte marseillais, puis on l’a aidé sur le scripte car il y avait des paroles en « parisien » qu’il fallait retranscrire en « marseillais » et dès qu’on a terminé cette phase, Dominique nous a dit « en fait, c’est vous que je veux en acteurs !». C’est parti de là. On n’était pas trop d’accord au départ, mais on a accepté pour l’aider.

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L’origine du plongeon à Marseille

Kamel Kadri : Le plongeon c’est vraiment quelque chose qui existe depuis très longtemps, et je pense que ça passe de génération en génération. Les anciens, plus jeunes, allaient sauter entre potes du quartier. En fait c’est un exutoire le saut. Toute l’année tu es enfermé dans le quartier, et quand arrive l’été et le soleil, on sort tous de notre quartier en bande pour aller à la mer et vivre autre chose que le quartier.
Sans formation professionnelle, un mec comme Alain a étudié les fonds marins, il sait comment c’est, et c’est très important de les connaître. Pour les besoins du film on a eu un formateur qui nous enseigné des règles de sécurité. Mais pendant le tournage ce n’est pas la même pression qu’entre potes, ce n’est pas pareil. Mais il n’y a pas que les mecs de quartier qui plongent, y’a aussi des un peu plus bourgeois entre potes qui vont s’essayer au saut.

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Vos débuts dans le plongeon

Alain : Moi je tiens à dire que le moniteur ne m’a pas du tout aidé. [rires, ndlr] J’ai toujours aimé les hauteurs et la profondeur comme dans l’accrobranche par exemple. Un jour j’ai croisé un groupe de jeunes, mais bien plus âgés que moi, qui plongeaient comme des fous. Ça m’a donné envie, j’ai commencé à plonger de 2 mètres, 3 mètres, j’étais minot, je devais avoir 8 ans. Petit à petit, j’augmentais les sauts. Un jour je suis allé à la Corniche et j’ai vu des jeunes sauter en allumette, je suis venu j’ai plongé tête la première, et ils se sont tous affolés ! Tous les gens qui étaient sur la plage d’en face applaudissaient j’avais honte de ressortir de l’eau et qu’on me voit ! J’ai toujours bien aimé les sauts, c’est ma passion. Pourtant je ne me suis jamais filmé, la seule fois, c’est pour le film.

Mélissa : Moi c’était vers 14-15 ans, à un âge où il faut prouver quelque chose aux grands frères, c’était un truc à faire. C’est limite la première question qu’on te pose chez moi, si tu as sauté du rocher bien connu de mon secteur. C’est un cap à passer.

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Les risques de la discipline

Alain : Le danger, c’est surtout la hauteur ! Avec le poids que tu as, tu peux te briser à l’impact. Il y a déjà eu des morts. C’est un risque d’affronter la mort, de se dire avant le saut qu’on peux y rester.

Kamel : Le truc à faire, c’est le respect. Notre groupe originel, pas celui du film mais celui que Dominique Cabrera a rencontré, est un groupe très très respectueux. C’est la seule vraie règle qu’on s’impose. J’ai limite envie de nous comparer à des samouraïs des temps modernes ! Il y a un vrai code, mais en vrai c’est normal, c’est basique de d’être respectueux.

Mélissa : Il y a une anecdote par rapport à ça. Ça faisait un moment que je n’avais pas sauté de rochers pendant le tournage, et j’avais une scène où je devais sauter la corniche et prise de panique et par la pression, je ne l’ai pas fait. Je suis resté bloquée. Les caméras inhibent ainsi que la hauteur – 13 mètres c’est pas rien ! À partir de 10 mètres, si on ne tombe pas droit ça peut être grave. J’aurais dû m’entraîner au préalable mais bon finalement ça n’a pas causé de soucis pour le film car la scène a été gardée. Ça a montré que c’est quand même une discipline dangereuse et que la peur existe.

Alain : Moi ce qui m’a fait peur sur le tournage c’est de voir les secouristes en bas avec leurs civières et leurs minerves, ça met des images dans la tête. Dans une des scènes du film, j’ai été tétanisé et j’ai crié à l’équipe « Coupez ! Coupez », une minute après je criais « Action ! Action ! » et j’ai sauté !

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LA REPRÉSENTATION DE MARSEILLE AU CINÉMA

Kamel : Marseille est une ville multiculturelle, avec plein de choses différentes, mais on ressasse toujours la même chose. J’ai envie de te dire : il y a beaucoup de films sur Marseille, mais il n’y en a pas assez. Et il en faudrait peut-être plus qu’on montre d’autres facettes de la ville, très belles ou même très mauvaises. Malheureusement c’est comme ça, c’est du cinéma, mais je pense qu’on n’a pas tout découvert de Marseille.

Mélissa : Je pense que ça va évoluer, on entend toujours que c’est la même chose. Quand on va au ciné on se dit si c’est tourné à Marseille c’est toujours pareil. Après je trouve que dans la série Marseille, les plans sont magnifiques par contre, même si dans l’histoire c’est toujours le même délire… Mais à Marseille il y a beaucoup de jeunes talents, en chant, en réalisation, des jeunes comédiens. Et avec cette énergie, ce sera sûrement à nous de changer les choses !

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