Di-Meh, à la sueur de son front
Di-Meh est un concentré d’énergie communicative, qui électrise chacune des foules devant laquelle il se présente. C’est bien connu. Ce qui l’est peut-être moins, c’est que le rappeur suisse a su donner de sa personne pour mener la vie qui était faite pour lui. Rencontre avec un XTRM Boy, à l’occasion de la sortie récente de Focus, vol. 2.
Dans le grand zoo du rap français, la bête de scène est une espèce en voie de disparition. À une époque où les artistes ne peuvent compter sur les ventes de disques, et où le streaming peine encore à générer un pécule digne de ce nom, le touring apparaît pourtant comme salutaire. À cela près qu’au traditionnel circuit des salles de concerts, de plus en plus de rappeurs privilégient celui des showcases, où il est plus souvent question de faire acte de présence que de livrer une véritable performance à un public qui – de toute façon – n’en demande pas franchement plus. Malgré tout, Di-Meh fait partie de ceux qui ont su se tailler une flatteuse réputation sur le stage. Le 21 avril dernier, le Suisse investissait d’ailleurs le Nouveau Casino avec ses trublions de la Superwak Clique. Ce soir-là, les fauves sont jetés dans l’arène aux alentours de 2h45, non sans avoir accusé un léger retard.
Le public n’aura cependant pas le temps de leur en tenir rigueur, immédiatement emportés par l’énergie survoltée des helvètes. Fort. La prestation s’éternise, usante et intense, mais ni Di-Meh, ni Makala, ni Slimka, ni Pink Flamingo ne semblent avoir envie de quitter leur terrain de jeu. Au contraire, ils grattent la moindre minute supplémentaire, jouent à chaque fois un « dernier titre » de plus. Alors quand ils finissent par quitter la salle, à quatre heures passées, leur audience, lessivée, fait de même. Le DJ qui prend le relai devra pour sa part composer devant un parterre quasiment vide. C’est dommage, mais ils ne pouvaient se permettre d’écorner la belle renommée qui les poursuit. Ceci dit, n’est-ce pas un peu réducteur de parler de Di-Meh – ou de ses acolytes – que par le simple prisme de la scène ?
Assurément, mais quand on épluche les pages sur lesquelles s’écrit le parcours du rappeur, force est de constater que la scène y est prépondérante. C’est en elle qu’il a puisé l’envie-même d’exercer son art, après avoir assisté à un concert des Sages Po. « Mon gars Benzo, qui est un grand de mon quartier, faisait la première partie. C’est ça qui m’a saucé. J’ai vu le concert, je me suis dit : ‘Je veux faire ça.’ Il y a avait un atelier rap le lendemain, j’ai pull up direct », se remémore t-il. Cette spontanéité, qui ressort avec évidence comme l’un de ses traits de caractère les plus affirmés, Di-Meh l’a hérité de son autre grande passion : le skate. C’est même de là que tout part. Un milieu sans artifices, au sein duquel les esprits ne sont que rarement arrêtés, et s’ouvrent naturellement au monde qui les entoure. On attrape sa planche, puis on se laisse guider par elle, par sa propre curiosité. Le Genevois découvre la musique au gré des vidéos des maîtres de la discipline, qui habillent au hasard leurs exploits de rock, de rap, parfois de reggae. « La rage que j’avais du skate, je l’ai mise dans le rap. Voyager par tes propres moyens, frauder les trains pour pull up à des open-mics… C’est un mood de skateur ça. Avec le skate, tu arrives dans un endroit, où que ce soit, et tu link up. Tu rencontres les locaux, tu chill avec eux… Que des bonnes vibes. »
Pas de rétro
Avec cet état d’esprit, Di-Meh emmène rapidement sa musique au-delà de la frontière suisse. Dès le cinquième titre qu’il publie, en 2012, sur une production du parisien Hologram Lo, pour être exact. La connexion avec la Ville Lumière dès lors établie, Di-Meh devient un membre actif de la 75e Session, avec qui il sort l’EP Reste Calme, avant de participer au projet Paris-Genève, qui fait se croiser sa bande de XIII Sarkastick, le collectif francilien du Panama Bende, ainsi que d’autres emcees du Dojo. En découlent un certain nombre d’opportunités dans l’Hexagone, difficilement compatibles avec la vie d’un adolescent qui ne vit pas sur le territoire, et est donc sans cesse obligé de se déplacer. « La school, c’était pas fameux. Deux fois, j’ai perdu des contrats d’apprentissages parce que je m’étais investi à fond dans le rap. Je me retrouvais à faire des concerts à Paris alors que le lendemain j’avais un oral d’italien en Suisse. C’était un délire », nous raconte t-il. Ce train-train n’est pas de tout repos, et le rappeur comprend rapidement qu’il ne pourra pas continuer à le mener sur de bon rails. Vient alors l’heure du choix, inéluctable. Celui-ci est heureusement facilité par son entourage : « Mes parents ont vu que je me sacrifiais pour ce que j’aimais, donc très tôt, ils m’ont laissé faire. C’est vraiment cool pour une famille rebeu d’avoir ce genre de réflexion, de se dire ‘Ok, il s’investit là-dedans, ce n’est pas du bullshit.' »
Cette passion l’anime autant qu’elle l’aimante. Di-Meh tend naturellement à aller vers ceux chez qui il ressent un mordant, une hargne, une rage de vaincre semblable à la sienne. Il faut pouvoir le suivre, car lui avance sans halte et n’est pas du genre à regarder dans le rétro. C’est en partie ce qui explique pourquoi il ne roule plus vraiment avec XIII Sarkastick, le collectif de ses débuts : « Avec le XIII, on était déter mais pas assez. Il y en avait trop qui avaient une autre vie en parallèle. Ils taffaient déjà, donc ils n’avaient pas la même vision, ils ne se disaient pas ‘On va faire en sorte de vivre de ça.' » Peu avant son émancipation, le public assiste à la sortie de « FU GEE LA », en featuring avec Népal, un titre clé dans la jeune carrière du Suisse. Le refrain, sans équivoque, dresse les grandes lignes de ce que deviendra son identité artistique : « J’kick sur de la trap, mais j’peux donner ça à l’ancienne tah l’époque Fu-Gee-La. » Puiser le meilleur de deux époques, mettre l’Auto-Tune et les 808 au service de placements hérités de Busta Rhymes ou de Sadat X. Il poursuit alors sa route avec de nouveaux compagnons XTRM, plus en phase avec sa vision : « SuperWak, c’est vraiment un état d’esprit. Rien que notre nom, ‘super nul’, c’est vraiment pour dire qu’on se fout du regard des gens, ça ne va pas nous tuer. On est décomplexés au max. » Ils n’ont pas plus de considération pour ce qui occupe habituellement les débats des acteurs de l’industrie, comme les stratégies marketing ou les chiffres des streaming. Eux préfèrent ne pas voir plus loin que leur art, parce que c’est ce dont il est question, au bout du compte. « On est en dehors de tout ça. Depuis la Suisse, on voit les choses d’un autre oeil. On se contente de balancer nos shits. Si ça prend, tant mieux, si ça ne prend pas, on balance à nouveau. On bombarde. » C’est sans doute ça, être Focus.