Comment Mustard est devenu le producteur le plus accompli de sa génération ?

Des hits en pagaille, des projets solo et un statut de boss de label : en moins de 10 ans, Mustard a presque accompli tout ce qu’il était donné à un producteur de faire. Et il en veut encore.

Photos : @aida_dahmani

« Je pensais seulement que je serais un DJ à L.A. pour le restant de mes jours. » Mustard n’a peut-être pas su voir son avenir, mais il a eu ce qu’il fallait de vision pour le rendre plus radieux qu’il ne devait l’être. Lui qui ne s’imaginait pas quitter Los Angeles se retrouve aujourd’hui à Paris pour la Fashion Week, après avoir déjà fait voyager sa musique à travers le globe. Et s’il n’est pas forcément connu de tous ceux qui rodent autour des défilés, impossible de ne pas le remarquer à sa large panoplie de bijoux clinquants, signes extérieurs d’une vie des plus fastes.

On interroge souvent les compositeurs sur ce qui fait la réussite dans leur corps de métier. Certains la mesurent au nombre de hits. D’autres voient comme un aboutissement ultime le fait de pouvoir sortir des projets à son nom, sans être contraint de rester l’ombre d’un interprète. Quant à Scott Storch, il considère que le vrai tour de force d’un producteur réside en sa capacité à développer un artiste. Mustard ne s’est pas embêté à chercher la bonne réponse : il a préféré coché toutes les cases.

Sa discographie s’étend de Tyga à Rihanna, de YG à Roddy Ricch, empile les certifications en tout genre. Il se fait voir sur scène ou dans les clips, reconnu par un public qui n’a pas pour habitude de prêter attention à ceux qui opèrent derrière les machines. Ajoutez à ça trois albums studio à son actif, dont le dernier en date, Perfect Ten, est sorti le 28 juin 2019 sous la bannière de 10 Summers, le label qu’il a fondé en 2015. Extrait de ce même projet, le titre « Ballin' » lui a valu une nomination aux derniers Grammy Awards. Rien ne neuf pour celui qui un an plus tôt obtenait déjà le Grammy de la meilleure chanson R&B avec « Boo’d Up », morceau composé pour « son » artiste Ella Mai, encore inconnue quelques années plus tôt.

Mieux encore : Mustard peut depuis peu se targuer d’être propriétaire de l’intégralité des droits des hits qu’il produit, depuis qu’il a (paradoxalement ?) consenti à vendre une partie des morceaux de son répertoire. Et si ces quelques lignes ne vous semblent pas parfaitement claires, laissez-vous donc guider à travers cet entretien avec un DJ de Californie qui, à force de travail et de gamberge, est parvenu à devenir bien plus que ça.

La décennie vient de s’achever. Tu l’avais commencé avec ton premier hit, « Rack City » en 2011, et tu l’as finie en ayant fait tout ce qu’un producteur peut imaginer faire de nos jours. Quel est ton plus grand accomplissement ?

Mon plus grand accomplissement, ça doit sûrement être le succès d’Ella Mai. C’est celui dont je suis le plus fier à ce jour, en tout cas. Parce que selon moi, le plus dur en tant que producteur, c’est de faire exploser une artiste que personne ne connait et qui n’est pas encore établie dans le game. Puis il y a une connexion très naturelle entre elle et moi. Et aujourd’hui, le monde entier la connait.

Quand tu as commencé en tant que DJ, imaginais-tu déjà que ton activité pourrait s’étendre à ce point ?

Clairement pas. Je ne pense pas avoir un jour pu voir aussi loin. Je pensais seulement que je serais un DJ à L.A. pour le restant de mes jours. C’est tout ce que j’aspirais à être. Je n’ai jamais vraiment pensé à devenir un producteur jusqu’à ce que je commence à produire. Et à partir de là, je me suis laissé emporter.

Comment as-tu commencé ?

J’ai commencé à mixer parce que mon oncle était lui-même DJ. Quand j’avais quelque chose comme 11 ans, il m’a emmené avec lui à une soirée et m’a laissé prendre le contrôle. À partir de là, je mixais dès que j’en avais l’occasion. Quant à la production, tout est parti de mon ami YG. Je savais qu’il avait besoin de prods parce que jusqu’à présent c’était Ty [Ty Dolla $ign, ndlr] qui gérait ça pour lui, mais Ty commençait à prendre au sérieux sa propre carrière d’artiste, alors j’ai pris le relai. J’ai dit : « Moi aussi, je peux faire des prods. » Puis je m’y suis essayé. Ty m’a un peu montré comment on faisait, et j’ai continué tout seul ensuite.

Mais aujourd’hui, tu n’es plus « DJ Mustard » mais juste « Mustard ». Qu’est-ce ça signifie pour toi ?

Ça veut simplement dire que je suis un homme de beaucoup de casquettes. Je ne suis pas seulement un DJ, je ne suis pas seulement un producteur, je ne suis pas seulement un artiste : je suis un peu de tout ça à la fois. Et je trouvais que « DJ », c’était un peu… Sans manquer de respect aux DJs – parce que je viens quand même de là -, j’ai l’impression qu’avoir « DJ » dans ton nom te contraint à n’être qu’un DJ. Sauf que je fais beaucoup d’autres choses au-delà de ça.

Justement : comment est-ce qu’on devient « plus » qu’un DJ, « plus » qu’un producteur ?

Ça implique beaucoup de travail, de nuits sans sommeil, d’investissement dans tout ce qu’il a autour de ton activité principale. Certains DJs veulent être DJ pour le restant de leurs jours et c’est très bien comme ça. Pour ma part, je savais que j’avais de plus grandes choses à accomplir. Donc il y a eu la production, qui m’a ensuite permis de créer un label. Avec mon label sont venus mes artistes. Puis en devenant moi-même un artiste, j’ai finis par vouloir faire mes propres sons parce que j’en ai eu assez de bosser avec des artistes qui n’étaient pas disposés à me suivre pleinement dans ma vision. En vrai, ça implique surtout de ne pas écouter qui que ce soit et de se faire confiance. C’est la confiance que je me suis accordée qui m’a emmené où je suis actuellement.

Quid des tags ? Le tien est particulièrement connu, quel rôle a t-il joué dans le développement de Mustard ?

Ça m’a permis de m’établir en tant que marque. Ce tag, c’est comme ma signature. Je ne savais pas trop ce que je faisais quand je l’ai fais. Je savais juste que ça allait être comme ça que les gens allaient me connaître. Il n’y avait pas d’autres moyen pour les auditeurs de savoir qui a faisait la prod, surtout que je n’étais pas forcément le seul à faire le genre de prod que je fais. Donc j’ai commencé à foutre mon tag partout. Et avant même que je m’en sois rendu compte, c’est devenu un truc que tout le monde retenait.

J’ai cru comprendre que tu avais récemment dû vendre une partie de ton catalogue pour obtenir l’entière propriété de ton oeuvre. Peux-tu nous éclairer un peu là-dessus ?

Déjà, il faut savoir que c’est un quelque chose que tu ne peux pas faire à peine arrivé dans le game – je précise, parce que je ne veux pas vendre de rêves aux jeunes artistes. J’ai dû travailler pour arriver au stade où j’ai eu assez d’argent pour me permettre de vendre mon catalogue. Mais pour résumer, j’ai vendu mes droits sur une partie des morceaux que j’ai produit. Tous les titres que j’ai placé jusqu’en 2016, à peu de choses près, je ne les possède plus. Le truc, c’est que j’avais des contrat d’éditions sur ces morceaux. Ça veut dire que je ne les possédais même pas à moitié dans tous les cas, je ne touchais que des petits pourcentages dessus. À partir du moment où je me suis débarrassé de ces titres, j’ai pu prendre un nouveau départ. Je n’ai gardé que les nouveaux morceaux, ceux que j’ai sorti à partir de 2017 comme « Boo’d Up » ou « BIG BANK », des morceaux dont je possède l’intégralité des droits parce que désormais j’ai des contrats de gestion et non des contrats d’édition. Et ce sera le cas de chaque morceau que je publierai désormais.

« J’ai signé chacun de mes contrats d’édition en partant du principe que je serai un jour capable d’en voir le bout. »

Mustard

Ça n’a pas été dur de se séparer de ces titres qui au final font partie de la légende de Mustard ?

Non parce que je n’ai que 29 ans, et j’ai encore une longue carrière devant moi. Pendant un moment, j’ai eu ce truc de me dire : « Wow, je suis vraiment en train de me vendre mes morceaux… » Mais comme je t’ai dit, je ne possédais même pas la moitié de chacun de ces titres. J’ai juste vendu la petite part que j’avais sur ces morceaux. Puis aujourd’hui, la machine est déjà lancée. Ça veut dire que mes nouveaux morceaux démarrent mieux que les anciens. C’est un peu comme si j’avais vidé mon premier chargeur et que je refaisais le plein de munitions. La différence, c’est que je peux tirer un maximum de profit sur ces nouvelles cartouches parce que pour le coup, elles m’appartiennent pleinement.

C’est un pari sur toi même, en gros ?

Grave ! Mais à vrai dire, avant même que je vende mon catalogue, je pariais déjà sur moi-même. Parce que j’ai signé chacun de ces contrats d’édition en partant du principe que je serai un jour capable d’en voir le bout. L’argent que j’ai récupéré en vendant ces titres, je l’ai utilisé pour justement rembourser tout ces contrats que j’avais, et derrière j’ai refais d’autres contrats avec des termes qui me correspondaient mieux.

Tu as collaboré à de nombreuses reprises avec Nipsey Hussle, qui était précisément un de ceux qui ont contribué à faire avancer la discussion sur la propriété de la musique. Que devrait-on retenir de lui et de son combat ?

Beaucoup de gens ne se focalisent que sur une partie du propos de Nipsey. Parfois, je vois des petits qui arrivent dans le game en disant vouloir être propriétaire de leurs masters, et je me dis : « Mais as-tu seulement une idée de tout ce que ça implique d’être propriétaire de ses masters ? » Tout le monde est tellement obnubilé par sa réussite qu’ils en oublient tout le struggle qu’il y a derrière. Certes, Nipsey est parvenu à mettre la main sur ses masters, mais il a pu le faire après avoir décliné une dizaine voire une vingtaine de contrats. Et il se l’est permis parce qu’il savait ce qu’il voulait et qu’il avait une très bonne équipe avec lui. Beaucoup de nouveaux dans le game disent « Je veux être propriétaire de mes masters » mais ils n’ont même pas d’équipe ou de management. Ils ne savent pas quoi faire, ni même comment le faire. Il le disent seulement parce qu’ils l’ont entendu d’autres jeunes artistes qui prétendent être propriétaire de leurs masters alors que ce n’est pas le cas.

Pour être propriétaire de ses masters, il faut d’abord en avoir les moyens. Nip était arrivé à un stade de sa carrière où il pouvait se permettre de dire : « Je peux tout faire moi-même, j’en ai les moyens, donc tu vas me donner l’intégralité de mes masters ou je ne ferai pas de business avec toi. » Il s’en sortait déjà très bien tout seul, et c’est pour ça qu’il s’est retrouvé en position d’obtenir 100% de ses masters. Parce qu’il avait déjà une réflexion très business, qu’il savait ce qu’il faisait et qu’il s’est tracé sa propre voie dans l’industrie. Mais ça, les gens ne l’ont pas réellement entendu.

Comment peut-on continuer son marathon et faire en sorte que les petits nouveaux ne se fasse plus piéger par cette industrie ?

Pour moi, tout repose sur le fait d’être bien accompagné, d’avoir quelqu’un de franc et de réfléchi à ses côtés. Ou alors de se bâtir une équipe en conséquence. Une équipe qui te fera faire les bons moves, et qui saura faire le travail nécessaire pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’industrie du disque. Parce que beaucoup avancent dans le milieu tête baissée, sans savoir ce qu’ils font. Et le seul moyen pour que ça cesse, c’est de développer ses connaissance et se construire une équipe solide, avec des gens plus intelligents quoi, des gens qui connaissent mieux la musique que toi, etc. Des gens qui seront vraiment là pour t’aider. Vaut mieux ça que de suivre les premiers conseils qu’on te donne une fois arrivé dans le game, ce que beaucoup de rappeurs signés font. Sauf que ça revient à jouer avec ta carrière, ni plus ni moins.

On l’a dit au début de l’interview, tu as débarqué dans le game au tout début de la décennie et aujourd’hui, tu es plus que solidement installé. Qu’est-ce qui a permis cette longévité, selon toi ?

J’ai toujours voulu que les gens qui écoutent ma discographie puissent être en mesure d’apprécier son évolution au fil des années. Donc ça ne m’a jamais posé de soucis que les gens disent que mes beats sont trop simples ou que je n’utilise que trois éléments. Pour moi, il n’y a rien de mieux que la simplicité. Les auditeurs prêtent souvent attention aux choses les plus simples, à tel point que parfois, tu peux avoir la palette musicale la plus large du monde et ne pas être en mesure de pondre le moindre hit. Puis il fallait que je grandisse en tant que compositeur. J’ai commencé avec des « Rack City » ou des « I’m Different » qui effectivement n’avaient que trois éléments, mais aujourd’hui je suis aussi en mesure de produire des « Boo’d Up », « Want Her », « Pure Water », « Ballin » ou « Needed Me ». C’est une toute autre version de Mustard que tu n’aurais sans doute jamais pensé entendre. Et je pense que c’est pour ça que je suis toujours en place : les gens me voient évoluer et changer de style tellement souvent qu’ils ne savent jamais à quoi s’attendre pour la suite.

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