Double Hélice 2 : L’album de l’envol pour Caballero & JeanJass

Caballero & JeanJass nous donnaient rendez-vous le 12 mai pour le match retour de Double Hélice. Après avoir maîtrisé la première rencontre, le duo bruxellois se devait de confirmer un an plus tard. Afin d’y parvenir, seul le travail paie, et les deux acolytes l’ont bien intégré. Double Hélice 2 est plus étoffé. Plus varié. Plus haut. Tel De Bruyne et Hazard, Cab & JJ ont mené d’une main habile leur projet. Tout en technicité. Avec ce deuxième volet de leur série aéronautique, ils s’envolent pour de bon. Sans remontada.

Sur leur nom

Double Hélice 2 nous sollicite immédiatement. Dès les premières secondes. Le vivace Sur mon nom accapare tous nos sens. L’infernal beat est fourni par Eazy Dew, compagnon de route de Josman. Soudainement, l’album est lancé à pleine vitesse. Enregistré, semble-t-il, à quelques 300 kilomètres à l’heure sur l’autoroute A14, ce track introductif – banger pur et dur – enrichit la marque de fabrique des deux rappeurs belges. Egotrip imagé, visuel, agrémenté d’une touche d’ironie. Leur écriture humoristique, quelquefois loufoque, quelquefois satyrique, fait partie intégrante de leur identité. Dans l’optique d’offrir un rap authentique, ils tentent de se démarquer par cet aspect-là. Des textes individuels, subjectifs marqueurs de leur état d’esprit « Je me sens comme Lucky Luke, même mon ombre te fume / Numero uno, ma liasse grossit comme le ventre d’Homer / Je fais le taff mieux que vous / Vous n’auriez jamais du sortir de la fente de vos mères » (Caballero).

Que ce soit Caballero ou JeanJass, cette approche textuelle et thématique – introduit avec Double Hélice – est devenue une empreinte identitaire. Qui scelle leur différence. Qui renouvelle leur insistance. « Pourtant c’est clair comme Chazal / J’suis un monstre comme le Kraken, j’vis caché comme Clark Kent » (Caballero) / « Je sais plus depuis quand j’crache le feu mais c’était pas hier / À Munich comme le Bayern » (JeanJass) toisent-ils, tour à tour, dans Rvre. Cet amour pour l’ego-telling, métaphorique, subtile ou consciemment grotesque, est issu d’un attachement à la liberté. Caballero l’explique lors d’une interview pour nos confrères de Radio Nova. Être libre concernant les thèmes abordés, l’orientation musicale ou l’imagerie. Une liberté accentuée par leur origine géographique. Étant belges, la pression médiatique, l’attente du public, sont moindres.

Ce qui ne les empêche pas d’affirmer leur supériorité, la rabâcher même. Cab avec son solitaire El Gordo Guapo, durant lequel il révoque les normes de Pharaon Blanc. Un egotrip originel. Abrupt. S’en détachant à partir du troisième track, Bonnes fréquentations, l’insolent La Base puis le point d’exclamation On est haut – énergique et mégalomane – nous re-balancent cette posture hautaine. En pleine figure.

Reconnaissance et réalisme

Malgré cet egotrip omniprésent, ce voyage à la première personne du singulier, qui habitent l’album, Caballero & Jean Jass savent s’en dissocier. Ils évoquent des sujets inédits ou peu traités dans leur discographie. Notamment une vision réaliste, lucide, parfois pessimiste de la société dans laquelle ils évoluent. Le duo tisse un bilan bien amer. En prenant comme point de départ leur propre expérience, il n’hésite pas à attaquer le fonctionnement de notre civilisation. « Putain, tout ça pour dire que la vie n’est pas rose comme les joues de Kevin De Bruyne (…) J’suis comme cette chieuse de Reine des neiges : je veux être libre, putain ! » remarque JeanJass (Match Retour). « Vous voulez les biatchs, le pouvoir et l’fric mais /Vous avez oublié de vouloir être libre, hey » ajoute cette fois Cab (TMTC). Une indépendance précieuse aux deux bruxellois. Qui passe, bien sûr, par l’autonomie économique mais principalement par la liberté de penser. Ne pas se laisser dicter sa vie par d’autres. « Ils veulent me dicter ma vie, j’crois qu’j’vais faire une faute à chaque phrase » disait Joke. Exactement. Cab & JJ ne se soucient guère des critiques et de ceux qui régissent ce monde. Préfèrent s’allier à la race saïyen. Ainsi, le piédestal sur lequel ils se placent est renforcé.

Un piédestal, envisageable, et seulement envisageable, grâce au soutien essentiel de leurs proches. Comparable à une équipe de foot au top de sa forme, la réussite revient aussi, de droit, à l’entraîneur, le staff technique (masseurs, kinés, et coachs spécialisés), et les supporters. Mis dans les meilleures conditions possibles, soutenus, les deux comparses ont pu se focaliser sur leur musique et « cracher le feu ». Avec Bonnes fréquentations, ils rendent hommage à ceux qui ont travaillé dans l’ombre, mettent en lumière la face cachée de leur succès. « Demain ils te sortiront du merdier / Oublie pas de les r’mercier / Je n’ai que des bonnes fréquentations » (JJ), synonyme de retour à la réalité. Ils sont haut, high, mais pas tout seuls.

L’heure est à l’expansion

Double Hélice proposait un format assez restreint : 10 titres, ni plus ni moins. Mais pour franchir un cap, pour monter en altitude, le duo du pays de Jacques Brel avait conscience qu’il fallait donner davantage. Offrir un opus plus fourni, plus diversifié. Mais tout aussi consistant. Cohérent. De fait, la suite de leur premier projet comprend 6 morceaux supplémentaires. La direction musicale est également à l’honneur. Cab & JJ s’attaquent à des genres inattendus. Ils nous surprennent en alternant modernité et classique, tendance et intemporalité.

Un endroit sûr est un boom bap, dirons-nous traditionnel, confectionné par Hamstergramm. Le contenu suit la musicalité, mélancolique. Nostalgique. À la limite de l’engagement. L’insulaire interlude FDP, fidèle à la violence de l’insulte, brève mais bien virulente, contraste complètement. La prod’ se rapproche d’une trap rigoureuse. Prosaïque. Survoltée par un solo de guitare électrique. Le personnel Ma Story présente une dynamique encore différente et tend vers l’Electro-house hollandaise. Une instru’ aux consonances de Dutch House, portée par Spinnin’ Records, et plus récemment Klear Music. Une instru que nous devons à BBL, producteur bruxellois qui a, entre autre, collaboré avec Isha et Krisy.

Les Mike Lowrey et Marcus Burnett (Bad Boys) européens s’inspirent du rap actuel à plusieurs reprises. Deux sons principalement : Voler, à l’image du titre, le duo se permet un séjour chez le cloud-rap, et TMTC, plus facilement identifiable aux dernières sorties. Néanmoins, ils réaffirment leur libre-arbitre grâce au jamaïcain SVP. Influencé par le tube de Young Thug, Wyclef Jean, JeanJass se fend d’une production reggae, voire dub. L’ambiance s’y prêtant, Caballero & JJ déclarent officiellement leur flamme à la ganja.

Alternant influences et innovations, leur spectre musical s’amplifie. Vagabondant entre les époques, les sonorités, leur polyvalence naissante mûrit. Naviguant entre les univers, les atmosphères, sans jamais se perdre, le groupe à deux facettes poursuit son ascension.

A contrario de la logique cinématographique, la suite des aventures de Caba & JJ ne déçoit pas. Leur complémentarité est toujours flagrante, efficace, une force qu’ils exploitent avec acuité. Leur arme fatale. En quelque sorte. Se renvoyant la balle, passe décisive sur passe décisive, la qualification est assurée, le but est atteint : l’envol définitif vers le triomphe. La base.

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