Drake au coeur de la galaxie OVO
Nous sommes à l’aube de l’année 2007 quand le jeune Aubrey « Drake » Graham, alors essentiellement connu pour son rôle de Jimmy Brooks dans la série pour ado Degrassi, signe sa véritable entrée dans le paysage musical avec sa seconde mixtape Comeback Season. 23 titres qui ne feront qu’accroître l’effervescence gravitant à l’époque autour de Drake, allant jusqu’à attiser la curiosité d’un certain Lil Wayne. Bien que faisant alors office de simple néophyte, c’est cette période qu’il choisira pour poser, plein de confiance, la première pierre de sa future entité October’s Very Own. En effet, cette mixtape, au même titre que sa successeuse So Far Gone, sortiront toutes deux sous l’égide de ce label qui ne compte à cet instant que Drake pour seul artiste.
Idoles d’hier, rivaux d’aujourd’hui
7 années se sont depuis écoulées. So Far Gone aura porté le coup de grâce nécessaire à son éclosion, et résoudra Lil Wayne à lui faire parapher un contrat sur son label Young Money. De 2009 à 2013, il ne sortira pas moins de trois albums sous la bannière YMCMB : Thank Me Later, Take Care & Nothing Was The Same. Trois opus qui, au-delà de rencontrer un succès remarquable dans les charts US, recevront chacun un accueil plus que favorable de la part de la critique, et viendront chacun à leur tour consolider la position artistique du Canadien. D’autant qu’en parallèle, Drake accumule les collaborations, parvenant à se hisser à la hauteur des plus grands dans les rendez-vous au sommet qu’ont pu être « Forever » ou encore « Stay Schemin ».
En quelques mots : Drake est aujourd’hui un artiste accompli. Celui qui idolâtrait autrefois les Jay-Z, Kanye West et autres Lil Wayne, joue désormais dans la même cour que ses héros d’antan, qui lui font désormais office de rivaux, comme il l’exprimait déjà dans « Thank me Now ». Depuis son arrivée dans le jeu, Weezy a été contraint de partager l’affiche de l’écurie Cash Money avec les noms de Drake et Nicki Minaj. Puis, le record de 9 hits classés en têtes des ventes longtemps détenu par Jigga s’est écroulé sous le poids de l’incessante productivité du Champagne Papi.
Mais malgré tout, le nom de Drake ne semble pas s’être gravé aussi profondément que celui de ses glorieux prédécesseurs, comme si un élément lui bloquait l’entrée au panthéon du rap. Là où ses trois modèles ont su briller plus que les autres, c’est qu’ils ont été à même de bâtir leur propre empire, tant artisitque que médiatique, révélant et mettant en exergue les talents de demain. Jay-Z avait fondé Roc-A-Fella avant même de sortir son classique Reasonable Doubt, alors que le label G.O.O.D Music de Kanye West comptait déjà en son rang Common et John Legend alors même que Yeezy n’en était qu’à son premier album. Quant à Weezy, il aura grandement contribué à l’émergence des carrières de Nicki Minaj, Tyga et bien évidemment Drake lui-même.
Pourtant, Drake fait bel et bien partie de ces rappeurs ayant « l’oreille », celle capable de cerner le potentiel aussi bien d’un simple morceau que de l’univers d’un artiste. Cette même oreille qui fait que « sur 7 sons qu’il écoutera, [Drake] choisira le meilleur titre et sera à coup sûr dans le vrai » lui confiait son ami et fidèle producteur Noah « 40 » Shebib. Cette même oreille qui l’aura incité à désigner Kendrick Lamar et A$AP Rocky pour se produire en première partie de son Club Paradise Tour en 2012, alors même qu’ils étaient encore dans l’antichambre du succès ; à mettre en lumière le talent de son compatriote The Weeknd ou encore à populariser le « Migos Flow » via son couplet remarqué sur le remix de leur hit « Versace ». Toutes ces raisons le pousseront finalement à concrétiser le projet October’s Very Own, jusque-là soigneusement rangé dans un coin de son esprit.
Briller et faire briller
C’est ici que naîtra le label OVO Sound, où se rejoignent immédiatement tous les membres de l’équipe de production, majoritairement locale, qui accompagne la progression de Drake depuis ses débuts, qu’il s’agisse de 40, Boi-1da ou T-Minus. Tous ont bénéficié de l’aura de Drizzy au moins autant qu’ils y ont contribué, et c’est ainsi fort logiquement qu’ils l’aident à monter cette structure, à un moment où son style musical s’affine, trouvant le juste milieu entre un rap soigné et un R&B fleuve.
En ce sens, les deux premières signatures du label, les auteurs-compositeurs PartyNextDoor et Majid Jordan, détiennent chacun en eux un élément clé de la récente mutation artistique du Torontois. En effet, à la manière de son mentor, le premier joue avec les frontières des deux genres dans un R&B sensuel, paradoxalement planté dans un décor pourtant propre au rap, tant dans les productions, les références, et l’interprétation. Quant au duo Majid Jordan, les sonorités pop que l’on perçoit dans leur musique sont comparables à celle que l’on a pu retrouver dans les récents tubes de Drake que sont « Take Care » ou encore « Hold On, We’re Going Home », qu’ils ont en l’occurrence coproduits.
Au-delà de leur cohérence avec l’univers artistique de Drake, ces deux signatures sont d’autant plus pertinentes qu’elles semblent être en adéquation totale avec leur contexte temporel. A l’heure où le R&B renait de ses cendres à travers de multiples courants alternatifs, le pari de Drake pourrait bien s’avérer payant tant ses deux pépites apparaissent en mesure de rivaliser avec les nouveaux maîtres de la discipline que sont The Weeknd ou Frank Ocean.
En passant le roster OVO au crible, on constate finalement que la seule facette de Drake dont on ne décèle pas de profil correspondant, c’est celle du rappeur, celui maniant aussi bien la punchline incisive et censée que le flow. Un poste qui demeure vacant malgré les efforts d’OB O’Brien pour combler ce vide. Longtemps perçu comme la mascotte d’OVO au vu de ses drôle de caméos dans « Worst Behaviour » ou « Started From The Bottom », le fidèle compagnon de Drake s’est en effet montré à son avantage lorsqu’il a dévoilé son premier solo, appelé « Steve Nash » en l’honneur du meneur des Lakers. Néanmoins, si la qualité du titre n’est pas à remettre en cause, on doute encore sur le fait qu’il ait l’étoffe nécessaire pour devenir l’as du micro que l’on aimerait voir Drake nous dégoter.
Cette absence de concurrence dans son domaine de prédilection au sein même de son label, Drake se l’explique assez simplement : « Je passe chacune de mes nuits à réfléchir sur la manière via laquelle je vais devenir le meilleur rappeur, donc je ne pense pas être prêt à signer un autre rappeur aujourd’hui ». Peut-on y voir là le signe d’une certaine frilosité ?
Briller en faisant briller semble en effet être l’une des conditions nécessaires à la pérennité artistique dans le hip-hop. Toutefois, celle-ci implique aussi une certaine prise de risque, puisqu’il s’agit bel et bien de donner naissance à ses propres challengers. Cette audace peut cependant s’avérer bénéfique, pouvant aussi bien redorer le nom du mentor qu’aboutir sur un processus de « concurrence positive », incitant chacun des protagonistes à dépasser ses limites artistiques. Jay-Z avait par exemple eu l’aplomb de lancer dans le grand bain un Kanye West avec qui il finira par partager le trône sur lequel il était confortablement installé.
Tout le paradoxe d’un artiste réunissant l’ensemble des critères essentiels à la fondation d’une entité bâtie pour durer, mais qui se retrouve jusqu’à présent freiné par ses ambitions personnelles, alors même que les deux apparaissent comme intimement liés.