Eleonore Moreaux

S’il est un domaine qui donne encore l’impression d’une écrasante domination masculine, c’est l’aviation. Après plusieurs années d’études en école d’ingénieurs, Eleonore, 30 ans, co-pilote chez Air France embarque quotidiennement depuis 4 ans des centaines de personnes sur ses trajets moyens courriers. Une rencontre qui permet de casser ces dangereux poncifs, Eleonore représente un bel exemple de la diversité, de sexe mais aussi simplement de profils de ce qui constitue aujourd’hui ce corps de métier.

Pilote d’avion, c’est une réelle vocation?

Tout à fait. C’est particulier parce que mes deux parents étaient navigants chez Air France. J’avais une mère hôtesse de l’air et un père pilote, donc j’ai été immergée dans ce milieu dès mon enfance. Je n’ai connu que ça et pour moi travailler, c’était travailler dans l’avion. J’ai découvert en grandissant qu’il y avait d’autres métiers que ceux de l’aviation, c’est un peu le chemin inverse. J’ai fait 5 ans d’école d’ingénieur en ayant en tête que derrière je voulais faire pilote et ça m’a permis d’acquérir une certaine maturité, d’avoir un peu plus confiance en moi. J’ai passé le concours pilote à 23 ans, à la fin de mon école d’ingénieur, donc j’ai pu vraiment mûrir le projet et partir à l’étranger, ce qui m’a permis d’apprendre, de pratiquer vraiment l’anglais et d’être à l’aise. Donc à la base je suis plongée dans ce milieu-là mais, il y a eu une phase où je ne savais plus trop ce que je voulais faire et surtout où je n’étais pas sûre d’être capable de faire ça. Pour moi une fille c’était hôtesse de l’air, ce n’était pas forcément pilote donc j’ai mis un peu de temps. Mais c’est quand même venu assez vite, après mon école, je ne voulais qu’une chose, c’est être pilote.

En 2015 les possibilités pour une femme de devenir pilote sont-elles aussi difficiles qu’avant ?

Non je pense que le métier a évolué. Je pense que si on discute avec des femmes en fin de carrière aujourd’hui, elles nous diront qu’elles n’ont pas du tout connu la même chose que moi. Elles ont vraiment dû faire leurs preuves. Certaines volaient parfois avec des capitaines qui estimaient qu’une femme n’avait rien à faire dans un cockpit. Elles travaillaient dans le cockpit avec eux, mais eux ne voulaient pas qu’elles soient là. Ils ne les considéraient pas, ne considéraient pas leurs avis et pouvaient avoir des réflexions un peu limitées. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas, l’ambiance est très bonne. Bien sûr il y a des cas particuliers mais il y a des imbéciles partout. Ces personnes en question ne sont pas très sympas non plus avec les hommes pilotes d’ailleurs. Effectivement de temps en temps il y a des petits trucs mais c’est très rare c’est pour ça que ça m’embête presque de le dire. Pour certaines personnes, le fait que je sois une femme remet en question mes compétences, mais je pense que c’est inconscient et très rare. Ça a dû arriver 2 fois en 4 ans.

Aujourd’hui, comment tu penses être perçue dans le métier par les hommes ?

Je n’en sais rien, j’ai du mal à savoir. Les relations sont bonnes, je pense que dans un poste de pilotage ils me considèrent comme un pilote, peu importe le sexe. J’ai des choses à faire, on est chacun responsable de certaines tâches et ils attendent de moi que je me comporte comme un pilote. Après que je sois une fille ou un garçon, il y en a peut-être certains qui y sont plus sensibles que d’autres et que ça a dérangé au début. Franchement, aujourd’hui je n’y accorde plus tellement d’importance. Pendant ma formation et ma première année, j’y faisais beaucoup plus attention, j’avais du mal a assumer le regard des passagers au tout début. Les passagers nous voient dans la passerelle et quand ils voient une femme, ils regardent tous. Mais je ne pense pas que ce soit méchant, ils nous montrent à leurs enfants parce que c’est rare une femme  – on est entre 7 et 10% de femmes pilotes chez Air France – mais au début on avait du mal à assumer ce regard alors qu’aujourd’hui je m’en fiche complètement, ça me fait rire, c’est mignon. Parfois ça arrive que des femmes passent la tête pour me lancer un « félicitations » des choses comme ça. Alors quand on est deux femmes au poste… là je ne vous raconte pas, il y a pas mal des réactions. Au début c’est intimidant mais maintenant ça me passe complètement au dessus, je trouve ça marrant.

Ce sont des réactions positives le plus souvent ?

Je n’ai jamais vu frontalement des réactions négatives. C’est déjà arrivé à une de mes collègues mais encore une fois c’est très rare et c’était au tout début. Un passager a demandé à l’hôtesse : « Est ce que ce serait possible que ce soit le commandant de bord qui pilote l’avion ? » Parce qu’il avait pas confiance et qu’il avait peur que ce soit une femme qui conduise. L’hôtesse l’a envoyé bouler en lui disant « Écoutez, je vole avec elle depuis 3 jours ça se passe très bien il n’y a aucune raison d’avoir peur.» En plus, il était avec sa femme qui avait trop honte… Mais ça c’est une anecdote parmi tant d’autres. Autrement, il y a beaucoup de réactions positives, il y’a peut-être plein de gens qui pensent des choses négatives mais je n’y prête pas attention.

 

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On imagine que ce sont des pensées négatives et des doutes qui s’évaporent aussitôt l’atterrissage effectué ?

Oui voilà quand ils sont posés, c’est bon. Mais concernant la perception de mes collègues, j’ai un peu de mal à la formuler. Je ne sais pas réellement. Ça se passe bien, on s’entend bien. Je pense qu’à mes débuts j’étais impressionnée par les passagers, par le commandant de bord ; je pouvais être un peu sur la réserve, faire attention à ce qu’ils pensaient de moi mais c’est valable pour tous les débutants, même les hommes, réagissent de la même façon. Je pense que c’est plus lié au fait de débuter dans le métier.

Juges-tu égales les chances de réussite pour un homme et pour une femme ?

Oui je pense qu’à partir du moment où la femme s’intéresse au métier, il n’y a pas de raison qu’elle réussisse moins. Je pense qu’en France c’est de plus en plus dans les mœurs, même si on peut toujours tomber sur des instructeurs un peu macho, plus sévères. De plus en plus, les gens s’efforcent de se comporter de la même façon avec les hommes et les femmes. J’ai eu un instructeur qui était assez âgé et qui était un peu ancienne école, qui pouvait effectivement être un peu méfiant. Il était plus exigeant mais je trouve que ça rentre quand même dans les mœurs. Il y a 7% de pilotes femmes chez Air France, mais à la sélection, il y a aussi beaucoup plus d’hommes que de femmes. Je pense que si on n’est si peu, c’est que c’est un métier qui n’intéresse pas toutes les femmes ou alors qui, sous la pression sociale, se disent « je ne suis pas faite pour ça, je ne peux pas y arriver parce que je suis une femme. » Mais à partir du moment où on a le courage et l’audace et où elles se décident à aller à la sélection en se disant « je peux le faire », les chances sont quasiment égales.

On loue souvent certaines qualités des femmes est-ce qu’il y a une valeur ajoutée en tant que femme pilote ?

En ce qui concerne la manière de piloter je pense que homme et femme sont semblables, on n’a pas une manière particulière de piloter. Dans les relations humaines, j’ai l’impression que la sensibilité est une sorte d’intelligence sociale qui fait que la femme est plus sensible à chacun, ce qui qui lui permet, peut-être, de comprendre davantage le fonctionnement d’un groupe. Un pilote décolle et atterrit mais il y a beaucoup de relations humaines, la gestion d’un équipage c’est surtout des facteurs humains. Au final il y a 50% d’humain et 50% de technique. Oui je crois que la femme a peut-être un petit avantage la dessus et je remarque que voler avec des femmes ou avec des hommes, c’est différent. Il n’y a pas de moins bien ou de mieux mais c’est très différent, c’est une autre ambiance, une façon de présenter les choses différemment. C’est intéressant d’avoir cette diversité.

Est-ce que tu vois ta réussite dans ce métier comme un exploit ou comme quelque chose de normal ?

Je ne vois pas du tout ça comme un exploit sinon j’aurais les chevilles comme ça ! Non mais le truc c’est qu’au début j’étais pas sûre d’y arriver et malgré ça, j’ai quand même persévéré et pour moi une fois que j’y suis ce n’est pas un exploit. Une fois que j’y suis je me dit que c’est accessible à plein de gens beaucoup plus que ce que les gens pensent. C’est à dire que je pense qu’il y a plein de femmes qui se mettent des barrières toute seule, c’est un peu dû à la société tout ça et non pour moi ce n’est pas un exploit, c’est accessible à toutes les femmes.

Aujourd’hui que signifie la Journée de la Femme concrètement pour toi ?

Franchement la Journée de la Femme pour moi, c’est tous les jours ! Je trouve ça dommage de devoir attendre la Journée de la Femme pour faire cette interview par exemple. Je n’y suis pas spécialement sensible, je n’ai pas particulièrement l’impression d’être honorée. C’est peut-être l’occasion de parler de ce genre de sujet parce que socialement c’est un sujet intéressant, il y a encore plein de choses à faire mais moi je ne vais pas avoir un comportement différent ce jour-là. Je rentre de vacances, je pense que je ne vais rien faire de particulier j’irai peut être voir l’interview sur le site. Si ça a une symbolique pour certaines, tant mieux. Je ne vais pas me dire que c’est scandaleux de faire une Journée de la Femme, si ça peut faire plaisir à certains pourquoi pas si c’est l’occasion de parler de sujets intéressants. Après je trouve qu’on pourrait aussi parler de ces sujets tout au long de l’année.

Quelles difficultés tu rencontres au quotidien en tant que femme ?

Je n’ai pas l’impression de rencontrer des difficultés au quotidien. Cela fait quatre ans que je suis pilote, j’ai eu le temps de cerner le truc et j’ai pu prendre mes marques. J’ai eu des pertes de confiance pendant ma formation mais ce n’était pas lié au fait d’être une femme, même si évidemment ça participe car on nous parle souvent des femmes qui ont échouées et qui se sont fait virées de la formation. Comme on est peu, dès qu’on fait quelque chose tout le monde le sait et ça qui peut fragiliser notre confiance en nous. Au début le regard des passagers pouvait me déstabiliser, je ne savais pas comment me placer par rapport au commandant de bord, j’étais un peu sur la réserve ; alors que maintenant je suis spontanée. Le comportement quand on n’a pas confiance en nous ça se sent et du coup la personne va pas avoir confiance. Ce n’est pas un poids au quotidien au contraire. Je suis très contente je ne me dis pas du tout que si j’étais un homme ce serait plus facile.

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