Ex-Ile, Le Spleen ou leur idéal

Il y a quelque chose dans l’air. Tel est le sentiment qui m’habite et m’anime depuis maintenant quelques mois. Mes neurones et mes sens frétillent occasionnellement depuis ce laps de temps. Que se passe t-il ? Je n’avais plus ressenti pareille chose depuis un moment. Lequel vous demandez vous ? Mon dernier souvenir remonte au changement de Ronaldo suite à la blessure provoquée par le marseillais Dimity Payet lors de la finale de la coupe d’europe l’année dernière. Bref, si mon intuition ne me fait pas défaut, quelque chose est sur le point de se produire et je n’arrive pas à savoir quoi. Toujours est-il qu’en cette journée printanière, des effluves de chaleurs me caressent les joues. Il fait beau, et mon collègue et moi marchons d’un rythme soutenu – car en retard pour notre rendez vous de 14:45 – en direction de la place de la Bastille.

 

Photos : @lebougmelo

 

Tarik a 22 ans, Léo lui en a 21. Ils viennent tous les deux de Noisy le Sec dans le 93. Avant qu’Ex-Ile ne naisse, les garçons se sont rencontré il y a environ 6 ans par le biais d’amis en commun. Tarik faisait déjà de la musique avec un de ses potes, Léo connaissait son petit frère et c’est ainsi qu’ils ont commencé à tous trainer ensemble. Au fur et à mesure, ils forment un groupe et se retrouvant notamment des points communs sur certaines idées ou centres d’intérêt comme le skateboard. C’est ainsi qu’ils parcourent tout Paris à la recherche du bon spot pour pratiquer leur passion. Finalement il ne reste que les deux compères, Léo observe Tarik s’adonner à cette autre passion qu’est la musique. Ils évoquent leur admiration pour le groupe Phoenix (grosse pierre angulaire dans leur musique), le rock et les synthés tout en bidouillant des logiciels de composition musicale. Tous les deux évoquent le fait que dès le départ leur musique est hybride grâce à leurs influences pop, rock (Red Hot Chili Peppers, Rage Against The Machine…) et rap à travers les vidéos Rap Contenders et la mouvance 1.9.9.5. Et s’ils se construisent un bagage musical ensemble, c’est chacun de son côté qu’ils sont initiés à certaines musiques. Leo se rappelle : « tout ce qu’on écoutait dans la cour de récré c’était les grands qui nous faisaient partager ce qu’ils écoutaient comme 50 Cent par exemple. Mes parents sont aussi de grands amateurs de musique et des classiques comme The Velvet Underground ou encore Etienne Daho, etc. J’ai donc aussi eu toute cette culture que mon père m’a transmis. »

 


« Notre philosophie, c’est de ne pas voir en fonction du style mais plutôt de la valeur et de la qualité de la musique »


 

 

Et quand je leur parle de cette nouvelle génération décomplexée qui n’a que faire des étiquettes, le duo glousse et leurs yeux s’illuminent presque, comme lorsqu’on s’apprête à sortir un bon mot, sûr qu’il fera sourire voire rire dans le meilleur des scénarios. C’est ainsi que Tarik explique : « C’est comme à l’époque du collège, il y avait cette espèce de guerre des styles musicaux, certains écoutaient du rock, les autres écoutaient du rap. C’était super cloisonné, mais même si l’on se retrouvaient plutôt dans l’un des deux styles, la vérité c’est qu’on se sentaient obligés d’écouter de tout. Mais j’ai l’impression que c’est moins le cas aujourd’hui et c’est tant mieux car ça permet de créer quelque chose d’hybride. »

 

Hybride, encore et toujours ce même mot. Comme s’il cristallisait l’essence même du groupe, que ce soit dans leur identité propre ou dans le style de musique qu’ils proposent. La sérénité qui se dégage d’Ex-ile est très intéressante, je n’ai pas l’impression qu’ils trichent et je sens que leur démarche est très organique. À bien des égards ils me rappellent Candide, pourtant il y a ce soupçon de pragmatisme qui les replace de facto du coté de l’image que Jean Jacques Rousseau se faisait de l’enfant. Mais aurais-je le culot de les associer à la représentation que Locke se faisait des jeunes personnes ? Ces fameux enfants-adultes ? Seul l’avenir nous le dira.  En attendant, Tarik se fend d’une nouvelle phrase lourde de sens, ciment de leur réflexion :  « Notre philosophie, c’est de ne pas voir en fonction du style mais plutôt de la valeur et de la qualité de la musique. » Si tout était si simple…leurs intentions sont louables mais la dure réalité de l’industrie musicale finira par les rattraper tôt ou tard, personnellement je leur souhaite de s’en rendre compte le plus tard possible. Léo, le plus en retrait dans l’échange que j’ai avec le groupe, intervient en précisant que ce brouillage des genres est beaucoup plus présent dans le rap : « Tu peux permettre de tout faire tant que c’est bien fait. Toutes ces musiques que l’on écoute, c’est ce mélange qui nous nourrit. Au final, c’est juste de la musique alors pourquoi ne pas essayer tout ce qu’on a envie d’expérimenter ? »

 

 

Le groupe se défend de brouiller les pistes intentionnellement mais comprend que le public puisse se sentir déboussolé par leur identité musicale sans frontières nettes et précises. Ne pas donner au public ce qu’il attend mais proposer quelque chose que ce dernier pourrait aimer, là est leur défi le plus intéressant : « Il y a un confort dans ce schéma tout entendu, nous on souhaite provoquer ce déclic qui va emmener l’auditeur à découvrir un truc différent. Ce qu’on trouve cool c’est de déranger l’auditeur qui a ses habitudes. S’il a l’habitude d’écouter du rock alors à un moment donné tu vas foutre une inspi rap et s’il kiffe, à ce moment là tu as gagné car tu lui as ouvert le champ des possibles, tu l’as initié à un autre style.», précisent les deux compères.

 


« Je pense que les gens qui ne prendront pas le temps d’étudier notre musique feront un raccourci et diront qu’on fait de la pop urbaine »


 

 

Est-ce qu’Ex-ile est Cloud, est-ce qu’ils sont rap ou encore chanson française ? Là n’est pas la question. Leur réflexion va bien plus loin à l’image de cette nouvelle génération qui n’a que faire des règles et des coutumes. Le groupe est friand de mixité et semble exécrer cet inceste intellectuel qui gangrène les sphères artistiques mais pas que : « Je pense que les gens qui ne prendront pas le temps d’étudier notre musique feront un raccourci et diront qu’on fait de la pop urbaine. Ça nous dérange d’être catégorisé comme tel parce qu’au final ce terme ne veut rien dire. » rajoute Tarik. C’est vrai. Les deux amis m’expliquent ainsi qu’à défaut de savoir chanter, ils utilisent des logiciels de traitement de voix car si le chant n’est pas leur fort, ils tiennent à s’exprimer de cette façon, à moitié parlé et à moitié chanté. Pour eux, c’est le meilleur moyen trouvé pour proposer leur musique. Ce compromis leur va comme un gant. À ce titre, la démarche du groupe est symbolique et dès lors, il est judicieux de penser que cette nouvelle direction musicale sera de plus en plus plébiscité. Doc Gynéco en son temps, Triple Go et PNL plus récemment ont ouvert la voie à ce mélange des genres. Pour le meilleur, certainement pas pour le pire. Don’t believe ? Just watch.

Le temps de ranger notre matos et de saluer tout le monde et nous nous retrouvons dehors. Melo s’arrête au niveau du passage clouté, se retourne et me regarde : « Y’en a qui abusent. Ils font semblant de ne pas nous connaitre. Alors qu’ils savent. Ce sont des hypocrites, ça me saoule. » Le soleil – qui avait eu l’air d’imposer sa loi en cet agréable après midi – voit ses plans être momentanément contrariés par l’apparition d’un épais manteau nuageux. Je jette un coup d’œil à l’écran de mon téléphone pour connaitre l’heure. 15:50. Le feu passe au vert.

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