Fary : « Les médias ont réduit le Jamel Comedy Club à un humour communautaire »
Sa tête est partout : sur ta ligne de métro, sur les plateaux de télévision et sur les différentes scènes parisiennes… Et le 15 mars prochain, sa tête s’exportera dans la prestigieuse salle du théâtre du Châtelet pour sceller le succès de son spectacle : Fary is the new black. Du coup, on s’est demandé ce qu’il y avait dans sa tête. Il nous a gentiment laissé y pénétrer.
Photos : @lebougmelo
Fary, en as-tu marre de faire des interviews ?
[Il rigole, ndlr] J’aime bien le début de ton interview en tout cas. Ça dépend. Ce qui me gêne, c’est quand je n’ai pas l’impression de parler avec quelqu’un. Quand tu réponds à la personne et qu’elle te dit : « Hmm ». Lorsque ce n’est pas une discussion ça devient vite relou mais à part ça je n’ai pas de problèmes avec les interviews. Ce qui me dérange ce sont les plateaux télé. Tu verras tout à l’heure pendant la séance photo, je ne suis pas très à l’aise devant les objectifs. Les caméras ne me gênent pas, c’est plus le fait de savoir que mes faits et gestes sont analysés. C’est un peu comme la première rencontre avec ta belle-famille : tu dois prouver que tu es un mec super.
J’ai regardé beaucoup de tes interviews et les mêmes choses ressortent souvent. Systématiquement, tu expliques que tu as commencé à écrire tes premiers sketchs grâce à ta prof d’histoire. J’ai le sentiment que, soit les journalistes sont devenus fainéant, soit on te demande à chaque fois de mettre en avant les mêmes traits de ta personnalité.
Ce qui est relou c’est d’avoir l’impression de se répéter, c’est pour ça que quand je le raconte, j’essaie toujours de le faire d’une manière différente. Mais quand la question c’est : “Comment tu t’es lancé dans l’humorisme ?”, je suis obligé de répondre ça, parce que je n’ai pas d’autres histoires.
« Quand j’ai commencé, j’ai eu cette réflexion sur le rythme de la plupart des humoristes, ils vont vite et ont parfois même peur de poser le jeu. »
Comment tu étais avant de faire tes premiers pas sur scène ?
Depuis tout petit mes parents me poussent vers des domaines artistiques. Ma mère me racontait souvent que je jouais avec le balai quand j’étais plus petit, je m’en servais comme si c’était une guitare. J’étais un grand fan de Michael Jackson, je l’imitais tout le temps. Je pense qu’au-delà d’une fibre humoristique, j’avais une fibre artistique. En grandissant j’aurais pu faire autre chose mais je serais resté dans ce domaine. Dans la danse, la musique… Tant que je reste dans le milieu de l’art, je suis épanoui.
Tu avais donc plusieurs possibilités mais à quel moment le choix s’est dessiné ?
C’est là qu’intervient mon oncle. C’est lui qui m’a poussé à devenir humoriste. Il me disait : « Tu es fait pour ça ? » À cette époque, j’étais un grand fan de Jamel Debbouze, je connaissais par cœur son spectacle et je le reproduisais. Le premier sketch que j’ai fait c’était l’un des siens. À la maison, j’étais tout le temps en train de faire le con avec mon cousin qui est mon partenaire de tous les jours. On reprenait les mimiques de nos parents, grands-parents, pour amuser tout le monde. Ils ont très vite dessellé cet aspect de ma personnalité.
J’ai été au spectacle la semaine dernière et j’étais assis tout au fond. À un moment, pendant la première partie, je te vois arriver par la sortie de secours et te poster au dernier rang. C’est un rite de prendre la température de la salle avant de monter sur scène ?
Oui, j’aime bien sentir l’ambiance. C’est comme toucher l’eau avant de plonger. Étant donné que ce sont des camarades qui font mes premières parties, j’aime bien observer la réaction du public. [Fary interrompt l’interview : « Elles sont chanmées tes chaussures. Je suis un fan absolu de tes baskets. »] Le fait d’arriver avant me permet de mesurer l’atmosphère de la salle.
Pourtant tu avais tes écouteurs.
Ouais c’est vraiment l’atmosphère qui m’intéresse. Je ne mets pas le son à fond dans mes écouteurs pour pouvoir entendre les rires. J’aime bien avoir du son avant de monter sur scène et je ne veux pas choisir entre regarder la première partie et écouter de la musique. Je fais les deux en même temps. Parfois je coupe le son si je sens que la première partie n’emballe pas trop le public, pour pouvoir me faire mon propre avis, mais quand ça rigole vraiment fort j’écoute ma musique tout le long.
Quand je t’ai découvert, la première chose qui m’a surpris c’est ton flow, notamment la façon dont tu mets du silence dans tes sketchs. Aujourd’hui j’ai le sentiment que la majorité des humoristes optent pour un rythme effréné. C’est important pour toi de mettre des pauses ?
C’est un truc qui vient du théâtre. Au théâtre, les silences sont importants. Ce sont des moments qui me plaisent parce que je sais que va suivre une blague qui va assommer le public. Quand j’ai commencé, j’ai eu cette réflexion sur le rythme de la plupart des humoristes : ils vont vite et ont parfois même peur de poser le jeu. Parfois un silence peut être drôle. Il y a plein de moments où le silence avant une de mes répliques fait rire les gens. Un silence peut vouloir dire quelque chose. Je suis un grand fan de Gaspard Proust qui l’utilise pas mal aussi. Le stand-up aux États-Unis est beaucoup plus lent qu’en France et il y a un côté presque exagéré parfois. Lorsqu’une vanne marche très bien, ils ont tendance à attendre que le rire s’éteigne vraiment avant de reprendre. C’est déstabilisant parfois.
« Avec Elie Kakou, il n’y a pas vraiment de vannes, c’est juste un génie de l’humour. »
Tu contrôles à chaque fois ou tu te laisses guider par les réactions du public ?
Je ne peux pas imposer ce rythme. C’est un peu comme une conversation avec le public, c’est un échange, on crée une ambiance. Il y a des moments où je vais accélérer parce que je ne les sens pas chaud et d’autres moments où je prends vraiment beaucoup plus de temps.
Tu disais dans une autre interview que tu aimais que tout soit réglé de manière très précise.
Ça fait partie des exigences du stand-up. Avec le Jamel Comedy Club, on a eu une première floppée de « stand-upper » français. Le stand-up est en constante évolution et c’est un domaine très précis. Tout son art est de faire croire que je pense ce que je raconte au moment où je le dis. Chaque phrase, chaque virgule, chaque silence est pensé à la seconde près. Parfois sur une phrase, il va y avoir un mot plus drôle que d’autres et c’est ce mot là qui va rendre la phrase amusante en live. Il y a des silences plus ou moins longs, c’est à ces moments que je vais m’accorder une part de flexibilité.
La première fois que je t’ai vu sur scène tu m’as fait penser à Elie Kakou dans ton phrasé…
Je ne te crois pas, tu es la première personne à me dire ça. C’est marrant parce que c’était mon idole. Quand j’ai vraiment commencé à m’intéresser à lui, j’étais fou de lui, j’ai appris que ça faisait 3 ou 4 ans qu’il était mort [rires]. C’est horrible. C’est comme un petit aujourd’hui qui commencerait à aimer Michael Jackson aujourd’hui. Je me repassais en boucle ses sketchs, notamment ceux de l’époque où il était au Point-Virgule. C’est un de ces mecs, avec Jamel Debbouze, qui m’a donné envie de faire de la scène. Jamel est un modèle de réussite et Elie Kakou m’impressionne dans la maîtrise des personnages. Il n’y a pas vraiment de vannes, c’est juste un génie de l’humour.
En quoi le Jamel Comedy Club t’as permis de passer un cap dans ta carrière ?
Au Jamel Comedy Club, c’est mon deuxième passage qui a vraiment fonctionné, bien que j’avais déjà été remarqué lors de ma première apparition. Au départ, j’avais peur du Jamel Comedy Club, je ne voulais pas être catalogué dans ce que les médias ont voulu en faire, c’est-à-dire un endroit de banlieusards où l’on pratiquerait un humour communautaire. Je ne voulais pas y aller pour éviter d’être stigmatisé. Mon metteur en scène Kader Aoun, qui a toujours été un mentor pour moi, m’a permis de réaliser que c’est en y allant que j’allais pouvoir faire partie des humoristes qui allaient changer cette image. J’y suis allé en me disant que j’allais peut-être donner un souffle au stand-up français. Aujourd’hui c’est presque un passage obligatoire.
J’ai l’impression que ça a l’air de te gêner que le stand-up soit automatiquement affilié au Comedy Club.
Ce qui me gêne c’est plus le fait que le stand-up du Comedy Club soit associé à quelque chose de communautaire. Quand une nouvelle discipline arrive, il faut lui laisser le temps de se développer. On n’a pas donné le temps à cet art de mûrir et déjà on le catégorise comme quelque chose de communautaire.
Mais tu ne trouves pas que le Comedy Club a uniformisé un humour communautaire ?
Les mecs qui sont arrivés ont juste parlé de choses qui les faisaient rire. L’art du stand-up et du one-man-show est de raconter son quotidien. Moi mon quotidien c’est la banlieue, c’est des potes qui ont des oncles qui ne parlent pas bien français. On n’a pas laissé le temps à cette discipline de se développer et de tendre vers autre chose alors qu’aujourd’hui c’est en train de se faire naturellement.
« C’est très dangereux de faire intervenir Kader Aoun à la fin parce qu’il risque de te dire de modifier ton texte. »
Je pense qu’il ne s’agit pas forcément d’une question de temps. Pour moi le tandem Jamel Debouze et Kader Aoun a tellement façonné l’humour français contemporain. Ils ont créé une école.
C’est ce que l’on croit mais pas tant que ça… Jamais Kader et Jamel ne vont encourager les humoristes français à faire des accents ou à parler de la banlieue, ils vont leur montrer Chris Rock ou Eddy Murphy qui sont des mecs qui parlent de leur quotidien. Quand tu prends ces mecs-là en exemple tu dois parler de ton quotidien à toi. La plupart des humoristes parlaient de la banlieue, des communautés mais si tu regardes des mecs comme Fabrice Eboué, Mathieu Madénian, ils ne parlaient pas de ça. On est en France donc forcément on a choisi ce qu’on a voulu raconter du Comédie Club. On ne va pas s’arrêter sur un mec comme Yacine Belhousse ou une meuf comme Blanche mais on va prendre ceux qui parlent de banlieue, qui parlent de trucs communautaires et qui font des accents parce que ça arrange les médias.
Jason Brokerss qui a fait un passage au Comédie Club mais qui est un humoriste qui n’a pas encore explosé aux grands jours. C’est quelqu’un qui écrit et qui coécrit beaucoup pour toi mais aussi pour d’autres. Peux-tu nous parler de lui ?
J’ai rencontré Jason au Paname Art Café, c’est là où je teste mes sketchs et lui avait commencé à faire le Labo du Rire, les scènes ouvertes du Paname. On est souvent tous en train de bosser, à parler de nos vannes et lui il répondait hyper-vite. Je ne suis pas seul à penser ça, beaucoup considèrent que l’humour n’est pas quelque chose que l’on fait seul. Le tout découle d’une discussion donc le co-auteur est essentiel. Ça faisait des mois et des mois que je cherchais un mec comme ça et il est arrivé un peu de manière magique. Il répond vite, il comprend mon humour, du coup on a commencé à écrire ensemble. Tout s’est passé rapidement. Les choses commençaient à bien marcher pour ma part, j’étais déjà dans la tournée nationale du Comédie Club. C’est un milieu où on se connaît tous donc il a commencé à être demandé. C’est allez très vite pour lui aussi. Il a commencé à bosser avec Younes & Bambi ensuite avec Alban Ivanov et d’autres. À la fin de l’année, il écrivait même les inter-sketchs de Jamel.
Pourquoi as-tu choisi d’écrire avec lui en particulier ?
Il a une facilité à trouver la vanne. Ce qui marche bien entre lui et moi, parce que je considère qu’on est un duo car on écrit aussi sur son spectacle, c’est qu’on va trouver assez facilement l’idée, le concept. La plupart du temps j’ai l’idée et on va ensuite la préciser ensemble avant de trouver les vannes. Il va m’aider à trouver les bons mots, il va me rassurer sur le fait qu’une vanne est drôle ou non. C’est en ça que son rôle est essentiel. Notre relation est particulière parce qu’on a la même vision de l’humour, on a les mêmes envies et les mêmes ambitions.
A quel moment intervient Kader Aoun ?
C’est très dangereux de le faire intervenir à la fin parce qu’il risque de te dire de modifier ton texte. En général, c’est lui qui a la brillante idée de dire : « Il faut parler de Christiane Taubira. » Il m’explique qu’il ne faut pas que je sois choqué par le fait qu’on l’ait traité de singe. À partir de cette réflexion, je vais en discuter avec Jason, pour voir si on est d’accord avec cette théorie. Au final on se rend compte que si je me vexe qu’on me traite de singe c’est que j’ai l’impression que c’est possible que j’en sois un. C’est Kader aussi qui va te dire : « Il faut écrire un truc sur les réseaux sociaux. »
Du coup il intervient un peu comme un directeur artistique ?
C’est exactement ça. C’est lui qui m’a poussé à être plus accessible dans mon personnage. C’est lui qui m’a aidé à me lâcher sur scène.
Au niveau de la mise en scène, c’est aussi lui qui t’apprend à utiliser l’espace ?
Ce n’est pas ce genre de mise en scène dans le stand-up. Tout est basé sur l’écriture et ce que tu vas raconter. Il m’a aidé à orienter mon écriture pour viser un public ciblé. Il m’expliquait que ce n’était pas possible qu’il n’y ait pas de Noirs dans la salle et que s’il n’y en a pas, c’est parce que je ne parle pas assez à ces gens-là. Il faut que j’arrive à proposer quelque chose qui les touchent et qui les concernent. Il faut qu’ils se sentent représentés par ce que je raconte et que ce que je raconte soit inscrit dans le temps. Aujourd’hui tu ne peux pas être sur scène et ne pas parler de Facebook, d’iPhone ou de Christiane Taubira.
Est-ce que c’est cet ensemble qui te pousse à dire que le stand-up est un art ?
La peinture est un art parce qu’il y a un travail de recherche et de création qui découle d’une inspiration. C’est la même chose avec l’humour, c’est de la création. Au-delà de la performance et le fait de faire rire quelqu’un, il faut prendre en compte la forme. Avec mes vannes, je vais te rappeler un moment que tu as déjà vécu mais sous un autre angle. Il y a quelque chose de poétique là-dedans. En ce sens, l’humour est de l’ordre de la création et découle d’une personnalité, d’une manière de faire. Ça touche les gens à un niveau émotionnel, c’est forcément de l’art.
L’entretien se termine, on n’a parlé de plein de choses intéressantes mais c’est drôle parce qu’en interview on te parle presque seulement de tes vêtements
C’est dingue, mais ça fait partie du jeu. C’est la première chose que les gens remarquent et c’est une sorte d’appât. C’est évidemment quelque chose qui fait partie de ma personnalité parce que l’esthétisme que je cultive ne se ressent pas seulement dans la manière dont je m’habille mais aussi dans la manière de me déplacer, de parler, d’aborder les gens. C’est quelque chose qui fait partie de ma personnalité. Je suis comme ça dans la vie de tous les jours.