Focus vol. 1 de Di-Meh : la France tient son Travi$ Scott et il est Suisse

La Suisse est riche. Oui, la Suisse est riche, et pas que pour des histoires de coffre-forts et de flux financiers. La Suisse est riche comme le cœur de ses habitants (les plus heureux du monde parait-il), riche comme son chocolat (celui que tu offres quand tu veux transpirer la prospérité), riche comme la musique de son nouveau joyau aussi. Celle du jeune foufou DI-MEH, qui nous offre ce 10 mai son attendu premier album Focus part. 1. Chronique.

Tête la plus connue de SuperWak, clique de goons à l’énergie oddfuturesque, DI-MEH est l’un de ces francophones qui ont traversé les frontières musicales pour arriver aux oreilles averties de l’Hexagone en 2015, comme Damso, Hamza ou Makala. A l’époque, c’est son Fu-Gee-La 2.0 en compagnie de Népal qui tape le score, avant que quelques hits et deux projets (Entre le rap et la vraie vie en 2015 puis Shine en 2016) ne commencent à sérieusement faire grossir sa hype. Et, dès la première phase de ce morceau qui l’introduisit à bien des oreilles en France, le Genevois prononce des mots qui résonnent encore dans nos oreilles deux ans plus tard: « J’kicke sur de la trap, mais j’peux donner ça à l’ancienne tah l’époque Fu-Gee-La ». Pourquoi? Parce que dans ce premier album, DI-MEH glisse entre tous les styles de rap comme Roger Federer se balade sur toutes les surfaces.

Un sacré méli-mélo d’influences, de flows, d’ambiances, donnant cette impression de se balader dans une grande jungle urbaine encore plus multicolore que la cover du projet. A commencer par le morceau-phare, celui balancé depuis déjà quelques mois et qui porte le nom de l’album: Focus. Sur une mélodie de BaxTer (Rohff, Sadek, Beeby, …) qui aurait sa place dans la comédie musicale préférée de ta maman, le « jeune rebeu sûr de lui » pue l’aisance, étalant sa malice à longueur de flows tantôt tendus, tantôt enveloppants de douceur. Trois minutes délicieuses, comme celles dont on a besoin au petit matin, quand le crâne se fait embrumé et le temps pluvieux, capables de nous faire sourire la gueule collée contre les vitres d’un bus inaccueillant et crasseux. Une belle mise en bouche annonçant l’album, tout en offrant des sonorités que l’on n’entend dans aucun autre track, illustrant la polyvalence du rap de DI-MEH qui ne se cale dans aucune case. Parfois ragga ou reggae, très trap sur celui-ci, toujours kickeur, l’homme est autant un gosse des Sages Po que de G.O.O.D Music ou Shabba Ranks. Et sa musique s’en ressent.

C’est une constante: DI-MEH ne sait pas être ennuyant. Et cette musique en mouvement permanent, elle a un but. Ce qu’il veut ? Créer des mouvements de foules en concerts. Chaque fois qu’il s’énerve, que ses ad-libs deviennent sauvages, qu’une basse se calme puis repart, tout cela semble porté vers un sacrosaint lieu: la scène. Ce qui apparaît dès l’introduction, où sa voix se fait insolente pour scander « Sur la scène, fout un tel bordel ». Et qui nous mène à l’influence la plus reconnaissable sur l’album… Travis $cott. Soit probablement le rappeur américain le plus taré en live de la scène actuelle.

Attention, il n’est pas question ici de pompage mal camouflé, non. Clairement, Travis $cott l’a marqué et il l’assume musicalement. Qu’il s’agisse de la profondeur des ad-libs autotunés, des « Yah » ou des refrains. Dans JabbawockeeZ, Hype (le surpuissant featuring avec Veerus, autre rappeur universitaire qui s’apprête à jouer la draft), Ennemis (avec Népal, again) et Agité, notamment. Jusqu’à reprendre ces cris identifiables entre mille du rappeur de H-Town dès que possible. Cet album est hanté par la pesante puissance de l’Américain, mais DI-MEH ingère cette puissance pour la recracher au milieu d’une fumée si épaisse qu’elle ne donne pas l’impression d’en faire un copy-cat. Ce dense nuage, c’est sa personnalité musicale, son egotrip apaisant, ses influences vocales caribéennes, son amour de la  ride (mention spéciale à No Stress) en planche ou sur jantes chromées. Il arrive à isoler les aspects les plus marquants de l’auteur de Rodeo et à les greffer sur sa personnalité plus chill. Et si l’influence du protégé de Kanye West sur les rappeurs français de 2017 est évidente, peu atteignent le niveau de subtilité de l’Helvète.

Et si cet album est un souffle de fumée dense, c’est que les beatmakers s’y sont gaiement mélangés au tabac et au pollen. Aucune des prods ne semble négligée, on est très loin des albums de rookies sur type beats. Et pour cause, le rappeur signé chez Colors Records s’est bien entouré. À commencer par les trois beats entrainants de Nnnurah, tantôt groovy comme sur un Mauvais Oeil où Di-Meh se fait « suc*r dans le V.I.P comme B.I.G », tantôt orgueilleux avec un Jabbawockeez laissant la part belle à un sample qui sent bon le Texas. Déjà présent sur le projet précédent, voilà un autre jeune genevois qui risque de sacrément faire parler de lui à l’avenir. Tout comme Lex, autre quasi-inconnu déjà aperçu en compagnie de DI-MEH, présent sur un Todo qui roule à 300 kilomètres heure ou sur le sombre Benz en compagnie de SlimKa. Piste sur laquelle deux des têtes d’affiche de SuperWak viennent montrer à la France entière qu’ils ne sont pas venus là pour jouer les clowns de service. Ainsi que sur Agité, outro sous forme de cerise au plomb sur le gâteau de l’album. Et qu’on imagine facilement en guise de coup de feu final dans les futurs shows du bonhomme. Sans oublier les deux instrus offertes par Sear Cabe: Ennemis, où Népal s’incruste pour un kickage détendu en duo d’un beat des plus vitaminés, suivi d’un No Stress sentant fort le cuir vieilli d’une BMW Série 6 première génération longeant le lac de Genève. Sans oublier BEAR-A-THON derrière l’hypnotisant Size, BaxTer (Focus) et Platinumwave (Hype).

Quelle drôle d’impression que laisse donc ce premier album de Di-Meh. On en ressort comme on sort d’un concert qui nous a épuisé. Tant de puissance, mais une impression de sérénité et non de haine qui en ressort. De la colère toutefois, DI-MEH est là pour hocher la tête tous nerfs tendus dans les clips. Mais une malice tranquille habite sa voix. Peut-être toutefois lui reprochera-t-on de ne pas avoir balancé un ou deux morceaux de plus comme Focus ou Hit-A-Lick à l’approche de l’été. Ceci n’étant qu’un détail sur un premier album réussi. Qui a tout pour amener la caisses des bars de salles de concert à se remplir, et pour imbiber de transpiration les hoodies Palace de son public. Que ce soit le 13 Mai prochain avec SlimKa en première partie de Panama Bende à la Cigale, ou le 16 Juin au soir, quand ces deux-là et leur compère Makala viendront incendier la scène de la Maroquinerie dans le cadre de leur XTRM Tour. Avant, un mois plus tard, de venir étaler ses skills en solo devant le public du Dour Festival 2017.

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