« Fuck Donald Trump », un cri sans écho ?

On n’en voyait plus le bout, et pourtant, le cirque électoral que nous ont offert les États-Unis en 2016 s’apprête enfin à toucher à sa fin. Après de longs mois de campagne et des semaines d’un interminable débat qui a fait passer « Yo Momma » pour un échange d’adultes matures et courtois, l’Amérique connaîtra ce mardi 8 novembre le nom de son prochain président. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat du vote respire plus la crainte que l’attente. La faute à l’intrusion de Donald Trump, un personnage haut en couleur, au teint orangé, au toupet blond et aux idées noires, qui se présente comme une épée de Damoclès planant au-dessus du drapeau étoilé. Alors que sa candidature aux primaires républicaines était donnée largement perdante à ses premiers balbutiements, en juin 2015, le milliardaire fait aujourd’hui figure de concurrent crédible à l’investiture présidentielle avec 46% des intentions de vote. Une folle ascension qui n’a été freinée ni par la xénophobie latente de son discours, ni même par l’absurdité de son programme. Celui-ci implique entre autre la construction d’un mur entre les USA et le Mexique, afin de limiter drastiquement l’immigration des Mexicains, qualifiés de « violeurs » et de « criminels ».

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À Los Angeles, loin de New York et de sa Trump Tower, le candidat républicain est pourtant très loin de faire l’unanimité. Ici, les Hispaniques représentent près de 45% de la population et il suffit de se rendre sur le Hollywood Walk of Fame – où l’étoile de Trump est régulièrement vandalisée – pour mesurer son impopularité.

Keenan Jackson Jr. est un pur produit de la ville des anges, « born & raised ». Et comme beaucoup, il n’a que très peu goûté aux propos tenus par le milliardaire de 70 ans. Celui que l’on connaît sous le nom de YG a grandi à Compton avec des Mexicains pour voisins, camarades, et partenaires en affaires. Entre les communautés noires et latinos, le respect est mutuel, même si leurs relations sont souvent envenimées par les guerres de gang : « Beaucoup de mes fans sont hispaniques. Ils me supportent en achetant mes albums, en portant mes fringues, en venant à mes concerts. […] Il y a beaucoup de quartiers et de gangs hispaniques qui sont en embrouille avec des Noirs, donc il y a beaucoup de fusillades, de meurtres et de tensions qui persistent. Mais d’un autre côté, tu vas rentrer chez toi et ton voisin d’à côté sera probablement Mexicain » expliquait-il au magazine i-D.

Impensable donc de laisser cette communauté subir le mépris flagrant de Donald Trump sans rien faire. Le moment était venu pour YG de prendre la parole : « Je me suis dit « Plus personne ne fait quelque chose de concret pour vous ? Personne ne parle pour vous ? Pas de soucis, n’en dites pas plus, je vais m’en charger ». » Le point de départ d’une véritable croisade anti-Trump de la part du rappeur américain.

« Je me suis dit ‘Plus personne ne fait quelque chose de concret pour vous ? Personne ne parle pour vous ? Pas de soucis, n’en dites pas plus, je vais m’en charger' » – YG

Depuis mars 2013 et la sortie du morceau « FDT », il ne s’est pratiquement pas passé un mois sans que YG ne fasse une apparition pour réaffirmer sa haine à l’encontre du candidat républicain. Le 18 avril, le clip de « FDT » se trouve ainsi publié sur WORLDSTARHIPHOP, quelques semaines après que son tournage, interrompu par une intervention des forces de l’ordre, ait fait grand bruit sur les réseaux sociaux. En mai, Ted Cruz et John Kasich se retirent de la course à l’élection primaire républicaine, laissant la voie libre pour Donald Trump et poussant YG à réitérer, un mois plus tard, en transformant son morceau en une campagne publicitaire, réalisée par le site Genius. « FDT » se décline sous toutes les formes possibles, à tel point que la stratégie globale de promotion de son album Still Brazy semble se centrer entièrement autour de ce seul titre. Le morceau bénéficie d’abord d’un remix « FDT Pt. 2 », publié en juillet, sur lequel YG invite G-Eazy et Macklemore, « les deux plus gros rappeurs blancs du game » selon ses propres dires. Il se transpose ensuite sur un t-shirt de la marque 4Hunnid, sur lequel le nom de Donald Trump est ostensiblement rayé et dont le lookbook le fait porter dans une femme en hijab. Au vu de la position de Trump vis-à-vis des femmes et des Musulmans, la symbolique est forte. Enfin, un Fuck Donald Trump Tour est annoncé par le rappeur au courant du mois d’août, comme le prolongement ultime de sa propre campagne.

My President is Black

Seulement, affirmer avec virulence que Trump n’est pas un bon candidat à la présidence n’indique pas pour autant aux auditeurs quel nom mettre dans l’urne. Au moment de la sortie de « FDT », YG avouait lui-même à Billboard ne pas (encore) être pleinement renseigné sur le programme des différents candidats : « Je suis encore en train de faires mes recherches en ce moment. Je me renseigne réellement de manière à savoir quel candidat parle de choses auxquelles je peux m’identifier. » Difficile dans ce cas d’égaler la pertinence que peut avoir un véritable engagement en bonne et due forme. Et pour cause, Hillary Clinton, l’opposante du candidat républicain, ne parvient pas à faire l’unanimité auprès des anti-Trump. Cela sautait aux yeux il y a peu de temps encore sur le média américain FADER, après la publication d’une vidéo intitulée « What Would You Say To Donald Trump ? », où plusieurs artistes expliquaient leur désaccord avec les idées défendues par le business man. Dans la continuité de ces entretiens individuels en question, publiés à l’écrit sur le site internet de FADER, le rappeur Dave East lâchait le morceau : « Je ne dis pas aux gens de ne pas voter, parce que je pense qu’ils doivent le faire. Moi, je ne vote pas parce que je suis fan d’aucun des deux. J’espère juste le meilleur pour le pays ». Dans le cas de YG, il faudra attendre septembre et une apparition sur le projet Campaign de Ty Dolla $ign pour le voir réellement prendre position en faveur de la démocrate. Et là encore, la prise de position prend une fois de plus les contours d’un choix par défaut : « If all votes count, I’m voting for Hillary, fuck it »/« Si tout les votes comptent, le mien ira pour Hillary, tant pis ».

On est loin de l’élan qui avait auparavant poussé les rappeurs américains à s’engager massivement en faveur de Barack Obama. En 2008 d’abord, quand de nombreux artistes, de Nas à Jeezy, en passant par Big Boi et will.i.am, choisissaient de dédier un titre au candidat du parti démocrate. À cette époque, la volonté d’emmener Obama à la Maison Blanche était si forte au sein du paysage hip-hop, que certains MC comme Ice Cube et Scarface avaient paradoxalement appelé leurs homologues à ne pas trop appuyer leur soutien à l’actuel président américain, de peur que cela ne finisse par tenir son image. Pour son second mandat, en 2012, Jay-Z et sa femme Beyoncé allaient même plus loin, en participant à une levée de fond pour financer sa campagne.

Mais aux yeux des acteurs du mouvement hip-hop, Obama n’avait rien de l’homme politique ordinaire. Il était le potentiel « premier président Noir de l’Histoire » et de surcroît, un personnage charismatique auquel ils s’identifiaient. Seul candidat qui, au détour d’un meeting, faisait sans sourciller référence au « Dirt Off Your Shoulder » de Jay-Z. Rien de comparable avec une Hillary Clinton qui se ridiculise avec des dabs maladroits sur le plateau d’Ellen DeGeneres. Là où l’un embrassait pleinement les codes de cette culture, l’autre tente vainement de lui voler un baiser. Un détail qui ne devrait pas peser lourd dans les urnes, mais qui joue tout de même un rôle dans l’image que véhiculent les candidats. Barack Obama en a d’ailleurs joué tout au long de sa présidence, en invitant à plusieurs reprises des rappeurs à la Maison Blanche, en désignant « How Much a Dollar Cost ? » de Kendrick Lamar comme son titre préféré de l’année 2015, ou ses innombrables « mic drop ».

Bernie Sanders, par son engagement passé dans la lutte contre les lois ségrégationnistes, aurait pu endosser ce rôle du candidat auquel la communauté hip-hop (et plus largement noire) s’identifie pour cette présidentielle. Bun B, Big Boi, T.I. et surtout Killer Mike lui avaient d’ailleurs témoigné leur soutien, chose que Nipsey Hussle – qui a collaboré avec YG sur « FDT » – avouait prendre en compte en avril 2016, au cours d’une interview avec le site Billboard : « J’aime voir ce que Bernie Sanders fait pour le hip-hop et le fait qu’il n’ait pas peur d’assumer le soutien de rappeurs comme Killer Mike. On se doit d’observer quels sont les principes des différents candidats. Obama s’est battu pour la sécurité sociale, la réforme des prisons ou encore le mariage homosexuel et on dirait bien qu’il a fait avancé les choses, même si ça a pris du temps ».

« Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position » ?

Mais voilà, Bernie Sanders a finalement échoué aux primaires démocrates face à Hillary Clinton et le prochain président ne sera pas Noir, comme le chantaient Nas et Jeezy en 2008. À vrai dire, plus grand monde ne chante en 2016. Si les rappeurs ont été nombreux à exprimer le dégoût que leur inspire Trump, la plupart l’ont fait via un court post sur leurs réseaux sociaux ou quand les journalistes les lançaient sur le sujet. Les plus téméraires lui ont au mieux accordé quelques mots au fil d’une rime, tel Nas sur « Deep », en featuring avec Robin Thicke. Pas de grandes campagnes en vue. Le salut est finalement venu de YG, un artiste qui n’était jusqu’à présent pas particulièrement réputé pour ses prises de positions politiques ou sociales. Lui-même était le premier à le reconnaître sur « FDT Pt. 2 », lorsqu’il rappait : « Thought I was makin’ songs just to ride to »/« Tu pensais que je faisais seulement des sons juste pour rider ». Sa voix s’est cependant élevée dès le moment où il en a senti la nécessité.

On aurait pu attendre cela de Kendrick Lamar ou de J. Cole, de KRS-One ou de Common, il n’en a rien été. Là où les rappeurs considérés comme « engagés » ont été prompt à évoquer en musique les brutalités policières et la condition des Noirs sur le sol américain, la menace Trump n’aura jamais semblé être une véritable priorité à leurs yeux. Peu importe si sa propension à défendre farouchement le port d’arme est intimement liée aux problèmes pointés du doigt dans leurs morceaux. Eminem a bien fini par dégainer le mois dernier, mais son « Campaign Speech » divague bien trop pour atteindre la force de persuasion de « Mosh », sa diatribe anti-Bush, sortie en 2004. Qu’il s’agisse d’Eminem ou de Kendrick Lamar, on parle pourtant d’artistes dont l’audience et l’influence dépasse amplement celle de l’auteur de « My Nigga ». Il a ainsi fallu deux petites semaines à « Campaign Speech » pour comptabiliser un nombre de vues presque équivalent à celui réalisé par « FDT » en six mois. Cette absence de prise de position de la part des artistes rap a d’ailleurs passablement agacé YG, ce qu’il laissait déjà entrevoir dans le remix de son titre phare : « Ain’t nobody else gon’ speak up, we gon’ speak up »/« Puisque personne d’autre ne veut parler, on va parler ». Dans un long entretien accordé au magazine FADER, le rappeur a pris le temps de préciser le fond de sa pensée : « On a parlé pour beaucoup de personnes qui n’ont pas la plateforme pour s’exprimer ou pour parler au nom de leur communauté. « FDT », c’est pour ces gens-là, c’est une attaque frontale. Trump est là à se comporter n’importe comment, à dire des absurdités comme pas possible. Il est censé représenter les États-Unis d’Amérique, mais on ne peut pas le sentir parce qu’il ne nous représente en rien. On sait parfaitement ce qu’il se passe, on a fait nos propres recherches histoire d’être sûr de bien maîtriser notre sujet – on a fait nos devoirs et on sait aujourd’hui que tout ce qu’on a dit dans le morceaux, ce sont des faits. Les autres artistes, rappeurs, les autres gens ne prennent même pas la peine de le faire. Vous pouvez me remercier, Nipsey Hussle et moi. Le monde du rap ne bouge même plus. […] Le hip-hop s’est bâti sur des prises de position. Rapper à propos de ce propos, de ce qui se passe dans la communauté, à propos de la culture ».

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D’autres artistes ont finalement profité des tout derniers jours précédant l’élection pour se faire entendre plus considérablement. Pharrell Williams s’affiche aux côtés d’Hillary Clinton au meeting de Raleigh, tandis que Jay-Z & Beyoncé ont donné à Cleveland un show XXL en l’honneur de la candidate, où se sont notamment invités Chance The Rapper, Big Sean et J. Cole. À New York, Metro Boomin organisait de son côté le concert « Young Metro Don’t Trust Trump », tout en précisant que cela ne signifiait pas pour autant qu’il apportait son soutien à la démocrate : « Le concert et ses produits dérivés ne veulent pas dire que je supporte Hillary Clinton. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai confiance ni en l’un, ni en l’autre… ». Mieux vaut tard que jamais…

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