Grave, un bijou hybride français, entre gore, humour noir et cannibalisme

Au risque de sérieusement se répéter, le début d’année 2017 est une période remplie de pépites. Grave en fait parti, façonné comme aucun autre dans un cinéma français qui a du mal à se risquer au cinéma de genre, encore moins à celui de l’horreur. Mais loin du slasher, Grave ne joue pas le registre de la violence ou de la morbidité gratuite, mais flirte avec subtilité et réalisme avec le sujet du cannibalisme. Justine rentre en école de vétérinaire, la même où ses parents sont passés, et où sa grande sœur étudie encore. Précédé par la bonne réputation de sa famille, son intégration va vite prendre du plomb dans l’aile avec un bizutage qui tourne mal quand, végétarienne, elle est forcée de manger un morceau de viande cru. De là, une surprenante transformation va se produire…

Les deux grandes (re)découvertes de ce film, Garance Marilier, coqueluche de la réalisatrice et Rabah Nait Oufella (déjà aperçu dans Bande de Filles, Papa Was A Rolling Stones, ou encore le tout récent Patients) ont répondu à nos questions à propos de ce film qui a rendu malades deux de ses spectateurs lors d’une avant-première à Toronto il y a quelques semaines…

Photos : @RickRence

Le véritable genre du film et son succès

Garance Marilier : C’est un cross-over. Il regroupe comédie, horreur et drame. C’est un film qui est contre les cases, et ça n’existe pas sur le marché français le film cross-over. On ne va pas se le cacher, notre ambition n’était pas de faire un petit film mais un grand. Forcément le fait que les médias en parlent va avec. Après tout ce buzz vient aussi de l’incident de Toronto. Mais c’est bien qu’il y’ait du soutien pour les films plus ambitieux, c’est vraiment ce qu’on cherchait.

Rabah Nait Oufella : C’est un film qui casse les codes. C’est un V.T.T. Le projet en soi est un OVNI, c’est normal que ça fasse parler, en bien ou en mal. Maintenant, on est très content que ce soit en bien. À la première lecture du scénario, je savais que ça allait faire parler.

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« C’est un film qui est contre les cases, et ça n’existe pas sur le marché français le film cross-over. On ne va pas se le cacher, notre ambition n’était pas de faire un petit film mais un grand. »

Rabat et Garance voisins dans le 20ème

Garance : C’est un mytho ! [rires, ndlr] Non en fait on habite dans la même rue. On se croise depuis bien longtemps. Mais on a 5 ans de différence.

Rabah : Et on s’est croisés au casting sans le savoir, c’était le hasard. On ne s’est pas toujours côtoyés depuis l’enfance non plus, c’est juste qu’on se croise et on ne s’est jamais connu personnellement plus que ça, on s’est vraiment rencontrés lors du tournage et on a fait connaissance. Ce n’est pas comme si je jouais les scènes intimes avec une amie d’enfance. Je l’ai rencontré en tant qu’actrice, pas en tant que pote.

G : On habite toujours au même endroit, on se croise en scooter, il me fait peur. [rires]

R : En voiture, je la klaxonne et elle prend peur, c’est trop drôle ! C’est facile de lui faire peur, tu regardes le film elle a rien avoir avec le personnage. Donnez-lui un César !

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La scène où Justine mange un doigt

G : C’est un peu comme la scène bourrée où j’ai bu zéro gramme d’alcool, c’est juste que tout passe par le corps. T’essayes d’imaginer ce que ça te fait quand t’es bourré,  justement ton corps est complétement détendu… Moi je déteste la technique Actor Studio « t’es triste, sois triste », je ne travaille pas comme ça, je pense que tout passe par le corps. Le véritable enjeu de cette scène n’était pas de manger le doigt, mais de créer l’empathie du spectateur, avec l’attente notamment. J’ai un doigt dans la main qu’est ce que je fais ? Ben je regarde ce que c’est car je n’ai jamais vu ça. Et c’est là où ça va dériver. Fallait vraiment créer ce moment de surprise même vis à vis d’elle même, plutôt que de le manger comme si c’était un kebab, là ça n’aurait pas du tout marché.

Les gens réagissent énormément à cette scène car ils ne s’y attendent pas justement, ils pensent que Justine n’est pas aussi folle que sa sœur.

R : À la lecture du scenario ça m’a fait la même chose, au moment du doigt. Je ne savais rien du scénario quand on me l’a passé. Donc je le lis, au bout d’un moment elle se coupe le doigt et elle le mange… Et là, je te jure, j’ai fermé le truc et j’ai repris du début ! [rires] Genre « j’ai raté quelque chose » ! Tu ne t’y attends pas. Après cela dépend de chacun, certains sont plus touchés par d’autre scène.

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« Après ce ne sont pas tous les metteurs en scène qui ont l’intelligence de passer outre la façade qu’ils peuvent avoir ou les aprioris de certains acteurs. »

Le rôle du mec de quartier rebeu et gay

R : Ce qui m’intéresse c’est de jouer des personnages différents de moi. Je fais beaucoup de sélection dans les projets qu’on me propose, de plus en plus. Il y a des films qui socialement sont intéressants à faire, qui défendent une cause, et je trouve intéressant de participer à ceux-là. Après à coté de ça, égoïstement, il faut aussi que je construise quelque chose dans la performance. À partir de là, ce que je kiffe faire, c’est jouer des rôles les plus différents possibles les uns des autres. Après ce ne sont pas tous les metteurs en scène qui ont l’intelligence de passer outre la façade qu’ils peuvent avoir ou les aprioris de certains acteurs, mais je m’implique de plus en plus dans des projets divers et variés. Grave a été une opportunité en or, et je ne voulais pas la lâcher.

Je n’ai pas de problèmes avec qui ou quoi que ce soit, j’ai pas de complexes. Là ou j’habite, les mecs de mon quartier ne vont pas me charrier. Après par rapport à moi-même, je l’ai vraiment pris comme une opportunité. C’est bien que le cinéma français changer ses codes et qu’on casse ce mythe du mec de cité qui ne peut pas être gay, qui a une tête de rebeu mais qui s’appelle Adrien. C’est bien de casser ces trucs-là et de passer à autre chose car c’est super débile de penser comme ça. C’est bien d’aller à contre-courant et c’est ce que j’essaye de faire autant que possible.

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« Wagner Moura c’est un truc de dingue : il est brésilien, est parti 4 moi en Colombie apprendre l’espagnol et s’imprégner vraiment de Medellin, et il incarne Pablo Escobar comme un dingue. »

L’inspiration de Wagner Moura de Narcos

G : Je regarde de plus en plus de séries. C’est vrai qu’avant je voyais mes potes regarder Skins, ça ne me faisait pas rêver. Et là maintenant, il y a Black Mirror, Game of Thrones, ce sont des séries que tu prends plaisir à regarder parce que c’est bien fait. Et Narcos c’est la première série qui m’a fait un choc, où je me suis dit c’est vraiment intéressant et c’est vraiment un film que tu regardes sur 8 (sic) épisodes. Wagner Moura c’est un truc de dingue : il est brésilien, est parti 4 mois en Colombie apprendre l’espagnol et s’imprégner vraiment de Medellin, et il incarne Pablo Escobar comme un dingue. Le truc c’est qu’aujourd’hui en interview, il dit qu’il n’arrive pas à se débarrasser du personnage. C’est là où je parle des limites de cette méthode de faire ressortir ses sentiments pour amener le jeu, je trouve ça hyper dangereux. C’est un truc que je ne ferais jamais. Je ne trouve pas ça intéressant, sinon tu joues un rôle et tu ne t’en remets pas.

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La place des femmes réalisatrices et le renouveau du cinéma français

G : Clairement il y a un vent nouveau qui souffle sur le cinéma français, ça fait du bien. Il y a de nouvelles têtes, il y a plus d’audace. Après il ne faut pas que ça devienne une mode non plus. Le danger c’est de se dire que c’est à la mode et alors on va produire plus de films de femmes, alors qu’ils ne sont pas forcément bons. Mais l’important ce n’est pas tant le film de femmes, mais que le film soit bon tout court ! Il faut juste plus d’audace et en ce moment il y en a. Continuons sur cette lancée !

R : Encore une fois, ce ne sont pas des bons films parce que ce sont des femmes mais ce sont des bons films faits par des femmes. Je ne juge pas la qualité d’un film au sexe du réalisateur, ce serait du sexisme. Mais il y a une nouvelle vague, c’est certain. Avant de faire du cinéma j’avais l’impression que les acteurs étaient des piliers qui ne bougeraient jamais, même après leur mort. On ne s’est jamais vraiment donné le droit de rêver vraiment. Même après avoir tourné dans mon premier, deuxième, troisième, quatrième film, je n’ai toujours pas l’impression d’être arrivé. J’ai juste fait une expérience qui m’en a apporté une autre. Je me suis refusé de me dire acteur. J’ai mis du temps a m’autoriser le rêve et peut-être que c’est dû à ça. Les gens que je connais du cinéma, je les ai rencontrés dans le cinéma. Je n’ai pas d’oncles, de potes, qui sont dedans. Il y a beaucoup de castings sauvages, de rappeurs qui font des films, c’est bien que ça s’élargisse.

G : Le danger c’est que ça pousse à ne pas travailler mais juste à être comme tu es devant la caméra. Et ça c’est insupportable, car tu vois plein de gens qui sont trop bien dans un film et qui y croient mais que tu ne reverras pas, car le réal les a pris pour ce qu’ils sont et ça colle mais s’ils ne bossent pas derrière, c’est mort.

Finalement ce film est grave…

R : Audacieux !

G : Oui, Audacieux.

Grave, sortie le 15 mars 2017. Réalisé par Julia Ducournau.

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