Green Montana, souffle chaud sur la banquise

Les deux maxis sortis en 2018 par Green Montana ont permis d’esquisser le potentiel du jeune rappeur belge : un sens de la mélodie aiguisé – chose rare dans le rap francophone – au service de morceaux froidement envoûtants. Celui qui s’est fait repérer par Isha travaille aujourd’hui sur un projet plus conséquent, prévu pour le début de l’année 2019.

Il fait nuit à Bruxelles, Koekelberg. Dans une pièce à l’étage du Jet Studio, la lumière bleue d’un ordinateur inonde la pièce calme. Des nappes de fumée s’échappent de la cabine d’enregistrement. Les volutes laissent filtrer les germes d’une mélodie, une topline à peine marmonnée, et pourtant déjà terriblement efficace. Seul avec « le noir, l’écran, et le micro ». C’est dans ces conditions que Green Montana, de son propre aveu, préfère travailler. Ambiance Bleu Nuit, comme l’indique le titre de son premier maxi sorti en juillet 2018. On y retrouve, sous une forme plus élaborée, les ingrédients qui définissent sa musique depuis les premiers morceaux disponibles sur son SoundCloud.

Green se lance dans le rap il y a environ trois ou quatre ans, chez lui, à Verviers près de Liège. D’abord de manière confidentielle. Déjà, sa polyvalence et sa faculté à surfer sur les instrus sans jamais perdre la vague se font remarquer. Par l’intermédiaire de son cousin Chico, il prend contact avec Isha qui prévient son manager Stan : « Y’a un petit, il est trop ». Avec leur acolyte Six, qui deviendra son directeur créatif, ils décident de lui donner sa chance et lui proposent d’enregistrer en studio puis de réaliser ses premiers clips : Le Mort et TDS. « Les ingrédients étaient déjà là », nous dit Stan. « Même sur des maquettes de mauvaise qualité, dont on comprenait à peine les paroles, on entendait cette musicalité, on sentait que tout était en place. » Les thèmes sont récurrents : la drogue qui est consommée, celles qui sont vendues. L’argent donc, et le désir de réussite. Puis les femmes. La Sainte Trinité du quartier. Des thèmes rebattus, mais qui témoignent d’une sincérité affichée. « Lorsque ma vie sera différente, les thèmes seront différents », nous dit-il. Peu importe, sa spécificité est ailleurs.

Il y a dans sa voix quelque chose de nonchalamment brut, des intonations farouches qui donnent à sa musique une certaine âpreté. Peut-être la trace de ses premières écoutes. « Au début, je rappais sur les couplets des rappeurs que je kiffais : Kery James, la Mafia K’1 Fry, la Sexion d’Assaut… » Des influences qui affleurent toujours dans ses sons les plus récents. Mais, entre temps, d’autres figures tutélaires sont passées par là. Green s’inscrit en effet dans la lignée de ces rappeurs qui lévitent au-dessus des instrus. À l’instar d’un Lil Wayne ou d’un Young Thug – lui-même nous confie avoir été choqué par les héritiers Gunna et Lil Baby -, il est d’une versatilité extrême. Un rap en souplesse, sans anfractuosités, qui glisse en deux mesures, et autant de bouffées de weed, du salon de la daronne au balcon d’une penthouse. En pantoufles ou dans une paire de TN, Green est tout confort. Peut-être parce qu’il rappe depuis peu, il a cette facilité qui donne l’impression qu’il pourrait s’accommoder de n’importe quelle prod, sans forcer.

Il enregistre beaucoup, en peu de prises, à l’intuition. Ça sort. Il suffit de le voir esquisser un refrain pour s’en rendre compte. La bouche à peine entrouverte, il souffle spontanément des mélodies qui vous enveloppent comme une fumée épaisse. Hautement addictif. Lui-même semble ne pas toujours avoir conscience de ses qualités. « Quand j’entends l’instru, je sais instinctivement quelles sont les notes et comment placer ma voix. Ça vient tout seul. » Pas de fausse modestie, mais une naïveté impressionnante tant elle dissimule une aisance rare. Stan, qui est dorénavant son manager, nous assure que l’Auto-Tune n’est pas pour lui une béquille servant à camoufler ses faiblesses au chant, mais un instrument véritable. La vidéo de sa session Flag Box chez nos confrères de Tarmac nous le confirme.

Au début de l’été 2018 sortait donc Bleu Nuit, maxi avec lequel Green ouvrait la porte à sa manière : en crachant des ronds de fumée glacée. D’abord avec le désabusé « Maman le sait », dans lequel la quête du chiffre est décrite comme une voie inéluctable mais sans issue. « Y’a tout qui est cheum ici et maman le sait. » Cette mélancolie suinte même des sons les plus lumineux du jeune rappeur. En témoigne le refrain du tube « Briquet », parfaitement représentatif de ce style doux-amer, comme des caresses qui nous font tâter du sol gris et humide. En octobre, il surenchérit avec un nouveau maxi deux titres, Orange Métallique. Encore une affaire de couleurs, pour illustrer ce mélange de sonorités suaves et magnétiques, pessimistes mais tout en pudeur, sans jamais sombrer dans le pathos. Il est de toute façon trop tard pour les leçons de morale, comme le rappelle « Rester Dîner » : « Perds pas ton temps on a déjà perdu la raison ». « C’est une phrase que j’aurais pu sortir à ma mère, comme pour lui dire que c’est foutu, il n’y a plus d’espoir de ce côté-là », nous dit-il.

La suite, c’est un projet plus long qui devrait sortir début 2019. Toujours sous le patronage avisé de Stan, Six et Isha, accompagnés notamment des beatmakers Kendo (qui a produit, entre autres, « Briquet ») et Benjay (Alonzo, Damso, Rim’K…). « Il nous faut plus de morceaux, notamment pour pouvoir faire des scènes. On prend notre temps pour faire les choses bien mais on arrive fort », répond-il quand on l’interroge sur les étapes qu’il lui reste à franchir. Un feat avec Isha est bien sûr prévu, mais « on attend d’avoir un son suffisamment lourd. Il y a déjà des choses qui ont été enregistrées. Green devait être sur La vie augmente, Vol. 2, Isha voulait poser un couplet sur ‘Briquet’, mais on ne veut pas forcer les choses, ça doit se faire naturellement. Leur premier son commun sera une tuerie », explique Stan. Une stratégie honorable, qui laisse présager du meilleur. Après deux premiers essais réussis, mais qui nous laissent déjà sur notre faim, la nouvelle dose s’annonce donc encore plus pure. Le titre du prochain opus, Alaska, annonce un programme alléchant : comme un souffle chaud qui s’apprête à souffler sur la banquise.

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