Hache-P : « Je prépare mon album depuis que j’ai 13 ans »

Les belles histoires sont rares dans la musique. Celles des groupes souvent tragiques. « L’industrie est vraiment noire, très noire… » nous affirme Hache-P. Après plus de dix ans passés dans le rap, l’artiste a su prendre le temps qu’il fallait pour se faire une place. Avec la sortie de son premier album le 19 avril, il compte bien concrétiser le travail d’une décennie. Interview.

Photos : @alextrescool

Attablés à une terrasse d’un bar PMU du 13ème arrondissement, on se découvre au travers de nos histoires. « Tu sais pourquoi j’adore cet endroit ? Parce que d’ici, j’ai une vision sur tout le quartier. » Ce quartier, c’est la triangulaire des rues Patay, Chevaleret et le quartier du Passage. Un quadrillage à deux pas de Porte de France, de la Bibliothèque François Mitterand, du cinéma MK2 bibliothèque… de tout un Paris qui se rénove. Sans cesse depuis l’annonce du « Grand Paris ». À deux pas pourtant, des murs plus anciens résistent à l’innovation environnante. Comme un village gaulois dans un empire romain. C’est là que Hache-P a grandi.

Avant lui, il y a eu la MZ. Fondé par amitié, détruit par déception : l’histoire du groupe est sanglante. En 2015 déjà, le trio se séparait des producteurs Melopheelo et Zoxea. Un an plus tard, le groupe implosait. Depuis, le public fantasme sur les raisons en filigrane. Toujours aujourd’hui, « l’autre » comme l’appelle Hache-P, continue de parler, de mentir. Les règles du jeu. « Ce qui se dit sur internet, je m’en bats les couilles. C’est naze de s’insulter sur les réseaux sociaux. » Belle morale. L’artiste est détendu quand il en parle : « On a fait des trucs de dingue ensemble. Mais c’est la vie et ses aléas. »

Ces « trucs » dont Hache-P parle, ce sont les morceaux « Lune de Fiel » et « Les Princes feat. Nekfeu », entre autres. Les deux plus gros succès de la carrière du groupe. Puis les concerts aussi. Pendant un temps, ils accompagnaient Niro en tournée pour sa première partie. « Personne ne nous connaissait quand on arrivait sur scène. Dès que les premières notes de ‘Lune de fiel’ résonnaient, tout le monde chantait. Ils ne savaient pas que c’était nous, la MZ. » Depuis, le temps a passé et chacun est parti en solo. Et si Dehmo et « l’autre » ont su prendre un virage rapide, Hache-P s’est fait attendre jusqu’à ce 19 avril 2019.

Trois ans d’absence dans une existence, c’est risible. Et pourtant, trois ans d’absence dans le rap français post-2015, c’est gigantesque. Tu n’as pas eu l’impression, avec le temps que tu as pris en solo pour t’installer, d’avoir raté le virage ?

Non pas du tout. La musique aujourd’hui, ça va vite. Très vite. Tu fais un morceau, tu pètes, puis tu peux redescendre aussi vite que t’es monté. Voire plus vite encore. En réalité, et les gens l’oublient souvent, mais il y a le rap et la vraie vie. Moi, dans ma vie, j’entreprends énormément. J’ai fait mon label (Chap Chap Record, ndlr), et d’autres choses dont je n’ai pas encore envie de parler. Donc ça prend du temps. Après, c’est du boulot. À côté t’as aussi les problèmes de la vie. Aujourd’hui, je suis entouré des bonnes personnes, ce qui n’était pas forcément le cas avant. Donc j’ai le temps et la possibilité de pouvoir m’installer en solo. De me lancer à fond dans la musique.

Tu fais parti d’une génération maudite dans le rap français : la génération 2011-2014. À l’instar de Joke, Dinos, ou 1995 (hors Nekfeu), vous êtes arrivés à un moment où le rap prenait son virage décisif. Pourtant, alors même que vous y avez contribué, ce n’est que quatre à cinq ans plus tard que vous connaissez – enfin – le succès. 

Je pense que ces années-là ont été un tournant majeur dans le rap français. Internet a commencé a prendre beaucoup plus de place dans la communication de l’oeuvre. YouTube a donné un coup de boost à presque tous les rappeurs. Et surtout, il y a eu nettement plus de signatures en maison de disque qu’à l’époque. Je me rappelle avant, quand je parlais avec des anciens du rap, ils me disaient que vers 2006-2009 les signatures en maisons de disque étaient rares. Aujourd’hui, tous les quinze jours un nouveau est signé. Les premiers buzz, les premiers épi-phénomènes de ce type, ça a commencé vers 2011/2012 avec Gradur, Joke… Certains ont réussi à transformer l’essai, d’autres non. Mais ce sont les aléas de la vie. Ce qui est essentiel à retenir, c’est qu’il y a de la place pour tout le monde Chacun a son histoire, et ça se trouve, moi demain je ne vais pas péter. Chacun trace sa route, fait son chemin. Faut juste travailler et croire en soi. Si tu ne crois pas en toi, personne ne le fera à ta place. Faut juste travailler et le reste viendra tout seul.

En 2015, le premier album de la MZ est – forcément – attendu. Pourtant, les ventes n’ont pas suivi. 

J’estime que c’est un très bon album. Mais je me rappelle que l’on s’était mangés une gifle à l’époque, quand on a regardé les scores. On s’attendait à faire des ventes de dingues, vu que « Lune de fiel » était devenu notre single numéro 1. On avait fait 3000 ou 2000 ventes en première semaine… On est reparti direct au boulot. On revient en 2016, avec le streaming pour nous épauler : 21.000 ventes en first week. Le travail a payé.

Raconte moi ce qu’il s’est passé dans ta vie entre 2017 et 2019. Pourquoi avoir pris tout ce temps avant de revenir ? 

C’est les aléas de la vie. J’ai sorti un EP en décembre 2017, et depuis la vie a fait que. En réalité, depuis tout petit, j’ai toujours adoré donner des idées, trouver des concepts, et accompagner la musique. À l’époque, je faisais les stickers de la MZ avec mon propre argent. J’emmenais tous les petits de la cité les coller dans toute la ville. J’ai toujours aimé le faire pour les autres, mais jamais pour moi. C’est marrant, je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut mais c’est ainsi. Je suis un branleur (rires), mais quand il s’agit des autres par contre, je suis pro-actif. En ce moment je produis Chily, via le label que j’ai fondé avec mes amis d’enfance. On bosse tous ensemble et il faut savoir quelque chose de très important : Chily et moi on est au même niveau. Je ne suis pas son grand et ce n’est pas mon petit. Dans la musique, on est sur un même piédestal.

On a l’impression aujourd’hui qu’il devient difficile de perdurer dans le rap si l’on n’a pas plusieurs casquettes. Être juste un artiste semble compliqué, il faut savoir produire, manager… 

C’est une évidence. Toutes les 15 minutes, un rappeur fait le buzz. Toutes les 30 minutes, un nouveau rookie apparaît. En plus aujourd’hui, le rap est écouté par les petits. Et la force que donnent ces petits aux rappeurs est incroyable. Il ne faut jamais la négliger, surtout quand on la compare à celle donnée à l’époque. Je vais te donner un exemple pour illustrer. À mon époque, Paul, un français pur souche, était plus souvent fan de Linkin Park et de Tokyo Hotel que de Sefyu ou Salif. Aujourd’hui, ce même Paul écoute du rap et surtout, n’écoute plus que ça. Il est fan de PNL, de Booba… À l’époque, c’était nettement plus rare. Ce qui a changé, c’est que la musique est bonne. Les visuels aussi. Le rap, c’est la meilleure musique au monde. Regarde l’évolution du genre, c’est incroyable. Aujourd’hui, tous les rappeurs font de la zumba, de la pop, du métal, de l’afro, du zouk… Une tonne de styles de musiques différents. Alors forcément, il faut avoir plusieurs casquettes.

Justement, avec ce panel gigantesque et ce mélange entre le rap et tout le reste, n’est-il pas difficile de donner une définition du rap ?

Avant, le rap était cliché. C’était la banlieue, les quartiers, la drogue, les armes… Aujourd’hui, des mecs qui viennent du fin fond de la campagne buzz nationalement. Un mec comme Lorenzo ne se prend pas au sérieux par exemple. Et ça tue. La même chose à l’époque n’aurait jamais pu exister. Il se serait fait monter en l’air. Aujourd’hui, il y a des rappeurs qui n’auraient jamais pu rapper avant. Crois moi, c’était inconcevable. Le rap a évolué positivement, et c’est très bien comme ça. C’est le même modèle qu’aux US : si tu rappes et que t’es fort, tu mets tout le monde d’accord. Après, il y a des limites évidentes. La mentalité française est dure, et même si on tend à se rapprocher des US, des mecs comme 6ix9ine ici se feraient arracher la tête. Imagine ; tu viens, t’es fou, t’insultes tout le monde, tu ne respectes rien ni personne… T’es foutu.

On va parler de ton album. « Rock’n’Roll » sort le 19 avril, pourquoi avoir choisi ce titre ?

Rock’n’Roll ? Parce qu’à l’époque de la MZ, c’était aussi l’image que j’avais. Puis, entre-nous, aujourd’hui les rappeurs ont remplacé les rockstars. En France et dans la musique mondiale. Actuellement, les plus grosses stars ce sont Drake, Tory Lanez, Lil Pump… Même en France. Regarde les concerts ou les festivals ; le rap, c’est la musique numéro une dans le monde. C’est celle qui, je crois, vend le plus. À une autre époque, c’était le Rock. Donc le lien est facile. Puis, c’est aussi par rapport à l’image, à l’état d’esprit des rappeurs. On est tous Rock’n’Roll.

Quand est-ce que tu as commencé la conception de ce projet ? 

Depuis que j’ai 13 ans (rires). Dès que j’ai commencé le rap en réalité. Je me suis toujours dit que j’allais faire un album. Je suis dessus depuis mes débuts. Et voilà le résultat. Je veux ré-installer ma place dans le rap français. Essayer de faire quelque dates, en plus de celle du 11 juin à la Boule Noire. Être écouté un peu partout, propager ma musique le plus loin possible. Et entre-nous, pour être vraiment honnête et lucide, ce n’est pas un album à chiffres. C’est une sorte de carte de visite : on attaque le terrain.

Tu parles de disque d’or. Avec l’évolution que connaît le rap actuellement en terme de chiffres, est-ce que tu penses que la certification signifie encore quelque chose aux yeux du public ou des artistes ? 

Oui toujours, évidemment. Le disque d’or, c’est le fruit de ton travail. La récolte. C’est une récompense qui signifie que tu as sans doute travaillé de la meilleure des manières. Dans la musique, il y en a qui pètent vite, et d’autres qui prennent plus de temps. Chacun à son histoire, sa vie. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais je pense qu’on y arrivera un jour. Le vrai problème aujourd’hui, c’est que les gens ont le regard tourné vers les chiffres. Alors qu’en réalité, il faudrait simplement fermer sa gueule et écouter la musique. Il y a des gens qui vont écouter des rappeurs uniquement parce qu’ils font 15 millions de vues alors que le morceau pue la merde. Il faut écouter d’abord avant de pouvoir juger. Depuis quelques années, les gens écoutent moins et regardent plus.

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Sur ce premier album, tu t’es entouré d’un casting 4 étoiles : Seth Gueko, Lartiste, Black M… En plus de ton entourage proche composé de Marlo, Dehmo, Chily, Jecy Jess. Pourquoi avoir fait ces choix ?  

C’était plus personnel et humain qu’autre chose. Avec Seth on a fait un film ensemble, Chily c’est la famille, Jecy, Marlo et Dehmo également. Quant à Black M, on se parlait et on se connait depuis très longtemps. On s’était croisés en session freestyle il y a plus de 10 ans… Lartiste c’est la connexion de quartier, de famille. L’album ne sera disponible que sur les plateformes. Pour moi, le CD est mort aujourd’hui alors il n’y aura pas de versions physiques. Je ne voulais pas faire énormément de titres, et je trouve même que 14 c’est déjà long. Le prochain va surement en faire 12 ou 13. De toute manière, quand c’est plus de 15, ça me soule. Les albums à 17 ou 20 titres m’énerve. Je vais évidemment les écouter, mais avant même de commencer je vais me dire qu’il y a trop de sons.

Tu parles de la rencontre avec Seth Gueko. C’est aussi ta première rencontre avec le monde du cinéma. Quelle(s) expérience(s) en tires-tu ?

Le cinéma m’a beaucoup aidé dans le visuel, et dans la conception que je me fais de ma musique. Ça m’a donné une autre sensibilité et une autre visibilité. Mais entre-nous, les tournages sont réellement plus durs que les sessions studio (rires). J’ai remarqué que c’est plus facile de toucher les gens avec la musique que le cinéma. À un certain âge, tu sais que le cinéma c’est de la fiction… Bon, dans la musique et dans le rap aussi (rires), mais il y a des artistes qui, quand ils te racontent leur vrai vécu, te touchent organiquement car tu sens que c’est réel. C’est un sentiment pur. Les rappeurs qui mentent, moi ça me fait rire. Et en vérité, je m’en fiche. À mon sens, tu peux faire ce que tu veux quand tu fais de la musique. Il ne faut pas oublier que c’est un art avant d’être le nôtre. T’as le droit de venir, faire le fou, alors que dans la vie de tous les jours tu es tranquille. Tu peux jouer un rôle, tu as le droit de faire exactement ce que tu veux. Moi je ne suis pas très bon narrateur, alors je suis bien obligé de raconter la vérité. Et je ne me censure jamais. Tout à l’heure, on parlait des petits qui n’écoutent plus que du rap très tôt. Il y a des artistes qui te disent de faire attention, mais moi personnellement, j’ai écouté du rap toute ma vie et ce n’est pas pour autant que j’ai pété les plombs. J’écoutais des rappeurs hardcore à la mort, mais avec l’éducation que j’ai eu, je ne suis pas parti en couilles.

Après toutes ces années passées à rapper, penses-tu avoir trouver le style qui te définit et te correspond le plus ? 

J’ai une voix reconnaissable, particulière. Ça je le sais. À mon sens, ma voix me différencie des gens. Après, en terme de style pur, j’aime beaucoup les bangers, les grosses basses. Je suis plus là-dedans et ça se ressent dans l’album. J’ai un gars dans mon quartier qui me dit souvent que je devrais essayer de jouer beaucoup plus avec ma voix justement. Je sais que je sais chanter, mais j’ai d’abord envie de faire ce que j’ai vraiment volonté à faire. Dans le projet, il y a un morceau qui s’appelle « Dose » qui est plutôt Dubstep dans la production. C’est un peu spé… J’aime ça.

Avec la carrière qui est la tienne, on pourrait difficilement savoir où tu vas te diriger dans les années à venir. Tellement ton histoire est parsemée d’obstacles. Dans cinq ans, où est-ce que tu penses être ? Où te vois-tu ?

En vie déjà, ce serait pas mal. Demain je peux me manger un camion et tout s’arrête. Ça, les gens l’oublient souvent. Sinon,  j’espère que mon travail aura porté ses fruits. Puis, j’espère que Chily sera une tête d’affiche du rap français car il en a les capacités. Mon plus grand désir, c’est que la musique parle avant tout le reste. Déjà là, on aura fait un grand pas.

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