Haute, ou comment faire belle romance d’un speed dating musical
« Songwriting », « blurred lines », « the law of attraction »… Les anglicismes s’immiscent dans leurs prises de parole comme dans celles d’un enfant de la start-up nation. Sauf que les idées que Romain Hainaut et Anna Majidson expriment dans la langue de Shakespeare, ce sont celles pour lesquelles Molière n’a pu trouver de formules idoines. En ça, leur double culture franco-américaine les complète, les bonifie, les rassemble aussi, d’une certaine manière. Il ne s’agit pourtant là que d’un des innombrables liens les ayant unis en tant que Haute.
Montréal, comme un symbole
Leurs trajectoires analogues se croisent tout naturellement en 2013, avec Montréal pour point de jonction. Une ville qui leur ressemble, à mi-chemin entre la France et les États-Unis. Tous deux sont alors étudiants au sein de l’Université McGill, l’une des plus anciennes du territoire canadien. Anna potasse la philo, dans le but de devenir paralégal. « Je voulais un vrai taf, parce que mes parents étaient dans la musique et ça m’a trop blasée. » Blasé… comme le pseudonyme de son futur binôme, qui s’intéresse pour sa part à la musicologie. « Ça m’a fait comprendre comment certaines choses fonctionnaient dans la musique. Des procédés musicaux qui – pour moi – étaient jusqu’à présent magiques, dont je me disais ‘Waouh, ca marche trop bien.’ J’ai compris que souvent, ce n’était pas tant de la magie mais plutôt de la logique. Mais j’ai aussi vu qu’il fallait parfois mettre un peu les règles de côté, parce que dans certains cas, ça te restreint plus qu’autre chose. »
Si Anna Majidson n’a – à l’époque – pas vocation à se lancer corps et âme dans une carrière musicale, certains indices laissent malgré tout penser que la pomme n’est pas tombée loin de son arbre. Comme ces démos où elle enregistre sa voix sur les compositions d’un ex-petit ami. Leur rupture n’ayant pas freinée son envie de s’adonner au chant, Anna se joint à un groupe Facebook où échangent les musiciens de l’Université McGill, et commence à y poster ses performances vocales. Sans imaginer une seconde que Romain, l’administrateur de cette petite communauté, habite dans la même rue qu’elle et s’avère être un talentueux producteur. S’écrivent alors les toutes premières pages de l’histoire de Haute. « On s’est trouvés à ce moment-là parce qu’on avait tous les deux la même motivation, la même gnaque, et on cherchait à faire la même chose. Notre parcours ne fait que renforcer notre relation parce qu’on a vécu des choses similaires, on a le même genre de références. Je ne crois pas spécialement au destin, mais je crois effectivement qu’on attire ce que l’on cherche. C’est-à-dire que si je veux travailler avec une chanteuse, je vais faire des instrus et les rendre disponibles jusqu’au jour où une chanteuse qui cherche des instrus les écoutera. C’est ce qui s’est passé » raconte Blasé.
Les anglophones pourraient dire du tandem qu’il s’est trouvé « in the right place, at the right time ». Car en 2013, Montréal bouillonne. Au coeur de cette effervescence, un nom : KAYTRANADA. Son son est léger, mystique, brillamment cadencé, pioche autant dans la house que dans le R&B et le hip-hop et trouve un bel écho chez ses contemporains, comme High Klassified, Da-P, Planet Giza… et Blasé. Qui ne s’en cache absolument pas. « KAYTRANADA, c’était pile l’année où il commençait à faire du bruit. Il y a toute une scène de beatmakers hyper vivante qui m’a fait halluciner quand j’ai débarqué là-bas. Je me suis dit ‘C’est ce que je veux faire.' » Les commentaires de leur récente session COLORS ne s’y trompent pas non plus. La musique de Haute est à l’image de celle dont elle s’inspire, et plus largement de sa génération : elle ne peut se restreindre à une étiquette. Quand on évoque leurs derniers coups de coeurs musicaux, ils citent pêle-mêle Curtis Harding, Charlotte Dos Santos, Toro y Moi et la dernière tape de Offset, 21 Savage et Metro Boomin. « Nous-même on a du mal à définir le genre qu’on fait, en fait. Je ne peux pas dire qu’on fait de la pop parce qu’il n’y a pas que ça, je ne peux pas dire qu’on ne fait que du R&B parce que c’est faux, je ne peux pas dire qu’on fait de l’aternative parce que c’est trop large » concède à nouveau Blasé.
À la découverte… de l’autre
En échangeant avec Anna et Romain, on perçoit chez chacun une réticence à se définir de manière très (trop ?) définitive. Ce n’est ni tout à fait noir, ni parfaitement blanc. Certes, Anna est celle qui chante et Blasé celui qui produit. Mais il convient de préciser que la première touche aussi un peu aux machines, et le second tend à faire entendre sa voix, comme c’est le cas sur « Shut Me Down ». Il en va de même pour leurs personnalités respectives, comme l’explique Anna : « J’ai tendance à être extravertie, émotionnelle et très expressive tandis que Romain est plus discret. Puis lui représente le côté électronique et rythmique, alors que moi vais être plus mélodique, ‘chaleur humaine’. Après, là, je nous mets dans des cases extrêmes. C’est dur de généraliser… D’autant qu’on est jeune, on évolue tous les jours. » Et bien que l’anglais soit la langue qu’elle utilise pour écrire les morceaux du duo, Anna s’est déjà laissé tenter par le français et n’entend pas rester à son coup d’essai. Preuve – là-encore – que rien n’est jamais fermement arrêté.
Haute est la rencontre bienheureuse de deux individus qui se sont trouvés, après s’être mutuellement cherchés, mais sans se connaître. Une sorte de speed dating musical. Alors il a fallu se découvrir, et créer une complicité à partir du simple coup de foudre artistique qu’ils ont eu l’un pour l’autre. Ce qui se fait petit à petit, à force de compromis, de tâtonnements. « Les morceaux où on est le plus complice, ce sont ceux où on est vraiment ensemble pendant sa création. Et c’est souvent l’un qui va dans la direction de l’autre. On essaye de se comprendre mutuellement, de capter la vibe de l’autre. On ne crée pas toujours des choses qui représentent à 100% notre identité à tous les deux. C’est plutôt l’un qui va avoir une idée et l’autre qui va lui faire confiance, pour après développer un son à deux » souffle Romain. Il jure cependant que la période de découverte a touché à sa fin. « Notre premier son, on l’a sorti deux semaines après s’être rencontrés. Depuis ce jour, on apprend à se connaître, à se trouver, à travailler mieux ensemble. Et aujourd’hui, on arrive à un moment où on sait ce qu’on veut tous les deux, on commence à avoir une véritable identité de groupe. Donc il est temps de travailler l’album. » Prévu pour fin 2018, il viendra faire l’introduction formelle de Haute auprès du public. À lui désormais d’apprendre à les connaître.
Photos : @samirlebabtou