In the Office with… Rick Owens Staff

L’une des enseignes les plus en vogue dans le monde de la mode nous a ouvert ses portes, il s’agit de Rick Owens. Barbara Mariani, directrice et partenaire de la boutique située au cœur des jardins du Palais Royal, nous a guidé dans l’histoire de la maison qui recèle d’anecdotes truculentes.

 

Comment as-tu rencontré Rick Owens ?

Barbara : Tout à fait par hasard, c’était il y a des années à Los Angeles. Rick était avec Michèle Lamy lorsqu’elle tenait encore son restaurant Les Deux Cafés. Le couple était « the happening » (le phénomène, ndlr) de L.A. Michèle a tenu son restaurant d’une façon tellement mode… Tout le monde voyait son vestiaire et demandait : « Je veux une veste comme ça, un cuir comme ca… » Ça a commencé avec Tarantino ensuite Madonna, Lenny Kravitz… Ils étaient vraiment le « hit » (les incontournables) à Los Angeles.

On revient 20 ans en arrière, je suis à Paris et je travaille dans la mode. Armand Hadida, le créateur de L’Eclaireur, me dit que Rick Owens va ouvrir sa première boutique à Paris et que je serais la partenaire parfaite. Le lendemain j’ai rencontré Michèle, on s’est comprises tout de suite. Une semaine après, on se tape dans les mains avec Rick et on se dit : « Ok, on fait ça ensemble !»

 

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Pourquoi avoir choisi les jardins du Palais Royal comme emplacement ?

Barbara : Rick ne communique pas beaucoup, il ne parle pas français, il est toujours un peu isolé et ici il a senti les bonnes énergies. Il s’est dit un jour en se baladant avec Michèle : « C’est là que j’ai envie de faire ma boutique.» Le Palais Royal n’était pas un lieu de mode, c’était un lieu historique plus qu’autre chose. L’Eclaireur n’avait pas marché ici, c’était une catastrophe. Didier Ludot avait fait un tout petit peu de présence mais c’était pas comme Shiseido ou Marc Jacobs. Marc Jacobs et Rick Owens ont signé au même moment.

Rick s’en foutait de savoir si la boutique allait marcher ou pas, il voulait juste la construire dans un lieu où il se sentait bien. Ça a commencé comme un laboratoire. Quand tout était installé, Rick me regarde et dit « Now what ? » et là je dis « Heuuuu… on tourne la clé ? » et lui répond « Just like that ? » On n’avait pas averti la presse, on n’avait dit à personne qu’on ouvrait la boutique c’était complètement secret. Et Rick dit « You do it ! » et ensuite se casse. Donc j’ai tourné la clé et j’ai vu Rick partir en courant (rires).

 

Quel était ton premier instant de bonheur dans la boutique ?

C’était la première journée ; il y avait une petite dame de 70 ans, élégante comme tout, qui est passée tout à fait par hasard. Elle rentre et admire la boutique. J’ai fini par lui faire une vente de 15 000€, elle n’avait jamais entendu parler de Rick Owens. Là je me suis dit « It’s gonna work ! »

Après ça tous les fashionistas nous ont trouvé, les Asiatiques… Tout le monde a commencé à venir. Lenny Kravitz est venu dès le deuxième jour, il a toujours suivi Rick Owens de près. On a commencé à créer des moments très intimes, car ce lieu est magique. Jennifer Lopez par exemple était là l’autre jour, avec ses gosses qui couraient partout, c’était un bordel. Les gens peuvent se relaxer ici, ce qui est rare dans une boutique. Le voile de la célébrité s’enlève et ils deviennent de vraies personnes. Peu importe si c’est Spielberg, le plus grand joueur de football du monde, Maria Sharapova ou même A$AP Rocky, ils sont tous bien et se comportent naturellement, et non comme des stars.

 

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Comment se sont passés les premiers jours ?

Barbara : J’étais seule ! Le challenge au départ c’est que Rick n’avait jamais ouvert de retail store (magasin de vente), on n’avait pas un énorme budget, on ne savait pas par où commencer.

Rick avait trouvé une moquette similaire à celle de la Maison Blanche. On n’avait pas d’argent et il emmène une moquette qui coûtait une fortune… Je ne veux même pas dire combien, c’était d’une telle qualité qu’elle valait plus chère que la boutique (rires) ! Le mec décide de la clouer partout au sol et au mur, quand le travail était fini il dit : « Ah non, c’est beaucoup trop parfait. Je n’aime pas ! » Le lendemain, il débarque avec une bouteille de javel et il en a mis partout sur la moquette pour donner un genre usé. Au final l’effet était parfait, c’était formidable !

Mais le plus grand challenge n’était pas vraiment esthétique parce que Rick a ça en lui c’est ce qu’il est, puis moi j’étais là pour mettre du contenu dans son énergie, le gros challenge c’était le staff ! J’ai commencé avec un petit stagiaire américain qui s’appelait Brooke, il ne parlait pas un mot de français, c’était lui et moi. Ensuite j’ai eu une stagiaire du Japon qui avait une super énergie, elle ne parlait que japonais. Finalement, j’ai fait appel à Jean que je connaissais depuis 20 ans. Je lui ai demandé s’il ne voulait pas venir me donner un coup de main avec les vitrines, car lui-même est un artiste. Il a compris l’esthétique tout de suite.

Jean : C’était le 11 septembre ! Barbara m’appelle et me dit : « Écoute, on n’est pas nombreux, peux-tu venir faire deux silhouettes ? Une silhouette femme en bas, et une silhouette homme en haut. » Et j’ai géré !

Barbara : Rick a non seulement aimé le travail de Jean mais aussi la personne en elle-même.

 

La personnalité des vendeurs est importante, non ?

Barbara : C’est tout un casting !

 

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As-tu des anecdotes qui te reviennent lors de certains passages de célébrité ?

Barbara : La styliste d’Orlando Bloom appelle à la boutique pour me prévenir qu’ils arrivaient. Il faut savoir qu’Orlando adore les vêtements. Elle me demande de le faire passer par la porte arrière, et m’explique qu’il faut à tout prix éviter les paparazzis. J’ai donc alerté l’équipe, et nous avons attendu son arrivée. Quand je vois Orlando Bloom sortir de sa voiture, il est complètement couvert, une écharpe cache entièrement son visage, il regarde à droite à gauche et court jusqu’à notre porte. Une fois entré, il court se cacher puis demande à son équipe de vérifier toute la boutique. Au final, il n’y avait aucun paparazzis tout le monde s’en foutait de lui (rires). C’était très drôle. Mais il y a beaucoup de célébrités qui se font suivre par des paparazzis dans la boutique, et ça devient vite le bordel.

Quand Kanye est là, il est chez lui. Il vient avec sa musique, son ordinateur et se fait son propre mini-concert. Il est très à l’aise. Il aime beaucoup les vêtements de Rick, il achète généralement pour lui mais il a déjà pris des chaussons d’hôtel en agneau retourné pour Kim, 750€. Kanye a un vrai style, une vraie culture mode. Il comprend tout ce qui est fabrication, tout ce qui est haut de gamme, tout ce qui est plus porté sur le marché italien et français. J’adore parler fringue avec lui. Le gars n’a aucune limite, il est très curieux, ce n’est pas du tout le genre de personne qui va dire : « Moi je sais tout ». Il est très humble, c’est assez fascinant. Il a tellement d’énergie que parfois ça peut partir dans tous les sens, mais quelque part c’est un génie. Donc quelque fois ça peut être un peu hard, mais moi je connais juste un personnage qui a une force qu’il essaye de contrôler un petit peu, pour ne pas aller trop vite parce que les autres ne peuvent pas le suivre ou même ne le comprennent pas.

La première célébrité que j’ai reçue à la boutique était Lenny Kravitz. Courtney Love est venue juste après, elle a foutu un gros bordel ! On a eu toute la famille de Spielberg aussi. Janet Jackson vient souvent pour traîner ici, elle fait partie de la famille. Mais il y en a tellement, je ne pourrais même pas te dire… Je me souviens quand Michael Jackson m’a demandé si Rick – une petite anecdote pour te dire à quel point Rick s’en fout de tout – pouvait lui faire une veste pour son dernier concert. Quand je lui ai demandé, Rick m’a regardé et a dit : « Non je veux pas, ça ne m’intéresse pas. » (rires) Il a fait ça car il n’était pas inspiré par lui. Rick Owens ne cherche pas la célébrité, il n’est pas centré sur l’argent.

 

Comment se passe la relation vendeur/client?

 Barbara : Parce que je suis Américaine, je peux facilement entrer dans le cerveau des gens. Ils sont ouverts avec moi, ils s’expriment facilement, donc tout d’un coup on peut créer un moment magique pour eux et pour moi-même.

Il y a certains clients avec qui tu gardes une énorme distance, mais il s’agit surtout des clients de couture. Ce sont des personnes qui peuvent dépenser 200 000 à 300 000€ par an dans les vêtements, ils ont leur styliste donc je garde une distance et je reste disponible auprès du styliste.

Par contre avec les célébrités non, on se tutoie, on se connaît, c’est cool ! Ils viennent ici sans leur styliste, ce qui est très rare car normalement le styliste est envoyé tout seul à la boutique. Mais Jennifer, Kanye, Lenny viennent tous d’eux-mêmes. La boutique n’est pas un « red carpet » ou un endroit pour se faire une image, ce sont des vêtements qu’ils veulent vraiment porter. Donc nous les traitons comme tout le monde. Chaque personne qui entre dans cette boutique sera traitée comme une rockstar, même si parfois c’est loin d’être le cas.

 

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Quelle est ta relation avec l’équipe ?

 

Jean : Il y a des règles mais il n’y a aucune distance entre nous tous. La première chose qui m’a marqué quand j’ai commencé ici : le client doit être toujours heureux, et nous devons toujours rester cool. Et le fait d’être cool comme ça a donné à la boutique quelque chose que tu ne pourras pas retrouver ailleurs. Dans d’autres endroits les gens ne peuvent pas bouger, ne doivent pas parler… Ici il faut bouger, il faut se détendre…

Barbara : Je n’ai jamais voulu engager des vendeurs ou des vendeuses types. Je n’aime pas ça, j’essaye d’éviter. On ne veut pas convaincre nos clients d’acheter nos vêtements, on veut qu’ils sortent avec des pièces qui leur vont bien. Du coup, je prends des personnes qui ont de l’intégrité, qui ont un vrai style et qui savent ce qui ira bien sur chacun de nos clients. Je veux que le client rentre chez lui et qu’il adore la personne qui lui a vendu la pièce.

C’est important d’avoir une personnalité aussi, car un client va se sentir plus à l’aise avec un vendeur qu’un autre. Jean, par exemple, peut avoir un centre de gravité autour de lui parce qu’il connaît la garde-robe des clients, il sait ce qu’ils achètent, il est cool. Mais il peut y en avoir d’autres qui viennent à moi parce que j’ai une autre façon de voir. Chaque personnalité est différente et j’essaye d’avoir un peu de tout dans la boutique.

Hind attire sa clientèle. Henri aussi. C’est énorme ce qu’il a fait, maintenant tout le PSG s’habille chez nous grâce à lui.

 

Quels joueurs du PSG as-tu habillé ?

Henri : Nous avons reçu Gregory Van der Wiel, je ne le connaissais même pas. C’est un très bon client, très sympa… Enfin, il est moins sympa que Camara. Lui est vraiment humain, on rigole bien quand il vient. Avec Hind nous échangeons avec lui et parlons beaucoup de style. Il veut se donner un air chic tout en gardant une allure street, du coup Rick Owens c’est parfait pour lui. À partir de là, Camara parle à un autre joueur, et celui-là parle à un autre… On a fini par en avoir pas mal qui sont passés nous voir.

Hind : Je me souviens d’un jour quand Camara était venu à la boutique, il cherchait un cadeau pour un ami qui était en réalité Zlatan Ibrahimovic. Donc moi n’ayant aucune idée de la grandeur de cet homme, j’étais là à lui ramener des petites vestes en 48 italien. Camara finit par me regarder en disant : « Ah mais en fait vous n’avez aucune idée de qui c’est ! » Et je lui réponds : « Si, si c’est le petit Suédois avec une petite couette. » Camara me dit « Non, mais c’est un monstre ! » Au final il fait du 54 italien… (rires).

 

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Vous trouvez qu’il y a un esprit d’équipe différent ici, comparé à d’autres boutiques de luxe?

Henri : Mais on n’a même pas besoin de le dire ça, c’est tellement évident. On est une famille.

Hind : Barbara nous a appris à ne pas avoir les codes du luxe. On est luxueux mais sans faire chier nos clients. On n’est pas là à les suivre, à les coller au cul, à dire « Bonjour Madame » avec les mains derrière le dos. Les gens peuvent se sentir dans un univers super chic tout en étant décontractés. On a des clients qui s’allongent par exemple, sans-gêne. Je ne pense pas que tu puisses voir ça chez Chanel. C’est ça nos codes !

Barbara : Je suis avec les jeunes et je suis responsable pour eux. Je veux qu’ils construisent leur vie, qu’ils trouvent leur chemin. Mais parfois je les attrape entre deux portes et je les allume ! Ils répondent bien à mes messages, ils savent qu’au fond de moi je dis ça car je veux qu’ils évoluent. Je pense sincèrement que d’ici tu peux faire n’importe quoi après. Ils sont à l’aise avec les gens les plus difficiles de cette planète.

 

C’est ce qui vous permet de surmonter des situations compliquées ?

Barbara : Un jour nous étions six employés, tous occupés, il y avait beaucoup de monde dans la boutique. Tout d’un coup nous avons Lou Reed qui débarque et deux minutes plus tard Mick Jagger. J’étais complètement débordée avec des Russes, et je vois Lou Reed qui monte tout seul à l’étage puis qui redescend en disant: « Barbara ! Tu sais qu’il y a Liv Tyler qui pisse dans tes toilettes en haut (rires) !» (rires)

Hind : Raconte l’histoire du Babybel !

Barbara : Oh non c’est hard… Bon ok ! Cher c’est une cliente ainsi qu’une amie personnelle. Elle était venue pour le défilé de Rick, bien entendu elle a une garde-robe incroyable ; elle a toutes les fourrures, tous les trucs mais il faut lui dégoter quelque chose de nouveau. Donc j’ai décidé de la mettre dans une grande veste en alligator pour homme. Sur elle c’était top ! 20 minutes plus tard nous étions dans le taxi avec Cher, Loree Rodkin, et Fergie qui, elle aussi, avait emprunté une fourrure pour aller au show. Cher veut manger un petit truc avant d’y aller, et elle commence à prendre des Babybel. Un an plus tard, je me retrouve ici avec un de mes plus grands clients Russe, il avait déjà pour plus de 40 000€ de vêtements de côté et je choppe une veste en alligator pour lui, qui lui allait comme un gant ! Le gars me dit : « Barbara, tu as créé cette veste pour moi c’est pas possible. » Il était émerveillé ! Il garde la veste sur lui, me passe le ticket, l’affaire est conclue. Et là on se dirige vers la caisse, et il met ses mains dans les poches et sort un Babybel. J’étais sans mot… Et au final, le mec n’a pas pris la veste. Je ne savais pas quoi dire ! A part « Putain Cher, merde ! »

 

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Comment est l’ambiance dans la boutique ?

Barbara : Pour moi ce sont comme des frères et sœurs, ils s’entendent super bien puis parfois je dois intervenir pour qu’ils ne se tapent pas dessus (rires). Nous faisons des grandes réunions d’équipe chaque semaine pour essayer de tous s’entraider et travailler en harmonie. Les vendeurs ont du pouvoir chez Rick Owens ; parfois des paparazzis viennent et leur proposent de l’argent pour les prévenir de toutes célébrité qui peuvent entrer. On veut garder au maximum l’intimité de la boutique et le privilège que chacun puisse s’y sentir a l’aise.

On a déjà eu deux clients Russes qui sont entrés dans la boutique, un était là avec sa famille et le deuxième entre par la suite et je remarque directement la tension entre les deux. À un moment un des deux frotte l’épaule de l’autre et le deuxième, étant un catcheur, prend le mec et le jette contre le portant. Celui au sol sort un couteau, moi je suis derrière la caisse en me demandant ce que je vais faire, et j’entends Hind de l’autre côté qui crie : « Il a un flingue ! » Là tout le monde part en courant, sauf Henri qui reste avec moi. Je chope le mec avec le couteau et je lui dis : « Écoute, t’as pas l’air très cool donc tu peux sortir, et tu reviens plus jamais ici. »

 

Que signifie la boutique pour toi ?

Barbara : C’est un laboratoire humain. Regardez cette belle équipe qui s’est transformé!

 

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Photo : HLenie

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