Ines de la Fressange : « En plus, je couche avec un grand patron de presse, ça aide ! »
Inès de la Fressange est partout. Elle donne son nom à une voiture, ses rides à L’Oreal, ses idées à Uniqlo, sa plume à un bouquin et son mètre quatre-vingt au musée Grévin. À 57 ans rien ne lui résiste et c’est avec beaucoup de recul et d’humour qu’elle nous parle de cette nouvelle jeunesse. Fille d’une famille aristocrate, comme son nom ose le suggérer, elle revient pour nous sur son enfance et son rapport au milieu populaire qu’elle finira par représenter en partie lors de sa carrière.
Malgré la distance qu’impose le vouvoiement, Inès de la Fressange ne résiste pas à l’envie de sympathiser avec tout ce qui l’entoure. Sa bonne humeur est agréablement envahissante, son énergie magnétisante ; virevoltante elle passe d’un sujet à un autre, d’une réponse à une question à une proposition de selfie à celui qui lui a posé. C’est avec cette joie de vivre qu’elle répond à nos interrogations, elle ne peut s’empêcher de faire le show pour arracher les rires de chaque personne qui l’entoure. La dizaine de spectateurs dans la pièce est fascinée et tombe totalement sous le charme de la grande brune. Inès de la Fressange c’est le contraire de la langue de bois, pour nous et après plus de 30 ans de carrière, elle donne l’impression de vivre cet entretien comme si c’était le premier, à la fois gênée, touchante et amusante. Ce sont ces paradoxes qui nourrissent l’ancien mannequin et qui font d’elle la gosse de riche la plus appréciée des « sans dents ».
Vous êtes maintenant médiatisée depuis les années 80…
Ça commence à bien faire, je suis la Line Renaud de la mode là. [rires, ndlr]
… pourtant vous restez toujours dans l’air du temps. Comment expliquez-vous que vous n’êtes jamais passée de mode ?
Parce que je paye la presse, vous allez voir déjà demain votre relevé de compte Crédit Agricole. Vous allez titrer : « Cette fille est top. » En plus, je couche avec un grand patron de presse, ça aide (Inès de la Fressange est en couple avec Denis Olivesnes qui est à la tête de Lagardère Active). Ça s’explique comme ça (elle rit puis reprend son sérieux).
En fait, je n’ai jamais été trop à la mode donc c’est un bon moyen pour ne pas être démodée. Il y a quelques semaines, j’ai fait la couverture du Vogue France. Vous avez vu ? C’était la première fois de ma vie, première couverture… 57 ans. En fait, non je mens un peu parce que quand j’étais mannequin ils m’avaient photographiée en silhouette et assise sur une chaise. Moralité : il faut commencer à être mannequin à 57 balais, c’est ça le secret.
« Ça commence à bien faire, je suis la Line Renaud de la mode. »
D’où vient ce renouvellement d’intérêt médiatique et populaire ?
Mais c’est aussi parce que j’aime bien les choses quoi. Le Petit Journal par exemple, je vois les gens qui les fuient et qui refusent de leur parler. Moi je trouve ça trop sympathique, je le regarde tous les jours. Ça m’étonne toujours, les personnes qui n’ont pas de curiosité pour ce qui se fait de nouveau.
Je pense que le piège de la notoriété c’est de croire qu’elle existe alors qu’il faut en prendre que le bon côté ; c’est-à-dire toute cette bienveillance que les gens ont pour vous spontanément sans vous connaître. Mais, il faut continuer à avoir une vie, pas normale, parce qu’on n’a pas une vie normale mais d’essayer plus ou moins quand même. Il y a des gens qui ne marchent jamais dans la rue, qui ne vont jamais au Monoprix acheter du dentifrice, qui pensent qu’ils doivent garder une espèce de statut de notoriété. Moi, je n’ai jamais fait ça.
J’ai toujours été consciente d’avoir une vie très facile et très privilégiée mais je ne suis jamais rentrée dans mon rôle d’Inès quoi. Peut-être que les gens le sentent… Je n’ai pas la même vie qu’eux mais j’ai quand même une vision assez similaire des choses. Enfin, je ne sais pas, je déteste qu’on me fasse parler autant de moi comme ça.
Justement, vous restez grand public tout en incarnant le luxe : vous sortez une nouvelle collection avec Uniqlo, vous donnez votre nom à une voiture et venez d’entrer au musée Grévin…
Non mais le musée Grévin c’est parce qu’ils n’avaient pas beaucoup de cire, il leur fallait un truc un peu maigrichon. Ça leur coûte moins cher [rires] ! C’est une question d’économie. En plus, je fournissais les pompes, les vêtements, j’ai quand même une veste Uniqlo au musée Grévin. Ils avaient tout ça gratos, ils avaient calculé leur truc.
Êtes-vous consciente de représenter quelque chose ?
Non ! Je ne représente rien du tout. Heureusement que je ne pense pas à ce genre de trucs : « Alors oui qu’est-ce qui se concentre autour de moi en ce moment ? » Jamais je ne me pose ce genre de question. De toute façon, il faut toujours se méfier des gens qu’on croise en montant parce que ce sont les mêmes que l’on croise en descendant.
Non mais c’est très drôle la notoriété. Un jour, j’étais dans un taxi et puis le type regarde dans le rétroviseur et dit : « Mmmh, je vous reconnais vous. » Moi je suis entrain de me remaquiller, à mon mieux quoi ! Et là, il me sort : « Vous êtes Inès de Funès ? » [rires]. Ça vous remet en place quand même, et comme une crétine, je lui ai dit : « Oui ». Il avait un peu mixé mais bon porter le nom « de Funès » c’était quand même frais.
Qu’est-ce qui vous rapproche des personnes « normales » ?
Beaucoup de personnes ont des idées préconçues sur la mode : ils imaginent que les stylistes sont des folles, tordues, hystériques et que les mannequins sont des écervelées crétines. Mais je pense que les gens se disent qu’ils sont dédaigneux avec le commun des mortels. Alors que moi, on me voit comme une fille devant son pastaga à Tarascon le dimanche, gaga avec ses enfants et ses chiens. Puis, les femmes ont vieilli avec moi : elles ont eu 20 ans dans les années 80, elles ont eu des enfants en même temps que moi et elles ont pu s’identifier je crois. Mais enfin, si je commence à trop me poser de question, je deviendrais une espèce de malheureuse en fait.
Je n’ai jamais été entourée d’une cour avec un coiffeur et un maquilleur qui me disaient que je suis divine. Ça je le regrette (ironique)… Oui, j’aurais pu être entourée de porteur de traînes mais il se trouve que non. J’ai toujours été entourée de gens qui ne travaillaient pas forcément dans la mode, et puis qui n’ont jamais été vraiment porteurs de traînes. C’est ce qui m’a sauvée.
Comment définissez-vous brièvement la Parisienne ?
Ça ne veut rien dire à Paris mais beaucoup à l’étranger. Celle-ci ou celle-là (pointant la styliste et la photographe m’accompagnant), elle se balade à New York, ils vont dire que c’est une Parisienne mais on n’est pas du tout conscientes de ça. Ils parlent d’« effortless chic ». Comment ça « effortless chic » ? Nous, on a l’impression de s’être données un peu de mal – coiffées, maquillées -, eux ils trouvent que c’est sans effort… Bon ok d’accord !
Aujourd’hui, tout le monde vous identifie comme la Parisienne justement ?
Ouais c’est marrant. C’est parce que j’ai du sang hongrois, du sang juif, du sang sud-américain, et mon nom date du XIIème siècle ; c’est ça la France et Paris. Mais en réalité, c’est Caroline de Maigret la Parisienne.
Enfin bon, on va faire un selfie tous les deux, et vous l’enverrez à votre maman, elle sera ravie. Peut-être pas, peut-être qu’elle n’en aura rien à faire (elle se lève, nous faisons une photo ensemble, rions de l’originalité de la situation et reprenons l’interview)
Mais, j’en suis très fière dès que je voyage, Paris c’est mythique et culte. C’est le pays de Ratatouille et de la tour Eiffel.
Au-delà de ce que vous représentez, vous êtes une personne qui tout au long de sa carrière s’est excusée d’avoir été privilégiée.
C’est vrai, quand j’étais mannequin je pensais que j’avais de la chance d’être grande et mince et que mes parents m’avaient fait comme ça. Après quand je suis devenue styliste, j’ai choisi des mannequins et j’ai vu des filles avec des têtes sublimes et des corps de rêve, mais que ne sont pas devenues connues. C’est à ce moment que j’ai compris que les mannequins qui réussissaient ont quelque chose d’autre, ne serait-ce que sa personnalité, son caractère. À l’époque, je ne le savais pas, je pensais que j’avais juste que de la chance.
Mais j’ai toujours essayé de faire la part des choses, j’ai été élevée par une dame polonaise, très pauvre. On était dans des Rolls avec mon frère, on passait nos vacances à St Tropez, à Deauville, à Megève, et à chaque fois elle nous rappelait que des gens étaient démunis. Du coup, on choisissait des vêtements qu’on n’aimait plus et on allait les apporter nous-mêmes, Les Quatre Filles du docteur March quoi ! Puis, on habitait dans un village et d’autres vivaient dans des grottes et on leur apportait des choses à manger come au XIXème siècle. Elle a toujours été là pour nous rappeler qu’on jouissait de tout mais qu’il ne fallait jamais oublié les autres. D’ailleurs, elle gardait toujours des petites soucoupes avec des carottes râpées, des betteraves… Il y avait 50 000 petites assiettes dans le réfrigérateur, on ne gaspillait rien. C’était aussi dans notre éducation.
Vous parlez souvent de cette personne, c’était quelqu’un d’important pour vous.
Elle était comme ma mère. Ce n’était pas quelqu’un de cultivé, quand elle était petite elle allait à l’école pieds nus. Mais elle avait la culture de l’être humain et des qualités extraordinaires avec un sens incroyable de la dignité et de la bienveillance. Mes parents m’ont apporté mon goût pour la créativité, et pour oser d’être différente et originale ; mais elle a façonné toute une pensée politique. C’est quelqu’un qui m’a apporté un équilibre psychologique.
Quelle vision vous aviez du milieu populaire quand vous viviez dans votre moulin de 26 pièces à l’époque ?
J’étais dans l’école communale, j’étais très timide et réservée, et je rentrais en larmes parce que tout le monde me bousculait un petit peu. Du coup, on m’a mis dans une école privée de garçons avec que des gosses de riches abandonnés, l’opposé. Dans ma petite enfance, il y avait de grandes différences de classes sociales ; et les gens étaient très concentrés sur ces différences. Tout le monde était habillé selon ses moyens, aujourd’hui quelque soit la classe sociale, on a tous les mêmes Stan Smith. La Stan Smith du 93 est la même que celle du VIIème.
Puis quand j’étais en école à Mantes-la-Jolie, on me parlait un peu comme si j’habitais dans un château. Ils imaginaient que ma mère portait un chapeau pointu et mon père avait un sceptre d’Ottokar. Malgré cette enfance très luxueuse, je déjeunais dans la cuisine avec le chef, le cuisinier, le commis, la femme du chef, le jardinier, la femme du jardinier la femme de ménage, la nurse et c’était la fête quoi !
« La Stan Smith du 93 est la même que celle du VIIème. »
C’est vrai que vous fantasmiez sur les barres HLM quand vous étiez petite ?
Ouais mais c’est un peu délicat de le dire comme ça. Ma grand-mère invitait les enfants du maître d’hôtel en vacances en Suisse à faire du ski ou à Deauville donc ils m’invitaient à Rueil-Malmaison dans leur HLM.
J’avais un caniche et mon frère un labrador, ils avaient un perroquet qui s’appelait Coco. Nous on avait ces grandes boîtes de chocolats, de marrons glacés enveloppés, ils avaient la pochette de bonbons à un franc avec tout. Tout était plus drôle. Alors quand je le dis aujourd’hui, ça fait très « Marie-Chantal ». Mais nous on était dans une maison de 24 pièces seuls au milieu de 12 hectares, eux en haut et en bas ils avaient leurs copains et ils se retrouvaient dans la cage d’escalier et on trouvait ça super rigolo. En plus ils étaient collés à leurs parents, les nôtres allaient dîner en ville, ils avaient des plans… Guy, le père, et Yvette, la mère, étaient devenus tonton Guy et tata Yvette.
Ils nous racontaient leurs vacances à Romorantin où ils avaient une petite maison avec toute la famille au bord de la rivière : « – On prend la barque, on va pêcher et on va au PMU. – Mais c’est quoi le PMU ? – Le café où on joue au flipper et tout. » Avec mon frère, on avait les yeux écarquillés parce que nous on était à Trouville sur la plage et notre grand moment de vacances, c’était quand la nounou nous offrait une gaufre. Ça nous faisait rêver donc on allait voir notre grand-mère : « On peut aller à Romo ? » Elle a accepté et on s’est retrouvés dans les voitures bondées, les valises sur le toit, toute la famille en débardeur autour de la table, les enfants sur les genoux des parents, des bouteilles de pinards posées… Nous sinon on était à l’hôtel Royal de Deauville tous les deux dans la grande salles à manger, c’était beaucoup moins drôle pour un enfant.
Pendant longtemps sur mon composite quand j’étais mannequin, je mettais seulement Inès et pas de la Fressange. Car quand j’arrivais dans les maisons de haute couture dans lesquelles ma grand-mère avait été une grande cliente et je ne disais jamais qui j’étais, j’avais une honte. Maintenant rien à battre. [rires]