ABRA : « Le lifestyle des artistes d’Internet ne correspond pas réellement à notre notoriété »
Dans la musique, la jeune Abra se laisse portée par l’expérimentation et évolue entre Londres où elle trouve ses origines et Atlanta qui l’a adopté. Chanteuse, parolière, productrice, elle tire de ses influences une musique pop alternative, un mélange à la fois sombre, romantique et profondément nostalgique, inscrit dans l’ADN de son premier projet « Rose », qu’elle sort sur le label Awful Records qu’elle intégrait il y a quelques années. Derrière Awful, c’est aussi une famille dont elle est l’un des deux seuls membres féminins. À l’occasion de son tout premier concert à Paris, nous l’avons rencontré, pour parler de ses début et de ses projets au-delà de la musique.
SOUNDCLOUD | INSTAGRAM | YOUTUBE | FACEBOOK | TWITTER
Comment as-tu d’abord découvert la musique ?
À partir du moment où je suis sortie du ventre de ma mère, j’ai baigné dans la musique. Ma mère me dit toujours : « Tu pouvais chanter avant de savoir parler. » J’ai été élevée dans une église, ma mère faisait parti du culte et je devais m’asseoir et attendre pendant qu’elle et d’autres parents répétaient. De son côté, c’est musique, musique, musique. Elle adore chanter, elle joue de la guitare…Ça a toujours fait partie de ma vie et il n’y a jamais eu de moment où je me suis dit : « La musique c’est cool, je devrais essayer. »
Du coup dans quel genre tu as commencé à chanter ?
Surtout des chants d’église, mais ma mère aimait aussi beaucoup la musique folk et elle jouait de la guitare. De l’autre côté, mon père était un genre de Disco King. On n’écoutait pas la pop musique qui correspondait à l’époque où on vivait. On écoutait aussi beaucoup de smooth jazz, de jazz classic, de soul, de funk, du Sade. Je dirais que je tiens mes goûts de mon père et ma technique de ma mère.
Tu es née à Londres ?
Non je suis née à New York, mais je suis directement partie pour Londres.
Et après ça ?
J’ai déménagé à L.A.
Tu as toujours cet accent anglais…
C’est sûrement parce que je reviens de Londres.
Peut-être. Mais c’est aussi quelque chose qui se traduit dans ta musique qui a des sonorités très anglaise. Quand j’ai écouté tes titres, j’ai d’abord pensé que tu venais de Londres.
On me le dit souvent.
Tu penses que ça vient d’où ?
J’ai appris à parler en Angleterre, j’ai appris à marcher en Angleterre, j’ai appris à chanter en Angleterre. Je ne sais pas, je ne peux pas l’expliquer. Quand j’habitais là-bas, je n’ai pas le souvenir d’avoir été assez âgée pour me dire « Oh ce son déchire! » Je n’écoutais pas vraiment de musique, donc je ne sais pas vraiment d’où ça vient.
C’est assez étrange parce que ta musique correspond aussi très bien à cette nouvelle scène anglaise.
C’est assez bizarre. Mais ça ne me dérange pas. J’apprécie quasiment tous les artistes originaires du Royaume-Uni.
Dans le même temps tu fais partie d’Awful Records, un label principalement constitué de rappeurs originaires d’Atlanta et qui font de la musique qui ressemble à cette ville-là. A quoi ça ressemble de faire partie d’un tel groupe ? Comment vous réussissez à tous vous entendre ?
On ne s’entend pas toujours. C’est fou, il y a tellement de choses à dire sur le fait d’appartenir à Awful. C’est comme si on était une famille, mais je ne le dis pas dans un sens mièvre. On est une famille dans le sens où on a tous décidé qu’on allait faire partie de ce truc et que peu importe ce qu’il se passe, ou que tu foires, on fera toujours parti de la famille. Je ne t’aime pas, mais tu reste ma famille. Et si tu traverses quelque chose, on t’aidera quand même, on restera toujours ensemble. C’est comme un pacte qu’on a passé.
Au début quand je les ai rejoint, c’était dur parce que je suis chanteuse et que les autres rappent. La première fois que je me suis sentie anxieuse par rapport à ça, c’est quand on a fait cette date qui s’appelle Awful Sweater Party, où les dix-sept membres se produisaient sur scène. La première fois, j’étais la seule chanteuse. Il y avait genre six gars qui rappaient avant moi, et puis moi qui chantait du RnB et ensuite sept autres rappeurs. C’est vraiment intimidant de devoir essayer de faire la suite d’un show comme ça, quand tout le monde est en train de danser et de se sauter dessus. Moi j’arrive en faisant « lalalala » et personne ne veut entendre ça dans une soirée.
C’est là-dessus que j’ai dû faire le plus de progrès : plus croire en moi. Me dire que ça ne fait rien, que la bonne musique reste de la bonne musique et que je n’écoute pas seulement du RnB, je peux passer de Young Thug à Aluna George, donc je ne peux pas m’attendre à ce que les gens soient aussi fermés d’esprits, qu’ils ne soient pas capable d’apprécier le rap et en même temps ma musique.
D’une autre manière, Awful m’a aussi forgée en ce qui concerne la production. J’ai été inspirée par mes amis car avant eux j’étais vraiment dans des sons low-fi, glam, comme le RnB. Et puis je les ai rencontré et ils m’ont montrée le drumpad et le 808. Et je me suis dis que j’allais faire un genre de musique bass-fairy, de la dance musique qui sonne comme de la musique d’Atlanta. Et je pense que le simple fait d’être entouré par eux m’a beaucoup aidé à forger ma musique. Ils sont tellement créatifs dans tous ce qu’ils font. Ils sont une source d’inspiration.
Quel est ton processus créatif ? Comment est-ce que tu as conçu ton album par exemple ?
Je pense que le projet s’est fait un peu inconsciemment. Habituellement, je traverse quelques trucs nuls et j’accumule pas mal de charge émotionnelle. Je ne sais pas quoi en faire et je deviens assez solitaire. Je vais dans ma chambre et subitement, de cette solitude, les idées surgissent. Je les écris, il y a des mélodies qui me viennent en tête et c’est vraiment démembré. Je peux être en voiture et une ligne de basse va me venir à l’esprit. Je l’enregistre dans mes mémos et je le fais tourner. J’enregistre les paroles et je rentre pour tout étoffer et enregistrer une version brut que je développe. Mais ça vient avec le temps. Comme pour « Roses », la conception m’a pris un mois et demi. Mais j’ai fais certains de ces sons quand j’avais 14 ans par exemple.
Dans ce processus, à quel moment tu t’es dis que tu avais de quoi faire un album ?
Après avoir eu un vrai bon retour dessus. Je me suis aussi dis que j’avais besoin d’une oeuvre plus large pour pouvoir me produire sur scène.
Tu as parlé du statut de « Internet Musician » dans une interview pour FACT.
Oui j’essayais d’expliquer ce que je faisais à mon père.
Est-ce que c’est un vrai statut pour toi ? Comment tu décrirais ça ?
Pour moi c’est quelque chose de réel et de fou. Parce que je peux être ici, ou à Londres, faire tous ces trucs cools, mais je pense toujours à mes parents à la maison. Je peux faire un show complet où les gens connaissent mon nom, viennent à l’aéroport et crient « Abraaa! » et je suis genre « Comment vous me connaissez ? » Et après tout ça, je suis à la maison, avec mes parents, parfois dans la galère. J’ai l’impression d’un immense décalage. Avant quand quelqu’un devenait célèbre, il devenait célèbre sur tous les points. Je ne dis pas que je suis célèbre, mais dès que des gens hors de ton entourage connaissaient ton nom, ton lifestyle correspondait à ta notoriété. Et pour les artistes d’internet, ça ne colle pas. Les gens peuvent te connaître, mais tu restes la même personne.
Mais dans le même temps, ta carrière en est encore à ses débuts. Comment est-ce que tu te sens par rapport à ça ?
Je n’ai pas envie de dire « effrayée » parce que c’est négatif, mais disons que je ne sais pas comment prendre ça. Je suis contente que les choses marchent de façon positive. Je suis reconnaissante. C’est tout ce que je peux dire, peu importe ce qui va suivre.
Les choses sont allées très vite, mais une chose qui me rassure c’est que personne d’autre que moi n’a le contrôle de la situation. Si je veux m’arrêter, je peux le faire. Ce n’est pas comme si un label décidait de me mettre face à un public 2500 personnes, parce qu’ils pensent que je suis génial, et que je n’avais jamais fais le travail pour tenir un tel public. Tu dois toujours mériter ta place ou tu peux te sentir mal assurée, mal à l’aise. Mais j’ai fais le travail. C’est arrivé vite, mais j’ai gagné ma place. Et je peux dire stop quand ça me fait trop peur. Mais je ne le ferait pas.
Je voulais te parler d’un autre domaine : la mode. Parce que les sites et les magazines aiment beaucoup te proposer de l’édito. Qu’est-ce que ça te fait ?
Ugh, je ne suis pas un mannequin. C’est vraiment flatteur….
Ça t’as surpris ?
Non pas vraiment. Pour être honnête, je sais que je suis grande, je suis mince, je rentre là-dedans et on me l’a déjà dit : « Tu devrais devenir modèle. » Mais j’ai l’impression qu’en tant que mannequin tu dois vendre des trucs, et ce n’est pas mon truc. Et pendant les photoshoot, on te demande de sourir, d’être joyeuse, de faire semblant et ça me frustre. J’ai l’impression qu’être mannequin c’est endosser un autre personnage et je veux être moi-même. Mais j‘accepte parce que je pense que ce n’est pas une opportunité donnée à tout le monde et parfois, c’est bien de sortir de sa zone de confort. Donc je le fais et peut-être que sa finira par me plaire.
Quels sont tes projets ?
J’ai envie de faire le tour de monde, de continuer à tourner avec ma musique. Mais j’ai aussi pas mal d’envie humanitaire. J’ai envie d’organiser des festivals porteurs de message. J’ai envie d’investir dans mes amis auxquels je crois et qui galèrent pour atteindre leurs buts. Je rencontre tellement de gens qui font des choses extraordinaires mais qui n’ont pas les financements. Par exemple, j’ai une amie qui est une écrivaine incroyable. Elle ne peut pas se permettre de quitter son travail et de travailler sur son livre pendant un an. J’aimerais lui proposer de lui payer un appartement pour un an, et lui dire « Tu n’as rien à faire, écris seulement ton livre et on verra ce qu’il se passe ». La chose la plus importante que j’ai apprise en devenant artiste, c’est que tout ça tient beaucoup à la chance. Plus que ça, c’est une question de bénédiction. Et pour moi c’est quelque chose de bizarre que des gens qui soient aussi talentueux que d’autres personnes, qui elles sont célèbres, ne le soient pas parce qu’elles ne connaissent pas les gens qui peuvent leur donner la bonne opportunité. La porte ne s’ouvre pas pour eux. Peut-être que ça devait être comme ça, mais je ne sais pas… J’ai l’impression de connaître des gens qui méritent d’avoir la chance d’accomplir leur rêves, et j’ai envie d’investir dans ces gens-là.
À propos de ce soir. Comment tu te sens ?
Je suis excité. Je suis française, j’ai de la famille ici. Je ne parle pas français, mais je me sens française. C’est la deuxième fois que je viens et je me sens vraiment béni d’être ici. C’est comme un objectif. Je me suis toujours dis que je voulais voir Paris, voir l’Europe, voir le monde. Et me voici, je suis payée pour être ici, des gens veulent me voir et je fais quelque chose que j’aime.