Dreezy : « Dès les départ, quand j’allais en studio, je rappais mieux que la plupart des mecs »

Maison-mère de l’Illinois, Chicago est une ville prédominante dans la culture hip-hop. Les hustlers quadrillent la plupart des quartiers du sud de la ville, d’où sont originaires la grande majorité des rappeurs. Connu pour sa « drill music », Chiraq regorge de rappeurs émergents. À la croisée entre drill music et r’n’b, Dreezy est une jeune emcee de 22 ans ayant grandi dans le « Southside » de Chicago. Quelques mois après la sortie de son album No Hard Feelings, elle revient sur ce tout début de carrière.

Photos : @Booxs

Tu as grandi dans le sud de Chicago, un quartier populaire connu pour sa musique et son taux de criminalité élevé. Quelle enfance as-tu eu ?

J’ai grandi très vite et j’ai dû apprendre à me débrouiller par moi même. J’étais assez curieuse et créative.

 

Tu as commencé à écrire des poèmes très jeune…

J’ai commencé à écrire des poèmes aussitôt que j’ai appris à écrire. Plus largement, j’adore l’écriture. Je me souviens que je passais beaucoup de temps à écrire. Je rédigeais des poèmes, des petites histoires… Au fil du temps j’ai commencé à écrire des morceaux et c’est de cette manière que j’ai commencé la musique. Au début je ne faisais pas de rap, ce n’est que des années plus tard que je m’y suis mise.

 


« J’ai commencé le rap grâce à Lil Wayne. J’étais une fan de Lil Wayne ! C’est d’ailleurs grâce à lui que m’est venu mon nom de scène, Dreezy.»


 

Quel était ton rapport à la poésie ?

C’était un moyen de m’évader. Un bon moyen de m’exprimer !

 

Comment es-tu passé de la poésie, à l’écriture de nouvelles, puis à l’écriture de chansons au rap ?

Ça a été une évolution naturelle. Avec l’âge j’écoutais plus de rap et je me suis rendue compte que la structure d’un poème est la même que celle d’un morceau de rap. C’est aussi ça le rap, l’art de raconter une histoire. Beaucoup de mes morceaux sur ma mixtape Schizo étaient certains de mes anciens poèmes. Mon producteur venait chez moi et on créait ensemble une production musicale autour de chaque poème. Je n’ai pas vraiment eu de mal à passer de la poésie au rap.

 

Peux-tu me donner un exemple de ces morceaux-poèmes. ?

« Love that bitch » sur ma mixtape Schizo. C’est un son en rapport avec la relation que l’on peut avoir avec le cannabis. (Dreezy commence à freestyler, ndlr)

« Her sent is sweeter than swishes
With just a whiff of her fragrance
She have you stuck like a picture
By just the hell of her presents
She hypnotise by her assents whether
Depression or happiness
Is a curse or a blessing
SMOKE
I meditate for a lesson
CHOKE
And now I lost all my feelings
HOPES… »

 

Quand tu l’écoutes pour la première fois tu peux penser que je parle d’une relation entre moi et une autre personne mais en réalité il s’agit de ma relation avec la weed. C’était un poème que j’avais écrit un peu avant. À partir de ça on a créé un « beat ».

 

En te forgeant ce style d’écriture singulier, ton style de rap est devenu lui aussi singulier ?

J’ai commencé le rap grâce à Lil Wayne. J’étais une fan de Lil Wayne ! C’est d’ailleurs grâce à lui que m’est venu mon nom de scène, Dreezy. J’ai même lâché mon premier texte, sur « Pussy, Money, Weed ». C’était mon premier freestyle. Pendant un moment j’ai arrêté d’écrire des morceaux personnels, des poèmes. Quand je m’y suis remise, j’avais encore le même style d’écriture et j’ai développé ma musique autour de ça. J’allais en studio et je rappais mieux que la plupart des gars qui étaient là.

 

Ta musique était beaucoup plus personnelle à l’époque ?

C’est difficile d’écrire des morceaux personnels, mais la plupart du temps mes titres sont intemporels et c’est ce que j’aime ! Tu peux les écouter des années plus tard et te remémorer ce que tu étais en train de vivre. Je ne suis pas la seule à vivre cette « vibe », mon public la ressent également. Quand j’interprète un de ces morceaux assez personnels et que je vois les réactions du public ça me touche, ça me donne envie de continuer.

 

 

Pourtant un de tes premiers succès est « Chiraq » avec près de 1 500 000 vues sur YouTube . Quel était ton état d’esprit à cette période ?

Ce titre s’est fait vraiment très vite, c’est un remix d’une collaboration entre Lil Herb et Nicki Minaj. J’ai écouté ce morceau dès qu’il est sorti et je savais que la « prod’ » me correspondait bien. J’ai commencé à rapper dessus, on est allé au studio le lendemain matin et on a sorti le son. Tout s’est passé très rapidement et je pense que ça a contribué au succès général du morceau. On a réussi à sortir notre remix deux jours après Nicki et Lil Herb. Le son a fait des vues assez vite.

 

Le clip reflète bien l’atmosphère, on a l’impression d’assister à une énorme “Block Party”.

J’ai voulu montrer toute ma ville. On a fait le tour du quartier, on est allé dans tous les quartiers pour tourner. Bien évidemment, ce n’était que des personnes que je connais et que j’apprécie. J’étais contente de voir qu’ils me soutenaient.

 

Les jeunes de ton quartier n’étaient pas les seuls à te supporter. Plusieurs institutions du rap de Chicago t’ont apporté leur soutien. Je pense notamment à King Louie, Common… Comment les as-tu rencontrés ?

J’ai toujours été une fan de King Louie. À Chicago, c’est l’un des pionniers de la drill. J’avais réussi à entrer en contact avec lui mais on ne s’était encore jamais vus. Je n’avais pas d’argent pour faire un featuring mais je voulais absolument qu’il pose sur « Ain’t for none ». J’ai fini par réussir à le rencontrer au studio et il se souvenait de moi. On s’est tout de suite bien entendu et il a fini par poser dessus, il a même insisté pour qu’un tourne un clip ensemble. Il m’a vraiment beaucoup aidé… « Ain’t for none » était ma première vidéo à passer sur Worldstar. J’ai rencontré Common un peu de la même manière.

 


« Je n’avais pas d’argent pour faire un featuring avec King Louie mais je voulais absolument qu’il pose sur « Ain’t for none ». J’ai fini par réussir à le rencontrer au studio et il se souvenait de moi. On s’est tout de suite bien entendu et il a fini par poser dessus, il a même insisté pour qu’un tourne un clip ensemble. »


 

Quelle relation as-tu gardé avec ces artistes ?

Une bonne relation, je ne les vois pas tous les jours mais on a gardé contact. Je les félicite de leurs nouveaux projets respectifs. Ils me donnent des conseils pour que je sois encore meilleure. J’essaye juste de rester fidèle à moi-même et d’entretenir une bonne relation avec eux. Common m’a même invité à rapper un couplet sur son album Nobody’s smiling (« Hustle hard »). Common est quelqu’un qui se préoccupe de la situation de Chicago et qui essaye d’aider les jeunes de notre ville à réussir.

 

Tu as un style différent du reste des artistes de Chicago. Pour la plupart ils se sont orientés vers la drill alors que tu as toi choisi de chanter et de rapper. Pourquoi ce choix ?

J’ai la chance de savoir rapper et chanter. Je pense que chanter me permet d’aborder ma réalité d’une autre manière. Il y a 5 ans on n’aurait jamais imaginé qu’un son comme « Close to you » viendrait d’un artiste de Chicago. C’est important d’être capable de jouer avec les mélodies de nos jours, ça devient vite ennuyant sinon.

 

dreezy

 

Justement on retrouve cette volonté de jouer avec les mélodies dans ton album No hard feelings. Peux-tu décrire ce projet ?

No hard feelings est une compilation de bons morceaux. Tu as des titres r’n’b et d’autres beaucoup plus rap, plus drill. Je trouve que c’est un album avec du hip-hop et du r’n’b de qualité. J’ai essayé de faire un projet au son le plus authentique possible.

 

As-tu le même processus créatif pour un titre rap et un titre r’n’b ?

Tout dépend de mon état d’esprit quand j’écris le morceau… Pour des sons plus profonds et personnels, je vais prendre le temps d’écrire et de travailler mes lyrics mais il m’arrive aussi de freestyler. Tout dépend de la « prod’ » que je choisis.

 

Je trouve que tu as été beaucoup plus exigeante dans le choix des « beats » sur ce projet. Quelles sont les différences selon toi entre cet album et tes précédentes mixtapes ?

C’est un album aux sonorités plus r’n’b. Je chante plus et je m’amuse plus avec les mélodies. Je pense que c’était important de montrer que je suis une rappeuse aux multiples facettes. Jusqu’à présent la plupart de mes fans me connaissaient pour mes morceaux de rap. C’est important qu’il me découvre sous un autre aspect. C’est un projet de meilleur qualité.

 

 

En écoutant cette album on a l’impression que tu es devenue plus mature…

Oui c’est de la musique beaucoup moins personnelle. À l’époque de Schizo je me dévoilais beaucoup plus et j’étais beaucoup plus émotive. Aujourd’hui je laisse moins de place aux sentiments. J’ai juste grandi et appris de mes erreurs.

 

J’ai particulièrement aimé le titre « We gon ride » avec Gucci Mane. C’est d’ailleurs un des premiers clips que Gucci a tourné en sortant de prison.

Oui mon manager m’a permis d’entrer en contact avec lui. Il était super enthousiaste à l’idée de travailler avec moi, il n’arrêtait pas de me répéter : « Le son est lourd. » Ça m’a moi-même surprise, je n’arrivais vraiment pas à réaliser.

 

Comment vois-tu ton avenir ?

J’ai envie d’ouvrir des portes pour les artistes féminines, pas seulement de Chicago mais de tout le pays. J’ai également envie d’aider ma communauté à se développer. Il y a beaucoup de personnes qui ne reviennent pas dans leur quartier une fois qu’elles ont réussi. C’est un problème parce que les seuls modèles qu’ont nos jeunes sont les dealers, les proxénètes… Il n’y a plus de structure éducative.

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