Thomas Ngijol : « Dans Fast Life, je ne voulais pas trahir la culture de la rue »
Il y a chez Thomas Ngijol, l’image d’un personnage désenchanté mais totalement fasciné par la vie et passionné par la manière de la raconter. C’est à la fois ce qui fait sa principale force comique sur scène mais aussi la spécificité cinématographique de FastLife. Il se sert de l’humour pour décrypter des phénomènes de société et, dans le cadre de ce premier long-métrage, la superficialité de la fameuse « vie rapide » des réseaux sociaux. Un œil juste porté par son éternelle attraction pour la rue mais surtout par sa nouvelle paternité, une étape qui force à appréhender le sens de la vie de manière différente. Enchanté le désenchantement, serait-ce donc ça la patte Ngijol ? Réflexion autour de la FastLife avec son plus fin analyste.
YARD : Tu as été co-réalisateur sur Case départ mais pour Fast Life tu es vraiment seul. Comment tu expliques ce processus qui t’a amené à la réalisation ?
THOMAS NGIJOL : C’est assez simple dans le sens où je suis autodidacte. Quand tu commences à faire la démarche de monter sur scène, tu écris déjà un petit peu. Donc de fil en aiguille, plus tu écris, plus tes projets se diversifient et plus tu te diriges inconsciemment vers le cinéma. C’est pas un truc où tu te dis « Ah, j’ai envie de faire du cinéma », mais tu formules l’envie de raconter une histoire dans le cadre d’un film. Dans Case Départ c’était une démarche commune, là je suis parti sur un cheminement perso. Après je suis un peu réalisateur par accident, maintenant que j’ai fait un film, j’ai encore plus de respect pour les réalisateurs de formation. Donc c’est assez naturel en définitif.
YARD : Pourquoi avoir choisi d’être à la fois réalisateur et acteur principal ?
T.N : Je n’ai pas choisi (rires). J’ai juste écrit et plus j’écrivais, plus je me marrais à raconter l’histoire de ce gars là. Il y a aussi une part d’inconscience car je ne suis pas réalisateur de formation mais je me suis marré à décrire son parcours, de voir un peu sa trajectoire. Le truc à la fois rigolo et d’une extrême violence, c’est à la fin, quand tu te rends compte que tu es sur tous les plans. Tu dois t’occuper de tout, ça te rend ultra fragile. C’est l’inconscience du mec qui n’a jamais réalisé : on te dit « Ouais, mais t’es quand même présent » et toi t’es la « Ouais, ouais t’inquiètes ça va aller. »
On est du 94, il y a cette naïveté, cette espèce d’audace, on pense : « Oh t’inquiètes j’ai grandi a Maisons-Alfort, tu vas voir ». Puis tu as beau avoir grandi où tu veux, à un moment l’équipe te demande « On fait quoi ? », tu réponds « Bah… attendez j’arrive. » Je pense que si je réalise à nouveau, je ne serai pas du tout omniprésent, enfin, beaucoup moins présent.
YARD : Est-ce que tu peux expliquer le concept de FastLife ?
T.N : Il n’y a pas vraiment de concept, la définition est abstraite. C’est un peu l’envie d’en être et de briller, tu vois, de rester « in » et dans le « mouv’.» C’est ce truc un peu plat, un peu « fake. » Le meilleur révélateur reste les réseaux sociaux, tu te rends compte que t’as un peu envie d’être la star de ton petit monde : tu racontes tes vacances, tu mets une photo sous le soleil de Cuba. Mais on s’en bat les couilles en fait de ta life, si tu kiffes bah kiffe pour de vrai, pas besoin de le montrer.
YARD : T’essaies de prouver que tu es heureux à qui ?
T.N : En définitif c’est un peu ça, le côté FastLife n’a même pas vraiment de rapport avec la célébrité. Mon personnage dans le film a vécu une ascension fulgurante et n’a eu qu’un petit moment médiatique, ce n’est pas une star et c’est ce qui m’a intéressé. C’est monsieur tout le monde.
Il y a des gens qui se trompent un peu. Quand tu vois des saloperies comme les selfies, là tu sais qu’on a touché le fond du fond… Des gens qui se prennent en photo tu vois. Il y a une détresse là-dedans car le but reste de se montrer, c’est vraiment de dire : « Regardez avec qui j’étais en photo ! » C’est de la branlette ultime. J’en ai déjà fait hein, je ne me place pas au-dessus. Je me permettrais pas d’être critique, et d’insulter les gens : « Vous êtes des merdes ! » Je suis parfois moi-même dans la merde. Quand j’ai croisé Dr. Dre dernièrement j’aurais pu faire comme Franklin c’était genre : « Euh… Yes, Dr. Dre » tu sais je bougeais comme un golio, « Oh yeah, Detox ! » un couillon quoi. J’ai eu honte, je me voyais au dessus mais je me suis rendu compte : « Oh putain là t’es pas vaillant mon grand. »
YARD : Fast Life est une réflexion sur des personnes qui sont dans le faux combat, et qui passent à coté du vrai sens de la vie ?
T.N : Ouais c’est un peu ça, après je ne dirais pas « faux combat. » Mais c’est des gens qui vivent un peu dans leurs chimères quoi. Le côté un peu « bling-bling », un peu « on veut en être », tu vois. Le danger après, en tout cas dans le film, c’est la réalisation de soi-même, de devenir un homme. Parce que tous autant qu’on est, on fait partie de la même génération, et on évolue un peu dans la même mouvance.
Maintenant t’as le droit de t’amuser dans la vie, mais je dis simplement : si c’est que ça ta vie, t’es entrain de tomber dur. Maintenant, si tu te dis je prends le temps de faire ça, et quand tu rentres chez toi, tu prends conscience que tu t’es bien amusé mais qu’il y a la vraie vie qui t’attends, c’est bon tu as compris. T’es tranquille, tu restes quand même connecté aux vraies choses.
YARD : Trouves-tu qu’il y a une perte des valeurs ?
T.N : Je ne sais pas, je ne veux pas passer pour un réac’ (rires). Peut-être pas une perte de valeurs, j’en sais rien. Je dis simplement qu’il ne faut pas perdre de vue les vraies choses de la vie. Je ne peux pas dire le contraire, aujourd’hui je viens d’avoir ma première fille. À un moment, je crois que quand tu viens sur Terre t’as un passage où tu vis, tu comprends des choses, et puis t’as envie d’avoir une famille, c’est tout.
Après chacun sa trajectoire, ce n’est pas parce que j’ai une fille que je vais m’arrêter d’écouter Kaaris, tu vois. Au contraire, elle écoutera avec moi et elle fera la part des choses et puis tout va bien. Je ne vais pas m’arrêter de porter des Vans et mettre un pull à col roulé et devenir méprisant : « Les jeunes vous êtes des cons. » J’ai horreur de ça, je dis simplement qu’il y a un vrai travail éducatif à faire. Il ne faut pas perdre le nord.
YARD : Dans FastLife, il y a l’envie de tomber juste dans les codes de la rue, de ne pas se tromper, non ?
T.N : Merci, c’est gentil de me dire ça. Je ne peux pas crier que je viens de la rue, parce que ce serait un mensonge. Je suis issu d’un quartier populaire, mais effectivement il y a des codes que je connais et qui me font rire. FastLife, c’est une comédie, c’est vrai qu’on parle très gravement depuis tout à l’heure et ça commence à bien faire. Il va falloir qu’on se détende un peu.
C’est vrai que moi j’ai toujours le plaisir de me faire arrêter dans la rue par des gens qui aiment mon travail. Ils sentent qu’on a une volonté un peu commune. Cette culture, ce patrimoine, je n’ai pas envie de les trahir, je n’ai pas envie de leurs faire honte. Donc forcément s’il y a des codes que je connais, je vais essayer de les retranscrire avec justesse.
YARD : Dans le travail sur les personnages, il y a une véritable admiration pour chacun d’entre eux.
T.N : C’est un peu l’univers dans lequel je baigne. C’est ce qui est ouf car même quand on a accès à de grands trucs tu restes toujours connecté à la rue : « Putain… Ouais t’as vu ce serait pas mal que tu mettes mon T-shirt en promo », « Bah laisse-moi ton numéro je t’appelle » (rires). Des trucs embarrassants quoi. Mais en même temps j’ai beaucoup de respect pour ça car être auto-entrepreneur c’est une démarche où tu mets tes couilles sur la table hein. Ce n’est pas évident.
Moi je suis plus animé par un esprit de revanche, après je pense que j’ai un feu intérieur. Ce sont mes origines, ma mère pourrait mieux t’expliquer que moi, on a une folie chez nous. On est suicidaire, mais ce n’est pas très grave (rires).
Le truc, c’est que si des mecs comme moi cultivent le stéréotype alors que t’as la chance de faire du cinéma, de faire un film, bah j’ai envie de te dire : « Reste chez toi. » Moi je suis de Maisons-Alfort, ce serait horrible de faire ça et de voir le regard des gens qui se disent : « C’est quoi ton délire ? Pourquoi tu fais ca ? Je comprends pas. ». Ce n’est pas une revanche, c’est juste l’idée de faire les choses bien. Tu peux faire des comédies, tu peux faire tout un tas de film, mais ne déshonore pas les gens.