Jaden Smith est-il un génie ou un imposteur ?

Tirer le portrait de Jaden Smith peut parfois sembler surréaliste, à l’image de son sujet, tellement le personnage paraît flou ou clivant. Son premier album tout juste arrivé, très influencé par la pop coréenne, il était temps de faire un état des lieux du personnage.

A-t-on encore besoin de présenter le fils de Jada Pinkett et Will Smith ? Comme Malia Obama, Jaden fait partie de la première génération de ce que les acteurs hollywoodiens appellent « un Empire Noir », soit des enfants de célébrités qui ont grandi sous le regard des caméras et du grand public. Une vie sans filtre dont tout le monde a un souvenir plus ou moins gênant: son rôle de Reggie dans la série All of us, son passage touchant avec son père dans Pursuit of Happyness, ou plus récemment une interview où il énumère des anecdotes scientifiques à tomber par terre, comme le fait que l’humain partage 50% de son ADN avec la banane (vraie info). Depuis 19 ans maintenant, nous pensons connaître Jaden, mais est-ce vraiment le cas?

En roue libre

Celui qui le comprend peut être le mieux est sûrement Donald Glover, possédant un parcours similaire entre le cinéma et la musique, sans jamais privilégier l’un plus que l’autre:

« Je sais que beaucoup ne comprennent pas Jaden, mais il est réellement malin, [il] est dans une position où il a le luxe de pouvoir échouer, Il représente vraiment ce personnage dans mon album Because the Internet. Au-delà de ça, il comprend vraiment ce qu’il se passe, et sait comment naviguer vers ce qu’il veut faire. Il sait qu’il a des opportunités que les autres n’ont pas. »

Là où Childish Gambino y voit une personne libre, d’autres n’hésitent pas à le critiquer ouvertement, arguant que Jaden n’est pas aussi philosophe qu’il veut bien le faire croire, comme le pointe le présentateur radio Charlamagne tha God:

« Je crois que les gens cherchent un sens trop profond dans ce que Jaden dit, alors qu’il dit juste des choses banales. Genre il peut dire ‘regardez autour de vous et vous verrez’, et tout le monde va se demander ‘MAIS QU’EST CE QUE CA VEUT DIRE?' »

Ce genre de message, Jaden en laisse des tonnes sur les réseaux sociaux ou en fin d’interview pour dérouter son interlocuteur. Même Will Smith semble un peu confus quand on lui demande si la liberté d’expression de son fils n’est pas hors de contrôle.« Je pense que c’était une erreur [de lui laisser autant de libertés] », répond-il en riant, avant de poursuivre au sujet de Jaden portant des vêtements de femme : « Il y a quelque chose d’artistique, très puissant en lui que nous encourageons en tant que parents, il faut qu’il dépasse les limites. Il faut qu’il essaye de faire des choses, qu’il soit à l’aise avec le fait que les gens ne soient pas d’accord […] Jaden est dévoué à 100 %, il n’a pas peur. Il peut tout faire. En tant que parents c’est terrifiant, mais il est totalement prêt à vivre et à mourir pour son art. »

Une liberté vue d’un mauvais oeil, surtout par les musiciens, qui y voient une lubie d’enfant de riche extraverti, avec des looks androgynes. Donald Glover rajoute:

« Une fois il est venu chez moi et il portait ces leggings bizarres en me disant ‘je me suis baladé sans pantalon comme ça toute la journée’, [rires] il est libre ! Si je travaille dur aujourd’hui, c’est pour que les enfants se sentent libres d’être ce qu’ils veulent, parce que je sens toujours que je ne peux pas l’être moi même. »

Fils de Young Thug

Dans son rapport à la mode et aux créateurs, Jaden descend tout droit d’artistes tels que Lil B et sa philosophie Based, ou encore Young Thug, prônant le fait d’être à l’aise avec soi-même jusque dans ses tenues. Des limites que Jaden repousse même avec le personnage de Dizzee dans la série The Get Down, volontairement ambivalent. Il s’en explique:

« Je pense que les gens sont trop confus par les normes et les genres. J’ai l’impression qu’ils ne captent pas. Je ne veux pas dire que j’ai tout compris, mais je ne vois aucune discussion autour de ça. Je ne vois pas des fringues pour hommes et des fringues pour femmes, je vois juste des gens à l’aise d’un côté et des gens effrayés de l’autre. »

Pas étonnant qu’il ait tapé dans l’oeil de Nicolas Ghesquière, Directeur Artistique de Louis Vuitton, avec qui Jaden collabore en 2016 pour illustrer son propos, se servant de sa célébrité pour appuyer la sortie de collections unisexes, comme il en parle:

« Il représente une génération qui a assimilé les codes de la vraie liberté, celle qui n’a pas de manifeste et qui ne se pose pas de question sur les genres. Porter une jupe est naturel pour lui comme pour une femme, qui elle aussi devait demander la permission pour porter un costume ou un trench. Il a un équilibre très instinctif qui fait de son attitude la nouvelle norme. »

Kid of the Moon

Mais sa plus grande influence est certainement Kid Cudi, avec lequel il a toujours été pote. Un support réciproque qui se retrouve dans le clip de ce dernier, « Surfin' » sorti en 2016, ou lorsque que Scott annonce en avant-première le single de Jaden pour son album SYRE, avant même que les médias ne le fassent.

Dans le clip de « Fallen », Jaden accumule les clins d’oeils appuyés à Cudder: on y retrouve le vinyl de Man on The Moon : The End of Day devant lequel il fait des moonwalks. Pas super subtil dans l’idée, mais le clip sort au moment où Kid Cudi parle publiquement de sa dépression et de sa décision de se faire soigner. Au-delà de cet hommage, on y retrouve aussi plusieurs éléments faisant miroir à la série Westworld (l’homme en costume noir, le décor de western) qui font écho à l’autre grande idée de Jaden, celle de créer un monde idéal

« Je travaille très dur pour réparer la planète Terre. J’ai vraiment envie de créer une utopie sur cette planète. Je veux réussir pour que les gens n’aient pas à se dire ‘je dois travailler pour survivre’. Pour qu’ils fassent ce qui les passionnent. »

Des propos qu’on verrait bien dans la bouche d’un Kanye West, sur lequel il prend exemple en allant dans toutes les directions en 2017 : de son partenariat avec une marque d’eau minérale, en passant par son animé sur Netflix créé avec Ezra Koenig (le chanteur de Vampire Weekend), difficile de mettre Jaden dans une seule case. Ce qui a pour résultat d’en faire une cible médiatique où les critiques pleuvent, (comme ce tumblr centré sur des photos de lui où il a l’air dépressif. À la différence près que pour y répondre, Jaden utilise la force de son collectif créatif et non juste son nom.

La République des Misfits

Pour concrétiser ses projets multimédias, Jaden s’est entouré d’une tribu qu’il a nommé MSFTSRep (pour Misfits République), en réponse à un sentiment d’abandon par la génération plus âgée :

« Être un misfit, c’est créer la vie que je veux pour moi-même, que chaque personne fasse la même chose à travers sa propre création, sans coller telle ou telle étiquette. L’idée est de faire partie d’un esprit où tout le monde se dit que c’est ok d’être différent, comme Kanye le disait: ‘you make good music, you’re in G.O.O.D Music’. C’est le même esprit: si tu es un créatif, tu es un Misfit. Kanye est un Misfit, Kendrick est un Misfit (…) C’est comme Odd Future, c’est juste un moyen pour savoir qui tu es vraiment. »

Au sens strict, MSFTS est une entité artistique couvrant autant les réseaux sociaux, que les fringues désignées par Jaden. C’est aussi un magazine entassant les photos et les pensées à la manière d’un Tumblr mais en version papier, dans la même veine que Boys Don’t Cry, le magazine de Frank Ocean accompagnant son album Blond(e).

(Crédits: MSFTS Magazine)

On y retrouve également de longs articles écrits par Willow Smith, traitant par exemple du racisme ou du sexisme. De son côté, elle aussi possède sa propre plateforme sur Youtube (appelée Frequencies), avec laquelle elle fait découvrir des artistes, de la même façon que le channel Majestic Casual.

 En dehors du cercle familial, on y retrouve le réalisateur Miles Cable, qui a très peu travaillé pour d’autres artistes connus, si ce n’est Kid Ink (en featuring avec Shy’m, vous avez bien lu), le producteur Daniel D’Artiste, son frère dylAn, et le photographe Moisés Arias aka 490tx, qui ne tarit pas d’éloge quand il s’agit de parler de Jaden.

« Quand j’avais 16 ans, Jaden en avait 12. A cette époque, je ne savais pas très bien qui j’étais, Jaden a cette capacité à révéler ce qu’il y a d’unique en vous. On s’asseoit en cercle avec tous nos amis et on en parle simplement, c’est un truc que Jaden adore faire – parler aux gens de ce qu’ils ressentent et essayer de leur donner une réponse […]. »

MSTFS se place quelque part entre Odd Future et le collectif de Shia Labeouf, Nastja Ronkko et Luke Turner, dont le but est de créer des performances artistiques telles que #ALLMYFILMS, #FOLLOWMYHEART ou #HEWILLNOTDIVIDEUS, le streaming anti Trump censé durer 4 ans, dans lequel on retrouve d’ailleurs Jaden.

Du Cool Cafe à SYRE

Avec tous ces projets, on en oublierait presque que Jaden fait également de la musique, et seulement depuis peu de la musique qui se tient. Trois mixtapes au compteurs, comptant des morceaux faisant référence à Kid Cudi (forcément), mais aussi en rappant par dessus des groupes pop, allant de Foster The People à Purity Ring. Ce n’est que depuis 2014 qu’il prend un tournant plus personnel, en sortant un morceau long de 7 minutes en featuring avec Willow, où il alterne le spoken word et des changements de rythmes aussi surprenants qu’intéressants, faisant penser à Childish Gambino.

SYRE est son 2e prénom, mais également celui de son premier vrai album, dans une formation avec sa soeur et Odessa son actuelle petite amie. Annoncé pour 2017, Jaden a précisé récemment qu’il serait très influencé par la K-Pop et en particulier par le groupe G Dragon.

De toutes ces influences et ses annonces plus extravagantes les unes que les autres, Jaden a su en retirer un album étonnamment uniforme, bonne synthèse entre l’énergie de rockstar d’un Kanye période Yeezus, aux instant plus acoustiques, dépressifs et chantés de Kid Cudi. Un manifeste dont il se fiche de savoir s’il sera bien reçu ou pas:

« Le monde va continuer à me basher pour tout ce que je fais, mais je vais continuer à m’en foutre. Je vais continuer à faire ce que je fais – je vais même en faire plus. Je vais prendre plus de coups pour mes potes misfits. Je veux bien subir ça, pour que certaines choses deviennent normales pour la génération suivante, alors que ça semblait impensable pour nous. »

Alors, génie ou imposteur?

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