Jerry Lorenzo : « Travailler avec Nike m’a permis d’être honnête avec mes idées »
Sa mode tout à la fois luxe, grunge et urbaine habille Justin Bieber, Kanye West, Travis Scott, Future, 2 Chainz, Kendall Jenner et Rihanna. Avec son label Fear of God, Jerry Lorenzo est devenu l’une des icônes d’une culture qui n’en finit plus de croquer le monde. Ce week-end, il présentait sa première collection pour Nike à Paris. Rencontre.
Photos : @alextrescool
Ça se bouscule, ça s’enfièvre, dans l’entrée du Nike Lab. Ça tend très haut les bras pour capturer à l’iPhone la vedette du jour. Celui qui dévore l’espace, là, avec sa belle gueule, ses boucles déliées et sa façon d’être cool. Aujourd’hui, Jerry Lorenzo fête sa première collaboration avec la griffe au swoosh. Ç’avait d’abord commencé par une chaussure de basket, la Nike Air Fear of God 1. En cuir gris clair ou tissu et daim noirs, posée sur une épaisse semelle blanche, avec une cage zippée à l’arrière et des lacets qui se croisent joliment. Puis on avait pensé tout un vestiaire pour les terrains et au-delà, une parka argent, un maillot de basket, des shorts à la Michael Jordan, un sweat manches courtes en molleton ou un jogging à boutons pression. Jerry Lorenzo voulait sa collection belle, fonctionnelle et confortable, avec de l’émotion dedans. Emballer les cœurs comme au jour de sa première Jordan.
Rejeton de la même génération autodidacte que Virgil Abloh, Kanye West ou Matthew Williams, Lorenzo a fondé en 2013 une marque devenue déjà culte, Fear of God. Du basket et du baseball, il tient sa détermination, son esprit de compétition et ses inspirations. Ensemble, on a causé connexions entre sport et mode.
Quelles sont tes icônes mode dans le sport, celles qui ont inspiré ton style ?
Facile, André Agassi et Michael Jordan.
C’est marrant parce que beaucoup disent que Michael Jordan n’a pas vraiment de « swag ».
Non, mais sur le terrain ! Quand j’étais plus jeune, j’adorais ce que dégageait Michael Jordan sur le terrain. Et Agassi quand il jouait. La différence avec aujourd’hui, c’est que l’on regarde le look des athlètes en-dehors du terrain. Dans les années 90, c’était le style qu’ils avaient lorsqu’ils performaient qui nous inspirait. La façon dont Michael Jordan portait ses shorts ou dont Agassi associait les couleurs par exemple.
Et Allen Iverson ?
Oui c’est une inspiration, bien sûr, à 100%. Mais ce que j’aimais chez Allen, c’était son approche. Je n’étais pas fan de ses vêtements super oversize, mais j’aimais son approche, le fait qu’il soit lui-même, se batte contre le système.
Que penses-tu du fait qu’il ait déclaré que le dress code NBA devrait être appliqué aujourd’hui parce que c’est « Halloween tous les soirs » avant les matchs ?
Allen a vraiment dit ça ? Je n’arrive pas à le croire. Il est la raison pour laquelle le dress code a été mis en place. Je pense que l’une des meilleures choses que la NBA ait faite, c’est justement de permettre aux joueurs de s’exprimer en tant qu’individus. Lorsque s’ils se sentent bien dans leur peau, ils jouent forcément mieux.
« Colin Kaepernick ne joue plus au football mais la marque continue de soutenir pour ce qu’il représente lui, en tant que personne. J’aime penser que Nike s’intéresse à moi au-delà de l’aspect créatif. »
Comment le sportswear, qui était considéré à l’époque comme très « anti-fashion » par les gens qui ne faisaient pas partie de la culture street, est-il devenu aujourd’hui aussi cool et populaire ?
Je pense que la culture de la jeunesse a toujours plus ou moins influencé la culture globale. Nous avons accès aux réseaux sociaux, nous avons accès à tellement d’informations, ce qui force en quelque sorte le monde à suivre ce que l’on fait. Personnellement, j’aime m’habiller de façon confortable. Avec le sportswear, il y a tout de suite cette notion de confort. Les gens veulent juste se sentir à l’aise.
Je crois qu’il y a quelque chose à propos de liberté là-dedans. En refusant de compromettre leur confort, le sportswear libère les gens. Et je pense que ça répond au besoin de liberté de la nouvelle génération.
Oui, à 100%. Ce que l’on essaie de faire avec Fear of God, c’est de libérer les consommateurs, leur montrer que l’on peut porter des produits de luxe qui soient confortables. Le luxe, ce n’est pas forcément un costume serré. Vous pouvez porter des vêtements avec des proportions dans lesquels vous vous sentez vraiment à l’aise, tout en étant du luxe. Ça sera toujours notre but avec Fear of God et c’est ce que j’aime dans ce projet avec Nike, le fait qu’il soit basé sur la fonctionnalité, le confort et la performance. Il y a toute une réflexion autour de la chaussure, sur comment vous pouvez marcher, courir et sauter avec. Ça repose sur une démarche honnête et c’est ce que j’adore. Parfois, le luxe peut être un peu malhonnête. Travailler avec Nike m’a permis d’être vraiment honnête vis-à-vis de mes idées.
À l’occasion de la sortie de sa collection pour Nike, Yoon, de la marque Ambush, avait dit qu’elle se sentait comme une « athlète créative ». Partages-tu ce sentiment ?
Je ne me sens pas spécialement comme un « athlète créatif ». Je pense que tout le monde est un athlète, un styliste, un créateur. On se lève tous le matin et décide de ce que l’on va porter, de la manière dont on va se représenter. Nous performons tous, nous sommes un peu les athlètes de notre propre vie. Je pense que Nike ne cherche pas nécessairement à travailler avec des créatifs ou des créateurs mais avec des individus, des gens. On peut le voir avec Colin Kaepernick, qui ne joue plus au football mais que la marque continue de soutenir pour ce qu’il représente lui, en tant que personne. J’aime penser que Nike s’intéresse à moi au-delà de l’aspect créatif.
Ces dernières années, les nouveaux modèles performance de chaussures de basket qui sont sortis n’ont pas vraiment été portés en-dehors du terrain. Et, dans le même temps, certains créateurs de mode ont dessiné des chaussures de basket que l’on pouvait porter en-dehors mais pas sur le terrain, parce qu’elles n’étaient pas assez techniques. Comment as-tu réussi à allier les deux avec Nike ?
Pour moi, ça a été assez facile, c’était une question de forme. Le design est plutôt épuré. Je pense que l’une des raisons principales pour lesquelles les modèles performance n’ont pas réussi à transgresser le terrain, c’est qu’ils étaient un peu trop massifs et ronds, pas assez sexy, pas assez élégants. Les chaussures de luxe sont parfaites avec un jean ou un survêtement, elles permettent des styles différents. Quand j’ai rencontré Nike, je leur ai dis que je n’y connaissais pas grand-chose en termes de performance mais que je pouvais apporter ma vision sur la forme, que je savais ce qui était beau.
Si l’on regarde la collection dans son intégralité, avec le logo inspiré de la Air Flight, le jogging à boutons pression ou le short de basket assez court, on a l’impression qu’elle est très nostalgique, très années 90. T’es-tu inspiré de tes souvenirs d’enfance ?
A 100%. Pour contrebalancer la chaussure très futuriste, il fallait des silhouettes très années 90. La collection est très bien équilibrée, les logos sont discrets, les couleurs ne sont pas excentriques, tout repose sur la coupe.
Les frontières se brouillant de plus en plus entre marques de sport et marques de mode, penses-tu qu’une marque de mode puisse sponsoriser un jour une équipe ou une ligue de sport ?
Oui je pense que c’est possible. C’est drôle de dire que tout est possible aujourd’hui, en cette période de Martin Luther King weekend. Si vous rêvez et croyez en quelque chose, tout ce dont vous avez besoin c’est de vos convictions, pour trouver comment y parvenir. Je pense que le monde continue d’évoluer et la culture montre toujours la voie. Regardez toutes les choses incroyables que réalise Virgil Abloh, avec la liberté de créer et de s’exprimer que lui offre Louis Vuitton, sans aucune restriction. De mon côté, je détiens ma propre marque et je dois faire face à certaines restrictions, il y a des choses que je ne peux pas réaliser parce que je n’ai pas les fonds et les ressources nécessaires. C’est vraiment génial de voir Virgil pouvoir s’exprimer sans aucune contrainte et limite. Et vous pouvez voir à quel point un produit est plus puissant lorsque vous incorporez de la culture dedans.