Après « Habitué », Josh Rosinet prend les notes comme elles viennent
Avec « Habitué », Dosseh s’est surpris à signer le premier véritable tube de sa carrière. Il le doit en partie à Josh Rosinet, un petit virtuose du piano pour qui tout a commencé depuis un peu plus d’un an. Portrait.
Photos : @samirlebabtou
Depuis quelques années, il y a comme un « paradoxe Dosseh ». La plupart des auditeurs rap s’accordent à lui reconnaître un bagage lyrical et technique au-dessus de la moyenne, sa musique n’a pas le parfum d’obsolescence qui empeste les dernières sorties d’un Rohff, par exemple, mais en apparence, rien de tout cela ne semble suffire. De part et d’autres, on entend qu’il lui manque un « truc », un « je-ne-sais-quoi », une donnée non-identifiée qui agit pourtant comme un plafond de verre lui bloquant l’accès au succès mainstream. Et si Perestroïka et Yuri, ses deux principaux projets sortis en major, ont amorcé puis affirmé la progression cohérente de l’Orléanais, la considération que le public lui porte semblait quant à elle stagner. Puis « Habitué » est sorti, comme si de rien n’était, et s’est accaparé trois semaines durant la première place du Top Singles en France.
Peu nombreux sont ceux qui auraient pu imaginer que Dosseh finisse par signer un véritable hit grand public en 2018, à ce stade de sa carrière. Encore moins avec un piano-voix, à l’heure où les succès du rap sortent rarement des carcans cloud, trap ou afro. L’intéressé lui-même a dû être surpris, puisque « Habitué » n’a pas été pensé initialement comme un premier single, et ne doit sa sortie en tant que tel qu’à l’oreille de Booba, immédiatement convaincu par le potentiel du morceau. Mais on ne peut réellement apprécier la destinée ô combien hasardeuse de ce titre avant de savoir que celui qui l’a composé n’a que 19 ans, et que ses débuts dans la production remontent à peine à septembre 2017.
Car avant d’être à l’origine du single phare de VIDALO$$A, Joshua « Josh » Rosinet est un petit virtuose du piano. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ses prouesses lui aient déjà permis de s’immiscer sans crier gare dans les feeds de vos réseaux sociaux. Les premières pages de son histoire naissante s’écrivent en Martinique, où il est né. À ses heures perdues, son paternel se prend à jouer de la gratte ou de la batterie, sous les regards émerveillés du fiston, qui initie là ses premiers contact avec la musique. Mais c’est auprès d’un autre membre de la famille que ce-dernier fait à l’âge de 6 ans la découverte de l’instrument qui deviendra le sien. « J’avais un cousin qui faisait du piano, et à chaque fois que j’allais chez lui, il jouait. Donc moi aussi, j’ai eu envie de jouer. À partir de là, il a commencé à m’apprendre quelques trucs, puis mes parents m’ont inscrit pour prendre des cours. C’est là que tout a commencé », se rappelle Josh.
« J’ai contacté des amis qui sont éditeurs, et je leur ai dit “Il faut que vous signiez ce petit.” » – Le Motif, à propos de Josh Rosinet
Un apprentissage que le jeune homme poursuit après être arrivé en Métropole, au Conservatoire d’Étampes, sa ville d’adoption. La formation qu’il suit là-bas est plutôt traditionnelle, et lui permet de se familiariser avec le jazz et le classique, en plus d’approfondir ses notions techniques – qu’il nous expose volontiers sur le piano du Human Studio, où se déroule notre entretien. Mais si Josh se prend à apprécier ces genres musicaux à mesure qu’il les joue, là n’est pas son véritable amour. « Pour tout avouer, je fais du classique et du jazz au Conservatoire – et j’aime beaucoup en faire – mais j’en écoute très peu. J’écoute surtout du rap », confesse t-il sans mal. Fort heureusement, l’apprenti pianiste va vite trouver le moyen de mettre son doigté au service du registre qu’il chérit tant.
« Je voyais déjà des gens qui mettaient des vidéos où ils reprenaient des morceaux de rap au piano, à la guitare ou avec n’importe quel instrument sur YouTube. Donc je me suis dit : “Pourquoi pas moi ? Je peux faire ça aussi.” », nous raconte le musicien, qui s’est aussitôt exécuté. De « Validée » à « Taken », de « Réseaux » à « DA », c’est tout le répertoire récent du rap français qui se voit passé en revue par Josh Rosinet et son instrument, dans de courtes vidéos à destination des réseaux. « Au début, c’était juste comme ça, pour déconner, mais après j’ai commencé à identifier des artistes et j’ai eu des premiers retours de leur part. » Non content d’obtenir retweets et partages de la part des interprètes, Josh fait aussi en sorte d’attirer l’attention des producteurs des titres dont il fait la cover au piano. Et à l’époque, beaucoup portaient la griffe d’Olivier « Swaggaguru » Lesnicki, plus connu sous le nom de Le Motif.
Ce dernier se souvient avoir été identifié à plusieurs reprises sur les vidéos de Josh : « Je l’ai vu me taguer une première fois, puis une deuxième, une troisième, une quatrième… Au bout d’un moment, je me suis dit : “C’est pas possible, ce gars est trop talentueux.” Dans mon cas, à chaque fois que je vois quelqu’un qui est consistant dans son travail et qui sait où il veut aller, peu importe d’où il vient, j’ai envie d’être la personne qui peut juste l’aider, parce que je sais que ça va fonctionner tôt ou tard. C’est ce qui s’est passé avec Josh. » Une première connexion s’établit entre les deux hommes. Le Motif interroge notamment Josh sur son intérêt pour la composition. Le pianiste s’y était déjà vaguement essayé par le passé, sans aboutir sur rien de bien concret. Il transmet tout de même ses premières expérimentations sur Fruity Loops à Swaggaguru, qui les accueille avec un certain scepticisme. Sans pour autant douter du potentiel de Rosinet.
« J’ai contacté des amis qui sont éditeurs, et je leur ai dit “Il faut que vous signiez ce petit.” Mais vu qu’il n’avait pas de références, ils voulaient que je leur envoie les prods qu’il faisait. De mon côté, je ne voulais pas, mais vu qu’ils insistaient, j’ai fini par leur envoyer. Logiquement, ils ont trouvé ça claqué. Mais je me suis dit que je ne pouvait pas laisser les choses comme ça, alors j’ai décidé de le signer moi-même. J’ai créé un deal avec ma boîte d’édition qui était fait spécialement pour lui. C’est le modèle qui va me permettre de signer d’autres artistes derrière, mais de base, c’est pour Josh », raconte celui à qui l’on doit des titres comme « PMW », « Mobali » ou « Thibault Courtois ».
En septembre 2017, Le Motif convie pour la première fois Josh à participer à une session studio. Il ne lui faudra pas plus pour se persuader du bien-fondé de son jugement.
Depuis quelques années, le piano-voix semblait pourtant être à proscrire de la musique rap, rattaché à un son du passé, qui avait fait la renommée d’un Sinik en son temps, mais aujourd’hui trop mièvre et larmoyant. Sauf qu’à force d’abuser de sonorités trap bourrines, le genre a fini par saturer, tel les basses d’un Ronny J. Et selon Le Motif, le retour à la mélodie – notamment via les instruments – sonne aujourd’hui comme une évidence : « Au fil du temps, on a découvert tout plein logiciels qui nous ont permis de faire des trucs totalement inhumains. Le Dirty South – par exemple – n’aurait pas existé si on ne pouvait pas faire des snare roll que tu ne peux pas faire humainement. Mais on a fini par exploiter toutes les différentes manières d’utiliser ces logiciels, et maintenant on revient à la base : la mélodie. Donc avoir quelqu’un comme Josh, qui lui sait créer de vraies mélodies de manière très organique, non seulement ça facilite le processus mais c’est aussi carrément dans l’ère du temps. » Mais ce n’est pas là le seul atout du compositeur néophyte : « Avec un parcours comme le sien, il a non seulement appris la musique, et les subtilités des genres – en l’occurrence le jazz – mais il a surtout appris à apprendre. Si tu l’assois à côté de quelqu’un, il va apprendre de cette personne plus vite qu’un autre ne le pourrait, et de manière plus technique, plus précise. »
Le Motif, sur la place future des musiciens dans la musique actuelle : « Il y a toujours une place, mais peut-être qu’elle n’est plus exactement dans les studios. Pendant tout un temps, les gens ne cherchaient plus à faire appel à des musiciens parce que tout se faisait sur ordinateur. Maintenant qu’on cherche à revenir vers cette musique, tu peux contribuer à distance, en enregistrant des pistes que tu envoies aux producteurs. C’est ce que fait Frank Dukes aux États-Unis. Il se met derrière son piano ou derrière des vieux synthés vintage, il joue des longs morceaux de 10 minutes qu’il publie sur son site internet, et les gens les prennent pour sampler. Mais quand tu regardes ses crédits, tu te rends compte que ce ne sont pas uniquement les débutants qui viennent le sampler, il y a aussi des gars comme Metro Boomin ou Boi-1da, donc ses morceaux atterrissent chez Drake, chez Big Sean, chez The Weeknd. Voilà le genre de choses que la technologie permet. »
En septembre 2017, Le Motif convie pour la première fois Josh à participer à une session studio. Il ne lui faudra pas plus pour se persuader du bien-fondé de son jugement. « On a fait une session au Studio de la Seine, entre Josh, Heezy Lee et moi, qui servait à remplir un peu mon catalogue, et on a fait un son juste piano-voix. Mais la raison pour laquelle on a fait un piano-voix, c’est parce qu’il nous restait juste cinq minutes de studio, et qu’il fallait qu’on fasse un son très vite pour bien finir la journée. Josh a joué quelques notes au piano, Heezy a topliné, j’ai écrit un truc en quelques minutes, et on s’est rendu compte qu’en fait, le son était incroyable. Autant Heezy Lee, que Josh, que moi sommes repartis de cette session avec la conviction qu’il fallait exploiter le piano-voix. » Une idée que Swaggaguru ira souffler jusqu’à l’oreille de Dosseh, avec le succès que l’on connait.
« Je veux juste faire en sorte qu’il ne sombre pas. Pour ce qui est de la musique, c’est lui qui m’apprend plus. »
– Le Motif, à propos de Josh Rosinet.
C’est pourtant un banger que le rappeur orléanais se cherchait pour son album VIDALO$$A, jusqu’alors dépourvu de single incontournable. Au détour d’une nouvelle session studio, Olivier lui suggère de faire parler toute la verve de sa plume sur quelques accords de piano, et en profite pour lui faire écouter les travaux de Josh. Très vite convaincu, Dosseh bloque dans un premier temps la prod de « À chaque jour… » avant de convier Heezy Lee ainsi que le jeune pianiste à travailler à ses côtés. « J’ai fait le piano et la mélodie, puis Heezy Lee a topliné. On a bouclé ça en même pas une heure », glisse ce dernier. Reste que le morceau fait immédiatement l’unanimité auprès de tous ceux qui l’écoute. « Le piano voix de “Habitué”, c’est un nouveau piano-voix. Pourquoi je dis ça ? Parce que le piano que Josh a joué est très simple. Si tu l’avais confié à un musicien ou un compositeur qui a l’habitude de faire des pianos-voix dans la variété, il n’aurait jamais eu cette simplicité. Là, ce sont presque des accords plaqués un peu tout le long. Cette simplicité, c’est le propre du rap, et même du rap moderne. Il n’y a que dans le rap qu’on fait des prods en cinq minutes. C’est quelque chose de très nouveau. C’est pour ça qu’un piano-voix comme “Habitué”, on n’aurait pu le faire que maintenant. Parce qu’il n’y a que maintenant qu’on aurait eu les couilles de faire quelque chose d’aussi simple », explique Le Motif.
À l’heure où nous parlons, Josh Rosinet s’est fait entendre sur les projets de Rim’K (« Bonhomme de neige »), Dinos (« Donne-moi un peu de temps ») et Lorenzo (« Rien à branler »), en plus de celui de Dosseh. Et plus que jamais, il érige la musique – et sa nouvelle activité de producteur – en priorité absolue. Ce qui n’a pourtant pas toujours été le cas, pour lui dont l’avenir a longtemps été incertain. « J’avais aucune idée de ce que je voulais faire plus tard », reconnaît-il. « Pendant les grandes vacances de l’année dernière, juste après avoir eu mon bac, je n’avais pas d’école parce que je n’avais été accepté nulle part sur APB, à l’exception d’une fac qui ne m’intéressait pas du tout. Vu que je ne comptais pas y aller, je m’apprêtais à faire une année sabbatique. Et c’est pile au bon moment qu’Olivier m’a appelé et m’a dit de venir au studio. Au début, ma mère n’était pas trop d’accord parce qu’elle ne savait pas où est-ce que j’allais tous les jours, ce que j’allais y faire, ni ce que ça allait me rapporter. Maintenant que j’ai signé chez Universal et que j’ai fait “Habitué”, c’est un peu plus tranquille. » D’autant que Josh peut toujours compter sur son ange-gardien dans ce milieu, Le Motif : « Mon rôle, en tant que la personne qui l’a mis là-dedans, c’est d’être sûr qu’il ne sombre pas. Je fais attention à ce qu’il ait les bons contrats, les bonnes opportunités, qu’il ne fasse pas de mauvais move, qu’il continue de respecter sa famille. J’ai d’ailleurs rencontré sa famille, pour te dire. Je veux juste faire en sorte qu’il reste là. Pour ce qui est de la musique, c’est lui qui m’apprend plus. »
Remerciements à Human Studio pour l’accueil.