Kareem Kalokoh : « Les jeunes n’ont pas besoin d’exemples »

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Kareem Kalokoh est un symbole : enfant des Internets, le jeune rappeur grec revendique ses multiples racines mais ne compte pas pour autant les garder comme limites. Rookie remarqué d’une scène rap européenne en pleine ébullition, il n’a pas peur de jouer les porte-drapeaux. Entretien.

L’autre greek freak. Kareem Kalokoh, 24 ans, est la voix et le visage d’une jeunesse grecque en pleine ébullition, à commencer par son collectif ATH KIDS qui s’érige en fer de lance d’une génération post crise plus créative que jamais. De passage en capitale française pour une double date explosive, le jeune homme termine ses balances au prestigieux Bains Douches où il doit se produire le soir même pour une soirée Kitsune Afterwork. Quelques minutes plus tard, il nous rejoint dans le hall et en profite pour se livrer à une mini séance photo personnelle avec son DJ, comme s’il mesurait pleinement la chance qui s’offre à lui.

Il faut dire que le rappeur originaire de Sierra Leone joue contre les éléments, élevé dans une Grèce au racisme latente auquel il n’échappe pas, et à la scène hip-hop quasi inexistante il y a encore quelques années. Mais lui préfère se battre armé de son rap et de sa musique, comme un doigt d’honneur levé bien haut vers les esprits étriqués qui corrompent son pays. Son premier album Congo (2017) est un concentré d’énergie pure, entre egotrip maîtrisé aux accents américains, hommage appuyé à ses racines africaines, et influences urbaines puisées dans les rues d’Athènes. Un projet hybride et indépendant comme seuls les internet kids savent si bien nous produire.

Revenons à tes débuts. En 2015, tu sors ton premier projet ATH2090s avec ton collectif ATH KIDS. Peux-tu nous en dire plus sur ce groupe ?

C’est un collectif athénien pluridisciplinaire que Valentin Rivera et moi-même avons fondé en 2015. Valentin est notre directeur artistique et fait toutes nos vidéos. Nous voulions créer un groupe de jeunes personnes créatives. À l’époque, il n’y avait rien de similaire à Athènes, c’était notre chance de faire quelque chose de différent et représenter notre ville. Notre nom est inspiré du film Kids (1995) de Larry Clark, nous nous sentions très proches de ces jeunes, sauf que nous étions à Athènes, on s’est juste dit « faisons-le ». Encore aujourd’hui, on fait tout en équipe. Quand on se lance sur quelque chose, tout le monde est impliqué, que ce soit de la vidéo, de la photo, de la musique, de la production ou des vêtements, on fait tout ensemble.

Parles nous de ton premier album Congo, sorti en 2017. Pourquoi avoir décidé de sortir un projet en solo ?

Je voulais rendre hommage à mes racines africaines. J’ai commencé à travailler dessus dès la sortie de ATH2090s. Il y a deux producteurs de mon collectif sur le projet, Taj Jamal et Dazedboi, et j’ai également travaillé avec des producteurs rencontrés sur Soundcloud, comme Lebanon Don. Chaque morceau a un producteur différent, je voulais que chaque titre sonne différemment, mais avec la même couleur, tu vois ce que je veux dire ? Concernant le nom de l’album, je voulais quelque chose de court mais de fort, et j’ai trouvé Congo. D’une certaine manière, dans ma tête ça matchait parfaitement avec la musique. Et même si je viens de Sierra Leone, l’important était de rendre hommage à l’Afrique.

Pourquoi avoir choisi de rapper en anglais et non en grecque, ta langue maternelle ?

Pour la petite histoire, j’ai commencé à rapper en anglais parce que j’écoutais énormément de rap américain, donc c’était plus facile pour moi, même si ce n’est pas ma langue maternelle. J’ai bien essayé de rapper en grecque, mais mes potes m’ont dit « mec, c’est vraiment à chier », donc j’ai tout de suite arrêté. (rires)

Tu viens de nous dire que tu écoutais beaucoup de rappeurs américains. Sont-ils ton influence majeure ?

50 Cent, Lil Wayne, Drake et Kanye West sont mes principales influences. Mais j’écoute aussi la nouvelle génération, avec Lil Uzi Vert ou Lil Yachty.

Il paraît que tu écoutes aussi quelques rappeurs français.

Oui ! C’est Joseph [son DJ, ndlr)] qui m’a fait tomber dedans. Dernièrement, j’ai écouté beaucoup de Booba. C’est fou, il est putain de génial. Un ami m’a montré Kaaris, je l’aime beaucoup. Il y a aussi Damso : j’aime sa sonorité, je pense qu’il est très singulier. Vous avez vraiment beaucoup d’artistes talentueux ici. De manière générale, même la production ou le mix, tout est bon.

Comment est-ce que tu décrirais la scène artistique en Grèce ?

En ce moment, c’est un train d’exploser. Après la crise, tout le monde a voulu faire quelque chose de créatif, que ce soit de la mode, de la photo, de la vidéo ou de la musique. La jeunesse est très créative ces derniers temps. Je pense qu’on va voir émerger beaucoup d’artistes d’ici.

En parlant de la crise, comment a-t-elle changé la Grèce et Athènes ?

Les gens se sont rapprochés entre eux, mais d’une manière où chacun pouvait trouver quelque chose pour s’exprimer. Avec Internet, les jeunes pouvaient apprendre des choses plus facilement et créer. Après la crise, la partie artistique s’est vraiment développée.

Penses-tu rester en Grèce pendant toute ta carrière, ou vas-tu essayer de te faire un nom à l’étranger, comme aux États-Unis par exemple ?

J’aimerais bouger ailleurs, mais ma base restera toujours Athènes, c’est de là que je puise mon inspiration.

« Tout ce dont tu as besoin, c’est d’une connexion wifi »

La scène rap européenne est en plein développement. On voit sortir des artistes de France, Allemagne, Espagne, Italie, Scandinavie ou Grèce. D’après toi, est-on en train d’assister à l’émergence d’une nouvelle ère dans la musique rap ?

Je le pense oui. Les portes se sont ouvertes. Grâce à Internet, tu peux sortir un morceau et un mec au Japon va l’écouter. Par exemple, je n’aurais jamais pu imaginer que je me produirais à Paris quand j’ai commencé la musique à Athènes. En général, les gens ne sortent pas de là où je viens, et la musique m’a mené jusqu’ici, c’est un réel honneur. Les choses sont en train de bouger pour tout le monde. Aujourd’hui, tu n’as plus besoin d’un label par exemple, tu peux tout faire en indépendant, tout ce dont tu as besoin, c’est d’une connexion wifi. Et tu peux apprendre une tonne de trucs, il suffit de t’y intéresser et de mater les tutoriels ou ce genre de chose. Tout ce que nous avons appris, la vidéo, la production etc,. ça vient d’Internet. On a appris à se démerder tout seul.

On a du mal à imaginer l’importance d’une chaîne Youtube comme Colors, qui met en lumière des artistes du monde entier et dans toutes les langues. Quel rôle a joué ton passage chez eux ?

J’aime beaucoup le show, ça m’a permis d’obtenir de me montrer à un public que je cherchais à atteindre, donc je dirais que c’était une étape importante. Comment as-tu entendu parler de moi pour la première fois ?

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Avec A Colors Show.

Voilà, c’est vraiment cool.

Travailles-tu en ce moment sur de nouveaux projets ?

J’ai commencé à bosser sur de nouveaux titres, j’ai loué le studio pour après la mini-tournée européenne. Je ne sais pas encore quelle forme ça va prendre, mais je vais sortir de la musique très bientôt.

En 2013, un membre du parti néo-nazi aube dorée a assassiné le rappeur grec Pavlos Fyssas : comment ce terrible événement a impacté la situation en Grèce ?

C’était le bordel, il y a eu des ripostes, mais ça n’a rien vraiment changé. Certaines choses sont assez corrompues en Grèce. J’ai moi-même subit le racisme toute ma jeunesse : cette attaque je l’ai prise personnellement.

En ce moment, il y a un homme qui fait rayonner la Grèce partout dans le monde, c’est le basketteur Giannis Antetokoumpo, l’un des plus gros espoirs de NBA. Lors du All Star Weekend 2017, un journaliste grec avait demandé au coach s’il pensait qu’être noir et grec en même temps était un oxymore. C’est assez représentatif du problème qu’a une partie de la Grèce avec le racisme.

Bien sûr, le racisme est partout. Parfois il faut ne pas trop y porter d’attention, parce que ça peut te détruire. Il faut rester concentrer sur toi-même et ce que tu fais. Il y aura toujours des trous du cul, tu ne peux rien y faire.

Penses-tu qu’un mec comme Giannis puisse faire évoluer les mentalités ?

Je pense que c’est déjà un peu le cas. Énormément de Grecs adorent Giannis, tu ne t’en rends pas compte.

Tu commences toi-même à être une petite personnalité publique en Grèce. Penses-tu devoir montrer l’exemple pour la jeunesse athénienne ?

Oui, mais dans le fond je pense qu’ils n’ont pas besoin d’avoir un exemple. Les jeunes feront ce qu’ils ont vraiment envie de faire, et pas ce qu’on veut qu’ils fassent. On cherche plutôt à les inspirer, ce serait une bonne chose.

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