Kendrick Lamar – untitled unmastered.

Encore mal dans sa peau, influençable, suiveur, aspiré par un microcosme déviant, il y a sept ans, K. Dot rédigeait son testament. Les lignes étaient courtes, en réalité, un seul souhait apparaissait : « Laissez-moi être moi-même ». Derrière ce message, des désirs forts étaient palpables. Transparence. Quête de soi. Des questions. Des questions. Et encore des questions, sur son art, sa communauté, son rôle, et les convoitises d’une industrie qui l’avait presque consommé (« My Mama said, ‘Boy, that don’t sound like you’ / I said, ‘This is the sound, though »). Sept minutes pour dire ses derniers mots. Quatre couplets. Et entre le troisième et le quatrième, une voix féminine flottait avec quatre questions répétées « qu’essayes-tu de dire ? Qu’essayes-tu d’accomplir Kendrick Lamar ? Est-ce vraiment toi ? Est-ce vraiment ce que tu prétends être ? ».

Chaque œuvre de Kendrick est un chapitre. La musique est son terrain d’introspection. Quand il boucle le volet To Pimp a Butterfly, il se questionne – encore une fois –, surpris par ses émotions, qui, d’un moment à l’autre, peuvent l’emmener vers des champs inexplorés. Au cours de « untitled 7 | 2014 – 2016 », même principe. Huit minutes. Trois parties. Trois positions différentes. Des arrangements sur deux années (certainement). Et la dernière partie, inachevée, ramène à cette idée de construction permanente. Nos oreilles assistent à une session studio entre Kendrick et son orchestre. Pas de thème. Les émotions prévalent. L’improvisation est reine. Et l’instant est inscrit de manière indéfinie. Cette démarche encense l’idée de transparence étayée un peu plus haut. La volonté de se présenter sous son visage le plus sincère (« ​untitled 04 | 08.14.2014 »), mais aussi, l’envie d’être écouté, et non entendu. Nuance (« I made To Pimp a Butterfly for you / Told me to use my vocals to save mankind for you / Say I didn’t try for you, say I didn’t ride for you »).

Ces chutes d’album, pas assez bonnes pour figurer sur son dernier album ; pas assez cohérentes pour coller au concept TPAB ; ou tout simplement trop « médiocres », prolongent les grands thèmes évoqués dans son dernier opus. L’amour de soi (« i ») est perceptible dans la voix chaude de Cee-Lo Green (« untitled 06 | 06.30.2014. »). L’appétit insatiable du vieil Oncle Sam (« For Free ? (Interlude) ») est très prégnant sur « untitled 03 | 05.28.2013. » (« Telling me that he selling me just for $10.99 / If I go platinum from rapping, I do the company fine / What if I compromise? He said it don’t even matter ») – au passage, Astronote, producteur français, talentueux, mais très discret, signe le placement de l’année. Et la névrose, cet emprisonnement mentale, qui finit par enfermer les corps, les rêves, la confiance de chaque individu des quartiers paupérisés, jonche l’intégralité des morceaux « untitled 02 | 06.23.2014. » (« Stuck inside the belly of the beast »), « untitled 05 | 09.21.2014 » (« See I’m livin’ with anxiety, duckin’ the sobriety / Fuckin’ up the system I ain’t fuckin’ with society »), et « untitled 08 | 09.06.2014. » (« Why so sad? Walking around with them blue faces »). Certainement une des raisons pour expliquer ces mots « levitate, levitate, levitate, levitate », l’idée d’outrepasser son être, sa conception physique, sensible, pour s’éclipser vers des monts plus hauts, inaccessibles en apparence. De ce fait, la métamorphose « chenille – papillon » est respectée, et « étrangement », ils font écho aux premières lignes de son testament :

« I think that I finally reached the pinnacle

Of finding myself as an individual

The world is so typical

I just wanna be higher than that? »

 

untilted unmastered. est un tour d’honneur. Un dernier tour de piste pour réaffirmer sa place sur le podium, son importance culturelle, sa pleine maîtrise des fondamentaux (« untitled 01 | 08.19.2014. » est un exercice de style…), et sa science parfaite de la pique subliminale (« I could never end a career if it never started »). La boucle est bouclée. Un grand chapitre se ferme. Cornrow Kenny.

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