KIDZ : Instantané d’une jeunesse audacieuse

Il y a un an et demi, alors qu’elles s’apprêtent à terminer le lycée, Raphaëlle Bellanger et sa meilleure amie Anna Gardère, se lancent dans l’énième projet de leur jeune duo déjà prolifique. Un premier livre, comme un tableau figé dans le temps, d’une jeunesse parisienne proactive. En 15 et 25 ans, ils sont 34 à avoir pu exprimer en toute liberté sur quelques pages, leurs visions, leurs passions, leurs inspirations.

À la rencontre de Raphaëlle et Anna, on découvre deux jeunes femmes pleines d’idées, débrouillardes, qui défendent leur projet avec enthousiasme. Avec ce livre, elles ont tenté de la façon la plus exhaustive possible de dresser le portrait de cette génération à laquelle elles appartiennent, en allant au-delà des clichés qui la caractérisent le plus souvent dans les médias : fainéante et égocentrique, absorbée pour le meilleur et pour le pire à l’ère du digital dans laquelle elle est née.

Photos : @lebougmelo

Quel a été le déclic qui vous a mené à réaliser ce livre ?

Raphaëlle : Avec Anna on travaillait ensemble sur plein de petits projets. On a eu un blog ensemble, qui s’appelait « My Bellybutton ». Un petit blog, mais on avait commencé à être contacté par pas mal de marques et on n’aimait pas ça du tout, parce qu’on nous demandait vachement de vendre notre image. Et on a remarqué que c’était un truc qu’on demandait beaucoup avec le phénomène du blogging, alors que ce qui caractérise notre génération, c’est qu’on est tous né avec Internet. Donc on capte tout de suite les systèmes de promotions, les modes de consommation etc…

A : Comme on est né au milieu de ça, il y a un peu tout un mouvement autour du « pas de fake, on vend pas du faux ». Les trucs marketing, on les démonte en deux minutes. Et je ne pense pas que c’est propre à nous, je pense que c’est tous les jeunes en général qui sont vachement lucides.

R : Et dans les très gros médias, quand ils parlaient des jeunes, on ne se reconnaissait pas parce qu’il y avait encore ce truc faux qui se répétait.

A : Et aussi parce qu’il y avait cet intermédiaire, les journalistes. Et dans la plupart des médias, genre L’Officiel, celui qui a le final cut il a 40 piges. Et forcément derrière, s’il ne comprend pas le langage d’un jeune, il ne le mettra pas tel quel. À l’arrivée, les jeunes ne sont pas vraiment bien représentés. Il y a très peu de médias qui représentent bien la jeunesse. Et on s’est aussi dit qu’avec le phénomène des réseaux sociaux, on était déjà hyper en auto-promotion. D’où l’idée de demander aux gens de s’exprimer, comme ils le font sur les réseaux sociaux, mais sur papier. Cette fois-ci, ce n’est pas actualisable comme un post ou un profil…

R : Oui c’est figé dans le temps et on trouvait ça hyper intéressant. Nous on aurait kiffé voir un bouquin comme ça sur nos parents ; voir comment ils s’exprimaient à l’époque, voir les codes qu’il y avait et aussi leurs références.

A : Ouais, ça aurait été hyper cool… Et là, on a pris plein de jeunes qui commencent leurs vies professionnelles. On ne sait pas si demain, il n’y en a pas un qui sera hyper connu et c’est ce qui est cool.


« Le préjugé le plus juste sur la jeunesse, je dirais : un peu apeurée. Parce que j’ai l’impression que le monde est trop grand et qu’on n’a plus vraiment de ligne d’horizon. C’est peut-être avec l’ouverture qu’on a sur le monde, avec les réseaux sociaux et tout ça. Il n’y a plus vraiment de règles. On a trop d’options je trouve. Après, moi j’ai pu me frayer mon chemin, on m’a ouvert des portes et j’ai saisi des opportunités. Mais pour de nombreuses personnes ça peut donner l’impression d’être assommé. Si on te dis que tu peux tout faire, au final tu ne fais rien. »

Claire Laffut – 22 ans, artiste


Dans ce livre vous avez donc laissé une totale liberté aux intervenants, dans la mise en page, dans les contenus. Pourquoi ?

R : Au début on a commencé avec une maison d’édition, avec l’idée de faire un bouquin qui serait vraiment l’aboutissement de ce qu’on a voulu faire avec ce blog : faire découvrir l’univers de plein de jeunes. Là on a pu dire à chaque personne « Voilà je te laisse ces pages, tu fais ce que tu veux. » Avec Internet, on se lasse très vite des contenus. À l’inverse, on a un rapport un peu sacré vis-à-vis du papier, on n’en consomme pas trop et c’est un vrai objet.
En ce qui concerne la liberté de création, c’est que je me suis dit, entre suivre une star sur son compte pro ou son compte perso, on va tous suivre son compte perso, parce qu’on s’imagine que c’est elle qui poste.

C’est encore la notion d’authenticité qui revient.

R : On adore lire des interviews, mais on aimerait aller encore plus loin, que la personne fasse tout elle-même de manière à ce qu’on soit plus dans son intimité. On voulait que ce soit un peu entre un sketchbook et rentrer dans le journal intime de chaque personne.


Le préjugé le plus faux sur ma génération ? Qu’on est une génération de glandeurs. C’est ce qui revient tout le temps, à peu près partout. Chez la plupart des médias « traditionnels » et c’est ce qui m’énerve le plus aussi.

Joseph Ekoko – 20 ans, jeune créatif


Comment s’est passée la sélection ? Est-ce que ça a été difficile ?

A : Ça a été difficile, surtout au début. Ensuite ça a surtout été du bouche à oreille, des gens qui nous présentaient d’autres personnes. Mais au début, Raphaëlle et moi, personne ne nous connaissait.

R : On avait surtout 17 ans quand on a commencé.

A : On arrivait en leur disant : « Tu vas être dans un bouquin avec plein d’autres jeunes. » Par exemple on ne leur donnait pas les noms des autres intervenants parce qu’on n’a pas eu envie qu’ils soient influencés. Du coup, pour des gens qui vendent un peu leur image, ça fait un peu peur.

R : Il fallait qu’ils disent oui, et ils n’avaient aucun repère pour le faire.


« On avait plein d’a priori avant de commencer. Au final après avoir rencontré plein de jeunes hyper différents, on était complètement perdues. » – Anna


Comment vous les avez convaincu du coup ?

R : Je ne sais pas. On leur a expliqué pourquoi on faisait ce projet, on avait beaucoup d’engouement. Je pense que quand tu as des gens passionnés en face de toi, ça passe toujours mieux. Après on a eu plein de refus. Il y en a même certains qui sont revenu vers nous, après avoir vu que le bouquin marchait un peu.

A : Oui, des « J’étais un peu occupé », « C’était pas une bonne période pour moi. »

R : C’est le jeu aussi. Et puis pour nous, c’était aussi un bon exercice de lâcher son amour-propre et de se dire « allez ok, je fonce, je vais me prendre des claques, des claques et des claques, mais c’est pas grave, ça fait partie du jeu« .

Est-ce que vous partiez avec une liste de types de profils ?

R : Oui, et elle changeait tous les deux mois. On essayait de faire de gros mindmap avec des petites têtes de chaque personne du bouquin… Parce qu’il y avait plusieurs critères, il y avait l’équilibre entre les filles et les garçons, mais aussi l’âge, entre 15 et 25 ans… Des fois, on avait trop de personnes du même âge, il a fallu qu’on en vire, ou qu’on en rajoute. Des fois trop de garçons, il fallait rajouter des filles…

A : Et aussi le milieu social, qui était vachement important.

R : Qu’il n’y ait pas que des gosses de riches.

A : Nous on est des filles, on vient du neuvième…

R : Il fallait aussi qu’ils ne soient pas tous des artistes, parce qu’on avait tendance à aller naturellement vers ça.


 » Nos inventions nous séparent du monde réel, c’est assez dommage. On est dans un double réalité, on peut presque s’y perdre. C’est la question que je me pose. Est-ce qu’on se perd. Est-ce qu’on vit entre deux réalités. Il y a un aspect de dépersonnalisation aussi.  » 

Novae Lita – 20 ans, auto-entrepreneuse, autodidacte en art-plastique,


Au final, vous êtes satisfaites ?

A : La sélection ne sera jamais parfaite et je pense qu’aujourd’hui, je serais ravie de retravailler dessus toute ma vie.

R : On pourrait en faire cinq autres.

A : Mais après, il y a un moment où je pense qu’il faut dire stop et c’est pour ça qu’on dit que c’est une vision qui est subjective. Et c’est un perception qu’on a en 2017, après un an et demi de travail.

Quel constat vous faites sur l’état de la jeunesse à la fin de ce projet ?

A : Ça c’est drôle, parce qu’on avait plein d’a priori avant de commencer. Au final, après avoir rencontré plein de jeunes hyper différents, on était complètement perdues.

R : À la base, on était vachement pessimistes, on se disait que les jeunes étaient un peu des « m’as-tu-vu », qui vendaient leur image…

A : Ouais c’était plutôt, je vais percer sur Instagram avant de faire quelque chose de ma vie. et quand j’aurais percé, je vais faire quelque chose. Et en fait, les seuls constats qu’on a fait, à force de rencontrer les gens c’est que les plus humbles et les plus accessibles, ce sont souvent les plus talentueux.

R : Mais ça c’est subjectif. Ce qui est vrai, c’est que les jeunes, quelque soit leur milieu social, même si c’est la merde, ils sont quand même vachement optimistes. Les gens qui se bougent le cul, ils ont la niaque et ils croient en la vie.

A : L’état d’esprit, c’est vraiment « quand on veut on peut ».


« Ma vision du succès ce ne serait pas d’être connu, mais d’être reconnu. »

Takeru – 19 ans, lycéen


C’est ça le message que vous voulez transmettre avec le livre ?

En choeur : Oui.

A : Hier on passait à la radio et je me suis dit que j’étais conne parce que je disais, « Oui, aujourd’hui, tu peux tout faire sur ton Mac. » Puis, j’ai réfléchi et je me suis dit, « Merde, mais qui a un mac en fait. Tout le monde n’a pas de Mac. Merde, j’ai l’air teu-bé de dire ça. » Mais au fond ce que je veux dire c’est que tu as Internet. Et avec Internet aujourd’hui, tu peux voir ce qu’il y a dans les plus beaux musées du monde, découvrir d’autres cultures. Tu as des vidéos, tu n’es pas obligé de payer pour le journal. Tout est à disposition, c’est ce que je voulais dire au fond.

R : Je pense que les grandes envies du bouquin, c’était surtout de montrer aux jeunes qui n’osent pas vraiment montrer leur travail, que les réseaux sociaux sont un tremplin énorme et qu’il ne faut pas hésiter à se lancer. C’est pour ça qu’on a décidé de le faire sans maison d’édition : pour montrer qu’il faut arrêter de croire qu’il y a des barrières partout et que tout est compliqué. Parce qu’en France on aime trop dire ça : « Oui tu sais c’est pas ci facile… » C’était un peu pour dire que si tu veux que ce soit simple, il faut que tu fonces. Au pire tu vas te manger des portes, mais ce n’est pas grave, ce qui compte c’est de ne rien lâcher. Il y a aussi ce truc d’échelle sociale : sur les réseaux sociaux on a l’impression que les jeunes – même les plus jeunes, genre 15-16 ans – ils s’arrêtent vachement au nombre de followers. Et tu as un peu des sur-hommes et des sous-hommes en fonction du nombre de followers. C’est pour ça qu’on voulait faire une balance là-dedans. Montrer d’un côté la page d’un Jok’Air qui est connu, à côté de celle d’un mec pas du tout connu. Et ils ne racontent pas plus de conneries l’un que l’autre.

A : Et pour remettre tout le monde au même niveau, parce que forcément sur Instagram (enfin on dit Instagram, mais ça peut être n’importe quel réseau social ou même dans les médias), on va plus trouver des témoignages de Jok’Air que des témoignages de Takeru par exemple. Au final ici, tout le monde est au même niveau, tout le monde a eu la même possibilité de s’exprimer et de la même façon, on leur a donné les même moyens.

R : Et on les juge différemment. Parce qu’ils ont eu les mêmes moyens d’expression.

Qu’est ce que vous pensez  faire maintenant que le livre est terminé ?

A : Je pense que Raphaëlle et moi on aime beaucoup travailler ensemble.

R : Et on est vachement dans un truc artistique.


 » Tu as un peu des sur-hommes et des sous-hommes en fonction du nombre de followers et c’est pour ça qu’on voulait un peu faire une balance là-dedans et montrer que d’un côté tu vois la page de Jok’Air qui est connu et à côté celle d’un mec pas du tout connu et ils ne racontent pas plus de conneries l’un que l’autre.  » – Raphaelle


Pourquoi avoir choisi d’arrêter les études ?

A : Je pense que les études aujourd’hui, ça n’est plus une réponse pour tout le monde. Il y a toute une jeunesse qui ne se sens plus…

R : En confiance avec ça.

A : Pas stimulée.

R : Tu ne t’y épanouis pas trop. On a un interviewé dans le bouquin une fille de l’Éducation Nationale qui nous explique bien ce qu’il se passe et le problème. Et je pense qu’après avoir interviewé tous les adultes et les spécialistes du bouquin, et eu leurs avis sur l’Éducation Nationale, on s’est dit « ok, on arrête l’école en fait. » Ça nous a conforté dans notre choix d’arrêter l’école.

A : On te juge sur des critères du genre « est-ce que tu sais faire une dissert », etc. Alors qu’il y des gens qui ont d’autres choses à apporter et il faut les stimuler différemment. Il y en a qui se révèlent en bossant avec quelqu’un.

R : On est d’accord qu’on parle plus du milieu artistique quand même, quand tu pars un peu dans des milieux un peu favorisé. Pour être Président ou faire médecine, il faut faire des études. On ne tient pas le discours de « il faut arrêter les études ». Il faut qu’il y ait des entreprises qui soient en format d’étude. Qu’on apprenne de l’entreprise, plutôt que d’apprendre d’une école à 12 000 €. Je pense qu’il y a d’autres options. Aujourd’hui même sans une école, tu peux te faire un réseau, tu peux acquérir tout un savoir. T’as plutôt besoin de quelqu’un qui te coache, d’un mentor, de quelqu’un qui te stimule et qui te rend passionné.

A : On réfléchit à plein de projets, mais on a du mal a en parler, parce que quand on parle trop des projets, le plus souvent on ne les fait jamais.

R : J’aime pas du tout parler avant le truc final parce qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. C’est vraiment le truc le plus important. La réussite parle d’elle-même. Il n’y a pas besoin de faire du bruit. Si le truc est bien, ça fonctionnera.

« KIDZ » disponible ici.

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