La fin de Cash Money ?

Tête de gondole du label Cash Money depuis vingt ans, Lil Wayne est peut-être sur le point de quitter la seule maison qu’il ait connu depuis ses débuts. Un mal pour un bien pour le rappeur ? Est-ce que ce départ sonne le glas pour le label de Nouvelle Orléans ? Des interrogations dans toutes les têtes à l’aube d’un bouleversement géopolitique sur la carte du rap game.

 

La fin d’une success story

 

L’image est équivoque, elle montre le bras ballant de Lil Wayne qui s’étend sur la longueur du visuel. Le poignet droit du rappeur est enchaîné à des menottes, alors que l’autre boucle est ouverte. La symbolique est claire, c’est un Weezy sur le chemin de la libération que nous montre la pochette de Sorry 4 The Wait, deuxième du nom. La mixtape, comme son nom l’indique, est une façon de faire patienter ses fans et d’excuser les multiples reports de son prochain album, Tha Carter V. Une situation quasi similaire à celle de 2011 lorsque le rappeur sort le premier S4TW, en attendant la sortie du dernier Tha Carter, qui connaît à l’époque lui aussi plusieurs ajournements. Quatre ans plus tard, l’histoire se répète, mais il semble que le scénario ait pris des tournures plus dramatiques cette fois.

Originellement prévu le 5 mai dernier, Carter V s’est vu repoussé à octobre, avant de se voir à nouveau programmé pour le 9 décembre. C’est à cette occasion que la bombe est lâchée : par l’intermédiaire de Twitter, Tunechi accuse son label et, surtout, Birdman de ne pas vouloir sortir son album. L’histoire de Cash Money Records est singulière. En 1991, Ronald Williams, alias Slim, et son frère cadet Bryan Williams, alias Baby, montent un label qui marquera d’une belle empreinte le hip-hop US. Le premier est discret, dirige son business d’une main ferme en coulisses, ce qui lui vaut le surnom de « Godfather ». Le second, lui, aime la lumière et devient la face visible de l’entité, poussant même le vice à devenir lui-même artiste à ses heures perdues. Les premières années du label seront poussives, seulement portées par un succès local qu’auront les premiers artistes signés sur la structure.

 

birdman cash money

 

C’est à partir de 1995, avec l’arrivée de la deuxième génération d’artistes représentée par les Hot Boyz, que l structure obtiendra une aura nationale. À coups d’albums communs et de solos, B.G, Turk, Juvenile, et surtout Lil Wayne placeront le nom Cash Money parmi les labels qui comptent et finiront d’implanter la Nouvelle-Orléans sur la carte du hip-hop. Toujours cette année là, « Petit » Wayne a 12 ans lorsqu’il est accueilli au sein de Cash Money par celui qui deviendra rapidement son père spirituel, Baby. Un lien unique sur la scène hip-hop symbolisé notamment par un album commun au titre évocateur : Like Father, Like Son (2006). 20 ans après son arrivée à Cash Money Records, il est le seul rescapé et aura porté pendant longtemps le label à lui seul. Peut-être plus pour longtemps…

 

Une issue inévitable

 

Les années se suivent et semblent se ressembler au sein de Cash Money. Derrière les succès et les ventes, se trament des histoires moins glamour de sous, de droits ou de liberté. Le dernier exemple en date, Tyga, qui annonçait son intention de quitter la structure il y a quelques mois, déçu par l’attitude mesquine de son board, l’accusant lui aussi de bloquer sa créativité et de bloquer son album. Il raconte : « En tant qu’artiste ce que nous créons ne devrait pas être emprisonné car ce que nous faisons c’est pour les fans. Il y a des millions de personnes qui veulent ta musique et ils ne comprennent pas forcément les coulisses du business »

tyga birdman cash money

L’histoire de Cash Money est remplie de ce genre de phénomène. La main mise de Birdman sur les contrats de ses artistes et les profits qu’il en retire sont souvent la cause de conflits entre lui et ses artistes. Avant Tyga et Lil Wayne, Juvenile a été le premier à avoir le courage d’entrer en conflit avec son patron. Le rappeur quittera le label en 2002 avant de l’attaquer en justice au sujet de revenus non versés à une époque où il « cassait la baraque » avec les Hot Boyz. L’ancienne poule aux œufs d’or du label, ira même jusqu’à parler d’esclavage : « La raison pour laquelle j’ai quitté Cash Money est la même que pour la plupart des artistes : l’argent. Quand tu mets autant d’énergie dans ton travail, tu dois recevoir une compensation. Je suis un numéro sur cette radio, numéro un sur celle- là, alors j’ai vérifié mes contrats et relu toute la paperasse. Avant, j’étais naïf. Il n’y avait pas de futur pour moi avec ces contrats » Le départ de « Juve » inspirera BG et le producteur maison Mannie Fresh à en faire autant et les poussera à se créer leur porte de sortie quelques temps après. Ces dernières années se seront les producteurs Jim Jonsin (« Lollipop »), Deezle, ou encore Bangladesh (« A Milli ») qui se plaindront publiquement de sommes non-perçues, avant de voir leurs cas réglés en interne. Lil Wayne lui-même aurait pensé à un moment partir du label après avoir vu tous ses acolytes quitter le navire, avant de se désister. Une décision que Juvenile attribuera à la peur : « Je pense qu’il avait peur, c’est pour cela qu’il est resté. C’est comme ça que je le prends. Sans leur manquer de respect, je suis dix fois plus ghetto qu’ils le sont. Ils n’iraient jamais dans certains lieux que je fréquente, parce qu’ils ne sont pas de ce calibre- là. C’est deux mondes différents. « Ne les laisse pas t’intimider parce que je suis la. Si tu veux partir, pars. T’es avec moi maintenant, plus avec eux. »

 

lil wayne sorry for the wait 2

 

Au lieu de ça, le dernier Hot Boyz rempile et signe un nouveau contrat qui le lie au label pour plusieurs albums. La suite, on la connaît : il grandira au sein de la structure jusqu’à en devenir une des pointures du rap game US. Hormis les problèmes financiers, Cash Money s’est forgé une réputation de catalogue qui stocke un nombre important d’artistes, sans les voir sortir le moindre projet : Bow Wow, Brisco, Busta Rhymes, Gudda Gudda, Cory Gunz, Paris Hilton, Lil Twist, et plus récemment Christina Milian, sont des exemples de cette gestion étrange. À côté d’eux, d’autres ont fait des passages éclairs : Omarion, Mystikal, Currensy, Pretty Ricky, Lil Chuckee, Jay Sean.

 

Un bien pour un mal

 

Si des mésententes de la sorte sont déjà arrivées auparavant, le point de rupture semble être atteint aujourd’hui entre Lil Wayne et Cash Money. En effet, il est difficile d’imaginer un retour à la normale après les accusations frontales et la mise en pâture de Birdman faite par Tunechi. Le rappeur veut être libéré et semble être certain du dénouement de cette affaire. Après avoir passé toute sa vie au sein du label, est-il aujourd’hui possible de le voir évoluer autre part ? Rien n’est moins sûr. Contractuellement, il est toujours attaché à Cash Money, pour quatre albums. La seule issue possible serait que Birdman le libère de ce pacte avec le « diable », un acte impensable de la part du businessman. Véritable pilier, il a signé la plupart des gros succès du label pendant longtemps avec comme point d’orgue Tha Carter III, qui reste son plus grand succès commercial. Depuis, plus grand chose.

Tha Carter IV a reçu un accueil mitigé et Weezy devient un oublié des charts depuis quelques temps. En 2014, son seul morceau classé est « Believe Me », en featuring avec … Drake. Le Canadien prend de plus en plus de place et représente sans aucun doute avec Nicki Minaj, l’artiste le plus « bankable » de Cash Money. Une ombre imposante pour un Tunechi, peut-être en manque d’inspiration, ou tout simplement malheureux. Il est probable qu’il bénéficierait un changement d’air, une nouvelle équipe. En bon opportuniste, Jay Z aurait déjà signifié qu’il était intéressé pour le récupérer au sein de Roc Nation alors qu’il avait déjà essayé de le signer en 2008 sous Def Jam, avant de se désister en recevant des lettres d’avocats envoyés par… Birdman.

 

Sorry4TheWait2 Flow Deaux

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Avec la détermination qui semble habiter Weezy, il n’est pas impossible de le voir renforcer son homonyme et ainsi imaginer un duo de Carter réuni sous la même structure, en -belle- compagnie de Rihanna… Avec le statut acquis pendant toutes ses années sous CM/YMCMB, et accessoirement son talent, nul doute que Tunechi ait un avenir sans Cash Money. Peut-on dire la même chose de l’avenir du label sans Weezy ? À première vue le pouvoir attractif de Birdman n’aurait pas baissé puisque le mogul gère actuellement les carrières des deux révélations Rich Homie Quan et Young Thug. Et quand bien même la musique ne marcherait plus, l’homme oiseau a prévu le coup en créant Cash Money Sports, qui gère des contrats de sportifs, ainsi qu’une compagnie pétrolière du nom de Bronald (contraction du prénom de Baby et de celui de son frère). De quoi voir la vie en vert dollar, pour le label qui porte si bien son nom.

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