L’âge d’or du Rap français : une tournée pour remonter le ton
Il y a des évènements qu’il semble impossible de manquer tant la symbolique y est importante. Ainsi, regrouper la plupart des noms ayant fait briller de mille feux une culture n’est finalement que rendre justice à un mouvement qui aujourd’hui oscille entre pop et rap. N’y voyez là ni pique ni amertume, encore moins de la condescendance car ces artistes – qui monteront très prochainement (à partir du 3/03) sur scène pour défendre l’art qui « jadis » les a portés aux nues – ont fait face à nos journalistes en leur répondant avec un pragmatisme et une humilité sincère mais surtout, avec une nostalgie assumée.
Par soucis d’équité de temps et histoire de mettre les pieds directement dans le plat, nous avons décidé de ne poser que 3 questions à chacun des artistes présents lors de cette journée promo. 3 questions donc, pour une multitude de réponses.
Photos : @mamadoulele
« Vous voyez, le fait d’appeler cette période de cette manière te donne tout de suite la couleur du truc. » – Kertra
C’était comment l’âge d’or du Rap français ?
Busta Flex : « L’âge d’or du Rap pour moi c’était fabuleux, magnifique. Cette période était enrichissante, donc on va dire que c’était à refaire. »
Zoxea : « C’était une époque où on était jeunes et il y avait pas mal de choses à construire. On s’amusait et on découvrait en même temps. On parle d’âge d’or parce que tout ce qu’on entreprenait brillait, parce que c’était tout simplement nouveau. »
G Kill : « L’âge d’or du Rap…à cette époque le hip hop était un microcosme, on se retrouvait entre nous, on était pas beaucoup. On se déplaçait partout où il y avait un évènement : un clip qui se tourne, un album qui s’enregistre, une radio… On était partout. »
Stomy Bugsy : « Ce sont des artistes qui ont marqué leur temps, ils ont marqué cette musique à une époque où ces artisans là le faisaient pour une simple raison : ils aimaient cette musique. Pas pour l’appât du gain, juste pour l’amour de la musique. »
K-Reen : « C’était une période de grande créativité avec beaucoup de groupes et beaucoup de fraternité. Bien sûr, il y avait des gens qui ne s’aimaient pas mais on était quand même une grande famille et c’était celle du hip hop. C’était une passion qui nous unissait et c’était beau. Aujourd’hui on ne retrouve plus cela sous cette forme, alors être réunis pour cette tournée, fait renaître ce sentiment qu’on avait à l’époque et ça fait du bien. »
Kertra : « La véritable période de l’âge d’or…écoute, c’était différent car on parle d’une autre période avec un autre état d’esprit. Vous voyez, le fait d’appeler cette période de cette manière te donne tout de suite la couleur du truc. L’or brille, dans le sens où quand tu balançais ce que t’avais à balancer, c’était reçu de la façon dont ça devait être reçu. »
D.O.C : « L’âge d’or du Rap c’était comment ? Notre âge d’or alors, parce que c’est très subjectif comme question…C’était magnifique, il y avait énormément de morceaux à thème, d’albums à thème. On avait l’impression que la qualité était privilégié à la quantité, c’était des années inoubliables. Aujourd’hui encore, on détient des albums d’artistes présents sur cette tournée. »
Ill : « C’est une époque où le rap français a été révolutionné, notamment par une technique et cette façon de manier les mots et d’agrandir le lexique français et international.
De 1995 à 1998, les gens qui n’étaient pas connus appelaient à la radio et arrivaient à t’ambiancer avec leur vies. Ils ne faisaient pas forcément parti d’un groupe mais ils prenaient le micro à la radio et ils arrivaient à t’ambiancer. Il y avait plus de générosité et de partage, c’était plus artistique car la personne voulait communiquer. »
Matt Houston : « Mon 1er stage c’était au shop hip hop « Ticaret » vers Stalingrad, le marché Malik à Porte de Clignancourt. C’est là que je suis tombé dedans on va dire, ensuite tout s’enchaine. À cette époque je rappais un peu ! Mais j’ai pas perduré parce que il y avait des MC’s vachement plus forts que moi, donc je me suis mis à faire le loveur. »
Le T.I.N : « Je pense que c’est une période qui est apparue juste après les fourmillements qu’il y avait eu dans le hip hop en France. Pour nous c’était la quintessence de cette culture car on avait enfin une ouverture pour être les portes paroles d’une jeunesse qui avait absolument besoin d’être représentée et qui ne l’était pas.
On a pu voir des gens qui avait une vraie plume et qui faisaient moins de punchlines. Ces rappeurs allaient plus dans le fond des choses et ils représentaient vraiment les émeutes qu’il y a pu avoir en 1992 et en 1995.
Le hip hop ça permettait aux gens qui avaient un vrai talent artistique, qui n’avaient ni accès aux écoles d’art ni à d’autres institutions, de pouvoir faire quelque chose et de montrer qu’ils en avaient dans le ventre. »
« Je dirai 1995, l’année de notre 1er disque…parce que sortir un disque à l’époque c’était le Graal. » – Dany Dan
Durant cette période, quelle année vous a le plus marqué ?
Ménélik : « Pour moi, je dirai que c’est 1997 car il y a eu beaucoup de sorties. Sur un plan personnel, c’était l’année de mon single « Bye Bye » qui a été un tube. »
G-Kill : « 17 juin 1996. Sorti de l’album « 3 fois plus efficace » de 2 Bal 2 Neg, notre 1er album. On va dire que cela a été notre entrée dans le game. »
Dany Dan : « Je dirai 1995, l’année de notre 1er disque…parce que sortir un disque à l’époque c’était le Graal. Un disque à la FNAC, partout ! Voilà mon année. Avant et après c’était mortel mais 1995 c’était autre chose. »
Hifi : « 96/97 pour la FNAC des Ternes et « Retour aux Pyramides ». Un morceau qu’on a fait très rapidement. Il y a eu notre 1er album « Jeunes, coupables et libres » en 1998, mais c’est difficile de ne donner qu’une date parce qu’il y a eu plein d’évènements importants. »
Matt Houston : « C’était que de l’amour à cette époque. Je fais de la musique depuis que je suis tout petit, j’ai commencé à 10 ans, j’ai testé plusieurs instruments. J’ai toujours voulu rallier le côté doux et le côté urbain de la musique. Pfff…comme G-Kill, l’année 96-97 a été importante. »
Le T.I.N : « Impossible de ne donner qu’une seule date, deux à la limite…
83/84 quand on a reçu l’onde de choc du hip hop qui existait depuis pas mal d’années aux USA. Avant ça, ici il y avait de la funk, du disco, du zouk [rires, ndlr] et d’un seul coup il y a eu le hip hop. Et nous, ça nous a permis de définir notre vie…c’est un mode de vie le hip hop.
Ensuite je dirais 1993 car c’est l’année de notre rencontre avec Rudlion, Don Laskar et Francky de Ghetto Youth Progress. Donc Rudlion qui était un Requin Vicieux, c’était déjà une légende avant de se lancer dans la production et il a fait ce qu’Expression Direkt est. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde. Avec lui on a monté une aventure dingue qui mériterait un film de 3 ou 4 volets. »
Melopheelo : « 1995 pour notre premier album, ce qui nous a mis le pied à l’étrier. On avait rien projeté en fait, on faisait notre musique à Boulogne, on faisait nos concerts et on était connus dans notre ville. L’album a été la consécration. »
Delta : « Beaucoup d’années m’ont marquées mais je choisirai 1990 parce qu’un jour de cette année là on s’est enfermé dans une salle et on a écrit notre premier morceau et je crois que c’était « Mon esprit par en couilles »…non, c’était « La Haine engendre la haine ». C’est un morceau qu’on a écrit, enfermés tous les quatre dans une salle de MJC qu’on avait ouverte…de nuit [rires] ! Donc oui, premier titre phare qu’on a écrit ensemble. Et 1995, parce qu’il y a eu la sortie de notre premier EP « Mon esprit part en couilles »…non pas le début du groupe mais plutôt celui de l’aventure. »
K-Reen : « Pour moi l’année la plus marquante aura été 1998 car ça coïncide avec la sortie de mon 1er album R&B « K-Reen ». C’est un album que j’attendais depuis tellement longtemps…sa sortie a été une consécration. Après il s’est passé plein de choses, il y a eu beaucoup de scènes et de joie. »
« Moi je suis un optimiste, donc je savais qu’à un moment ou un autre, notre passion allait dépasser les époques. » – G-Kill
À l’époque, auriez vous imaginé de jouer 20 ans plus tard pour un évènement comme L’âge d’Or du rap français dans une salle aussi mythique ?
Melopheelo : « Non car à l’époque, chaque groupe avait son secteur. Effectivement il y avait des festivals et parfois on croisait quelques groupes mais personnellement, jamais je ne m’étais dit qu’on finirait tous par faire un Bercy. Je me l’étais peut-être imaginé mais je ne m’étais pas projeté. »
Nuttea : « Ouais ! Tout simplement parce qu’on y croyait. On croyait en notre musique et on savait qu’elle prendrait cette ampleur-là. »
D.O.C : « À l’époque je n’imaginais pas que des années plus tard on puisse faire une aussi grande salle mais maintenant, je suis vraiment agréablement surpris de faire l’Accor Hotel Arena. »
Zoxea : « Non. En fait à cette époque-là, pour être honnête avec toi, le Graal c’était de sortir un disque. Pouvoir faire des tournées et exporter notre musique partout en province mais aussi en Europe. La Suisse, la Belgique, etc.
Si tu veux, l’idée de faire une réunion avec des artistes confirmés, elle est venue il y a 10 ans. Entre 7 et 10 ans. Le hip hop et le rap étaient arrivés à une certaine maturité, les groupes avaient fait leur chemins et je pense qu’au même titre que les stars de la variété ou des années 80, le rap français a aussi ses « stars ». On s’est dit que ça serait bien qu’on se retrouve sur une scène. »
K-Reen : « À cette époque on ne savait pas qu’on marquerait notre temps de cette façon-là. Il y a dix ans on entendait déjà les gens parler de ça. Mais le dire c’est une chose, le faire en est une autre. Beaucoup y ont pensé mais certains ont dû avoir peur du mot « urbain » et de nous voir nous retrouver sur une même scène. Au final il n’y que Mazava et Valou [organisatrice de la tournée] qui ont pu concrétiser cette idée car c’est leur vies, leur tripes. »
Stomy Bugsy : « On l’a tous imaginé secrètement. Avoir tous ces artistes sur scène c’était quelque chose de réalisable mais c’était un projet très lourd à porter et je pense que Valou était la seule personne capable de monter ça. Valou n’est pas une imposture, elle a toujours baigné dans cette musique. C’est une passionnée qui aime follement le hip hop. Donc quand elle t’appelle, tu y vas car tu connais son background. »
Ill : « À l’époque non, mais ce n’était pas un truc impossible. En même temps c’est normal que si à l’époque cette période n’a pas été mise en avant, on le fasse aujourd’hui. Surtout avec la génération qui nous a précédé, qui elle n’a pas eu la moindre mise en avant. »
Dany Dan : « Pas du tout. Je n’ai pas calculé, je ne cherchais pas ça ! J’essayais juste de faire la meilleure musique possible, sans me poser toute sorte de questions. Je fais aussi du graffiti, et c’est pareil, il suffit de faire le meilleur dessin. Je n’ai jamais été exposé quelque part mais j’essayais quand même de faire le meilleur dessin possible. »
Delta : « Vu la puissance du groupe, ouais [rires]! Non, on imaginait des grandes salles et des grosses scènes bien sûr, mais je crois que la plus grande que nous ayons fait c’était à Montpellier en plein air. Un festival de 30 000 personnes, un gros truc. Donc oui, Bercy c’était imaginable. Par contre vingt ans plus tard je ne me voyais plus faire de rap, je pensais que ma carrière serait courte. Elle a été plutôt sympathique même et je vous avouerai que faire cette tournée c’est un bonus. De toute façon je m’étais dit que si je revenais c’était pour faire des gros trucs et là c’est le cas, donc c’est plutôt sympa. »
Ménélik : « En 97 on avait pas cette mentalité-là. Nous étions très individualistes, mais c’était pas forcément égoïste : nous sortions tout simplement nos propres trucs et on essayait quelque chose.
Nous ne pensions pas à nous fédérer pour aller beaucoup plus loin, chose qu’on aurait dû faire. Aujourd’hui on a la chance d’avoir Valou qui a pu nous rassembler et monter cet évènement qui est quelque part…unique. Pourquoi ? Parce que c’est la 1ère fois que tous les rappeurs de cette époque vont se réunir et faire quelque chose d’exceptionnel. Franchement, c’est quelque chose que tout le monde a dû rêver et imaginer faire mais ce n’est jamais arrivé à cause de nos égos. »
Pour ceux et celles qui souhaitent assister à la tournée, sachez que celle ci débute ce vendredi 3 mars au Zénith D’auvergne et s’achèvera le 12 mai prochain au Geneva Arena en Suisse. Quant aux parisiens, rassurez vous puisque la tournée prendra ses quartiers le 27 mars à l’Accorhotels Arena (Popb Bercy).
Enfin, puisqu’une nouvelle n’arrive jamais seule : une compilation double album « l’Age d’Or du Rap Français » (Warner/Mazava Corp) sera disponible dès ce vendredi 3 mars.