Las Vegas Chicano

Méconnu du public français, Oscar Zeta Acosta est l’une des figures incontournables de la contre-culture US des années 70. Celui qu’on surnomme le « Bison brun » n’est autre que le fameux avocat sous éther interprété par Benicio del Toro dans le film Las Vegas Parano, de Terry Gilliam. Un personnage mystique bien plus complexe que l’image de gentil junky véhiculée par le grand écran et le roman de Hunter S. Thompson. Un livre culte qui n’aurait pas la même saveur sans l’imposante carrure d’Acosta, alias Dr. Gonzo. C’est en lisant les premières pages de Fear and Loathing in Las Vegas qu’il en prend conscience. Hors de lui, Oscar se sent spolié par son ami et exige de l’argent ainsi qu’une mention de co-auteur. Un bon moyen également d’accéder à une certaine notoriété. En vain. Il restera dans l’ombre. Derrière cette carapace gonflée à la testostérone se cache un homme pétri de contradictions, tourmenté et déterminé à trouver sa voie. Cette figure mythique pour les cinéphiles se révèle être un père étrange pour son fils Marco, aujourd’hui avocat à San Francisco. Tour à tour assistant juridique, dandy ventripotent, écrivain de génie, défenseur des Chicanos, Oscar Zeta Acosta mène une vie qui fait couler beaucoup d’encre. Autant que le sang qui a ruisselé de son nez. Retour sur le destin d’un Chicano hallucinant et halluciné…

 

Riverbank Californie

 

Né le 8 avril 1935 à El Paso, au Texas, le minot grandit dans un petit bled de Californie, Riverbank, 3 969 habitants et autant de paumés dont le rêve américain glisse entre les doigts comme un tuyau poisseux. Originaire de la région du Durango, au Mexique, son père est un beau parleur, dur à cuir, qui épousera Juana, la future mère d’Oscar. Ils habitent une petite baraque sans eau courante. Une vie à la Dickens, la chaleur en prime. Pourtant, ils ont toujours mangé à leur faim, comme l’explique Oscar dans Mémoires d’un bison. Entouré d’un frère et de trois sœurs, le garçon partage ses journées entre l’école et le travail de la terre où il aide son père à cultiver le maïs et les piments. Une éducation à l’ancienne, avec réveil à 6 heures du matin et radio KTRB en toile de fond. « Mes grands-parents voulaient que leurs enfants soient comme tous les petits Américains », confie Marco, le fils d’Oscar. Le paternel, qui a fait la Seconde Guerre mondiale à Okinawa, sermonne ses rejetons et leur inculque le sens du sacrifice et du devoir. Le guide du parfait hombre avec le manuel du Seabee comme livre de chevet.

 

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À Riverbank, à part une usine de douilles et la plus grande conserverie de concentré de tomate au monde, il n’y a rien à faire. Alors, le jeune garçon lit, grille quelques blondes en cachette et joue les durs avec les Blancs du coin, les Okies. Des familles pauvres qui ont quitté l’Oklahoma pour trouver du travail. Oscar devient le roi du ring, ou plutôt des terrains vagues coincés entre les voies ferrées. Il doit également castagner les Pochos, ces Mexicains de Californie qui n’apprécient guère leurs compatriotes. Très jeune, il comprend qu’il est différent, un paria à qui la vie ne fera aucun cadeau. Mais Oscar n’en démord pas. « Il voulait vraiment s’intégrer. Mon père était très actif, un peu idéaliste. Il participait à toutes sortes d’activités », résume Marco. Chez les scouts, il se fait des copains, apprend l’art de la branlette et découvre les plaisirs charnels. L’été, on fait du vélo, on joue au basket, on bécote les filles à l’ombre des arbres. Une jeunesse américaine sauce chicano pimentée.

 

Docteur ès vagabondage

 

Après le lycée, le jeune homme s’engage dans l’US Air Force où il intègre la fanfare de la base. Une expérience chaotique pour l’apprenti libertaire qui n’hésite pas à se faire la belle pour écumer les bars de San Francisco. Alors que la guerre de Corée et son flot de linceuls étoilés se disputent les faveurs du ciel, il joue de la clarinette pour réconforter les troupes. Entre questionnement mystique et quête de soi, Oscar est envoyé au Panama ; il rejoint le 573e bataillon de l’Hamilton Air Force. Au milieu de la jungle, le Chicano devient missionnaire pour l’Église de la Convention baptiste du Sud. Un évangéliste New Age qui, grâce à une gouaille hors du commun, finit par convaincre les païens du coin. En juin 1956, Acosta est de retour aux États-Unis avec une démobilisation à la clé. Bingo ! Le garçon prend ses quartiers d’été à La Nouvelle-Orléans où il renoue avec sa passion pour les zincs sirupeux. Puis direction Los Angeles, avec une arrestation et quelques jobs en guise d’apéro. Sur les conseils de Betty, sa future femme avec laquelle il aura Marco en 1959, le jeune homme fait ses valises pour San Francisco en vue de suivre des cours de littérature et d’écriture.

 

La condescendance ethnique orchestrée par les beatniks à la peau pâle dresse un mur invisible entre les minorités et les WASP dominants. Oscar raille les hippies, les héros de la Beat Generation. Un ramassis de révoltés en préfabriqué qui n’ont pas vécu grand-chose hormis les remontrances de papa. Il leur préfère les grandes figures de la Lost Generation, comme Hemingway. Malgré sa soif de réussite, Oscar se heurte à la généralisation de cet état d’esprit. Comme le rappelle Héctor Calderón, professeur de littérature à UCLA et spécialiste de la culture latino, « dans les années 60, les étudiants d’origine mexicaine étaient confrontés à un système éducatif qui les désavantageait. Pour ces jeunes issus de familles d’ouvriers, leur culture représentait un frein considérable ». Alors, le Bison lit beaucoup, enchaîne les boulots, joue les Don Juan des bas-fonds auprès de jeunes bourgeoises en quête d’acoquinement. La littérature devient un exutoire, une thérapie DIY pour le jeune Hispano qui entreprend d’écrire un roman. L’occasion pour lui de parler de sa vie de métèque au pays de la liberté. Il envoie son manuscrit aux éditions Doubleday qui, malgré la qualité du texte, selon l’un des directeurs, ne souhaitent pas le publier. Oscar décide de mettre sa carrière d’écrivain entre parenthèses. Pour autant, ce désir de reconnaissance, ce besoin vital de créer et de s’intégrer ne s’estompent pas et le poussent à reprendre le chemin de l’école. Il sera avocat…

 

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Avocat commis d’office

 

Point de vocation mais la volonté de prouver qu’il en a dans la calebasse. Direction la San Francisco Law School et cinq années de cours du soir. La journée, il gagne sa vie en gérant les basses besognes au sein de la rédaction du San Francisco Examiner. Pour tenir le coup, Oscar mise sur les amphétamines. Un carburant plus qu’une drogue ; à 2 dollars les 1 000 cachetons, l’entreprise s’avère plus que rentable ! « Mon père n’était pas véritablement un junky. C’était plus expérimental, quelque chose de classique dans la culture underground. Parfois, il m’expliquait ce qu’il prenait, l’effet que ça lui faisait », se souvient Marco.

 

Diplôme en poche, Oscar intègre l’assistance juridique. Nous sommes en 1966. Lyndon B. Johnson multiplie les actions en faveur des plus défavorisés. Avec son programme « Great Society », le président des USA entend mener une véritable guerre contre la pauvreté : sécurité sociale, aide à l’éducation, soutien au mouvement des droits civiques. Des belles paroles du Congrès à la réalité de la rue, il y a un gouffre qu’Oscar mesure à longueur de journée. Assis derrière son bureau, il voit défiler les figurants de l’American way of life : mère contusionnée, quidam alcoolisé, Mexicain ostracisé, Afro-Américain opprimé… Les injonctions d’éloignement, les décharges de faillite, les saisies et les divorces rythment son quotidien. « Il essayait sincèrement de s’attaquer à la misère, d’aider les plus démunis », reconnaît Marco. Oscar ne manque pas de cœur, mais le combat semble perdu d’avance. Face à lui, l’État californien, les avocats privés en costume trois pièces, les créanciers qui vendent du rêve aux affamés. Rien de neuf sous le soleil.

 

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Alors, Oscar se fait de la bile, souffre d’ulcères qu’il soigne à coup de Valium et de Stélazine. Son histoire avec Betty, sa première femme, tourne au vinaigre. Il faut dire que « c’était quelqu’un de très violent avec ma mère et les femmes en général », regrette son fils. Comme la fois où, flingue à la main, il a menacé de la tuer. Heureusement, « c’était une fille du Midwest, avec du caractère, qui lui a dit de le faire s’il avait des couilles » poursuit Marco. Évidemment, il n’a rien fait. « Je pense qu’il voulait être un bon père mais son travail comptait beaucoup, peut-être trop », admet le fiston. Puis sa secrétaire meurt d’un cancer. C’en est trop. L’assistant de la misère humaine tire un trait sur sa carrière d’avocat et prend la poudre d’escampette. Une fuite provisoire…

 

Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable

 

Au lieu de suivre une thérapie comme l’aurait préféré son fils, Oscar choisit les paradis artificiels. Pour Marco, cette période ressemble « à la chute de l’Empire romain : après les excès et le faste de la drogue en l’occurrence, on tombe en ruine ». À bord de sa Plymouth 65, le loustic s’enfuit à tout berzingue. Direction le Nevada. Après, on verra. Les paysages désertiques défilent à vitesse grand V, comme les Budweiser qu’il essaime le long de la route. Sous amphétamines, la fatigue s’estompe tandis que la confiance revient au galop. Il roule trois jours sans dormir avant de prendre une belle blonde en stop. Il s’agit de Karin Wilmington, une amazone friquée dont la meilleure amie est mariée à un copain d’Oscar. Ces quelques semaines d’errance identitaire marquent un tournant dans la vie de l’apprenti contestataire. Il profite de ce road trip pour se rendre sur la tombe d’Hemingway, à Ketchum, dans l’Idaho. Il prend les fleurs de la tombe voisine pour honorer l’un de ses maîtres en littérature. Comme l’explique son fils, « Oscar et Hemingway ne se sont vraisemblablement pas connus, mais ils se ressemblaient. C’étaient des personnages de caractère, des hommes complexes. Mon père a beaucoup lu Hemingway. »

 

La balade sauvage se poursuit dans le Colorado, au milieu des Rocheuses. C’est dans un petit bled paumé qu’il fait la connaissance de Hunter S. Thompson par l’intermédiaire de l’autostoppeuse. Le père du journalisme gonzo commence à être connu. Il a déjà publié un livre sur les Hell’s Angels et écrit régulièrement pour le New York Times Magazine, Esquire… Entre l’avocat et l’écrivain, le courant passe. Hunter S. Thompson semble s’intéresser au mouvement chicano qui pointe son nez. Acosta, lui, est attiré par le succès littéraire du journaliste. Ça se chambre, ça se jauge entre deux packs de bière et un trip sous mescaline. Pendant plusieurs jours, les deux compères se droguent et picolent, semant la pagaille dans la région. Affublé d’un maillot de bain hawaïen (qui deviendra une chemise dans le film Las Vegas Parano), Oscar joue le lieutenant de Hunter S. Thompson. Une manif hippie ? Ils s’y rendent illico, histoire de foutre le bordel et montrer à ces tignasses bouclées en patte d’eph’ qui sont les patrons. Des génies en marge de la société qui ont un sérieux penchant pour la subversion, la vraie. Selon ces enragés profondément engagés, la révolution passe par une certaine forme de violence. Dans le coffre du break de Thompson, on retrouve le kit du parfait anar : bombe artisanale, gaz lacrymogène, couteau de chasse, arbalète en émail et flèches en acier argenté… Pour son fils, « si Oscar était encore vivant, il aurait certainement rejoint une organisation terroriste ». Après une dernière course-poursuite avec les forces de l’ordre, Oscar décide de plier bagage. Avant de le quitter, Hunter lui touche un mot du mouvement chicano et lui parle notamment d’un certain Corky Gonzales. Un ancien boxeur d’origine mexicaine devenu poète et activiste politique… Thompson lui donne son numéro. C’est sûr, ils vont se revoir.

 

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L’aventure se poursuit à El Paso. Retour à la case départ. Faute d’argent, Oscar fait la plonge dans un boui-boui mexicain. Il enchaîne les petits boulots, côtoie les Indiens des montagnes au visage buriné par le travail au soleil. Complètement déboussolé, Acosta appelle son frère qui le rencarde sur le « Brown power », les revendications des Chicanos. Une émeute se prépare à Los Angeles. Cette nouvelle aux allures de prophétie lui fait l’effet d’un uppercut en pleine tronche. Il repart pour la Californie.

 

68, année hispanique

 

Ni Mexicain, ni Américain, Acosta se sent plus que jamais Chicano. À East LA, au milieu de ses semblables et des odeurs de tortilla, il devient l’avocat des « bouffeurs de guacamole ». Pour ces Indiens de l’Aztlan, spoliés de leurs terres par l’Oncle Sam, l’injustice et la misère se vivent au quotidien. « Le mouvement chicano était principalement porté par la classe ouvrière et les enfants dont les parents avaient émigré aux USA à la suite de la révolution mexicaine de 1910 », résume Héctor Calderón. Sur fond de tensions raciales et de violences policières, Oscar se rapproche des Brown Berets qui multiplient les actions coups de poing. Comme le jour où ils mettent le feu à l’hôtel Biltmore durant une visite du gouverneur de Californie, un certain Ronald Reagan. Moins connu que les Black Panthers, le mouvement chicano est pourtant considéré comme l’un des plus violents de la fin des années 60. Une philosophie qui correspond parfaitement au caractère bien trempé d’Oscar, comme en atteste son fils : « Il était très radical et ses méthodes étaient extrêmes. Par exemple, il disait souvent qu’il aurait bien aimé piloter un hélicoptère pour balancer de la peinture verte (couleur du guacamole, ndlr) sur la Maison Blanche. » Extrême mais pas dénué d’humour. De l’occupation d’une église à l’étrange suicide d’un jeune Chicano dans un poste de police, Oscar est sur tous les fronts. Entouré des agitateurs de l’époque, tels César Chávez et Corky Gonzales, l’avocat multiplie les actions en justice et gagne l’estime des siens. Il n’hésite pas à faire citer soixante-dix juges comme témoins. Il en profite pour les confronter à ce racisme institutionnel dont il les accuse.

 

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En 1970, il se présente à l’élection de shérif du comté de Los Angeles avec pour projet de supprimer le LAPD. Tout dans la démesure. Pendant la campagne, il fera quelques jours de prison. À la surprise générale, Acosta récolte plus de 100 000 voix. Une popularité grandissante qui ne réjouit pas tout le monde, à commencer par les autorités locales. Le FBI le suspecte également d’être lié au Front de libération chicano, soupçonné d’avoir posé plusieurs bombes artisanales. Malgré les protestations de son ex-femme, il emmène Marco au milieu des manifestants. « Il était très honnête avec moi et n’hésitait pas à me dire que ça pouvait mal tourner. Mais je ne me suis jamais senti en insécurité. » L’avocat-activiste écrit régulièrement dans les colonnes de La Raza, où il parle de ses procès mais également des limites du système judiciaire californien. Un engagement total qui ne met pourtant pas fin au racisme latent d’une société gouvernée par l’Amérique blanche. Été 1970, le journaliste Rubén Salazar est assassiné par la police durant la marche du Chicano Moratorium contre la Guerre du Viêt Nam. Comble de l’ironie, « Oscar ne parlait pas l’espagnol, il en était incapable », se rappelle son éditeur Alan Rinzler. Un paradoxe de plus qui ne l’empêchera pas d’accéder au Panthéon des grands Latinos. Pour Héctor Calderón, Oscar « est l’une des légendes du mouvement chicano ». Aujourd’hui encore, la jeune génération entretient le mythe, à l’image du groupe de rap Brown Buffalo originaire du quartier de Fruitvale, à Oakland, et de la compagnie de théâtre Angels, qui a produit une pièce inspirée de sa vie. Forest Whitaker et d’autres ont essayé, en vain, de réaliser un film inspiré de la Révolte des cafards. Mais jusqu’à présent rien ne s’est réalisé.

 

La Bête et les Lettres

 

Une légende qui doit beaucoup à son talent d’écrivain et ses deux romans, Mémoires d’un bison puis la Révolte des cafards. Oscar retrouve Hunter S. Thompson pour un trip expérimental et artistique sous le soleil de Las Vegas. Le journaliste doit couvrir la Mint 400, une course de moto dans le désert du Nevada. Au menu, « mescaline, acide-buvard carabiné, cocaïne et une galaxie complète et multicolore de remontants, tranquillisants, hurlants, désopilants », saupoudrés d’une touche de journalisme gonzo. Ou l’art de l’enquête version ultrasubjective. L’occasion d’aborder le désenchantement du rêve américain, d’ébranler les valeurs de l’Amérique puritaine. À l’origine simple commande du magazine Rolling Stone, le papier devient un livre publié en 1972. Là encore, le flou artistique règne. Oscar exige des droits de co-auteur, estimant avoir largement contribué à la genèse du roman. Alan Rinzler, vice-président de la branche édition de Rolling Stone, se souvient : « Il était furieux. Il avait le sentiment que Thompson lui avait volé ses mots, son style, une part de sa vie. Il voulait être payé, mais évidemment Hunter a refusé. » De plus, il n’apprécie guère la façon dont il est décrit dans le livre, à savoir un lascar bedonnant d’origine polynésienne. Le roman devient l’un des chefs-d’œuvre du nouveau journalisme. Nicholson puis Scorsese voudront l’adapter. Mais il faudra attendre 1998, avec Johnny Depp dans le rôle de Thompson et Benicio del Toro dans celui d’Oscar. Malgré cette brouille d’ego, les deux compères resteront très proches, comme en atteste leur extraordinaire correspondance (la plupart de ces lettres sont entre les mains de Johnny Depp, fidèle de Thompson).

 

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Alan Rinzler appelle Oscar. L’éditeur veut le rencontrer. « C’était vraiment un chouette type. Je lui ai demandé pourquoi il n’écrirait pas son propre live. Au début il était réticent, mais ça a marché. » Acosta se remet à l’écriture. Exit le personnage fantasque, les drogues et l’alcool. Il prend la littérature très au sérieux. « Mon père séparait vraiment la drogue de son job. Quand il écrivait, il se levait très tôt, faisait du sport et travaillait pendant dix heures d’affilée », se souvient Marco. Il sera question de sa vie, de ses engagements et du racisme que subit la minorité latino. Ces réflexions donneront naissance à deux romans autobiographiques qui, aujourd’hui encore, font la fierté d’Alan Rinzler : « On était vraiment très contents du boulot accompli. Tant sur le style incomparable d’Oscar que sur le soin apporté à l’esthétique de l’édition. » À l’instar de Hunter S. Thompson, Oscar prend le parti d’écrire de façon instinctive, quasi animale, typique du journalisme gonzo. Mais, contrairement à son collègue, « la prose d’Oscar était beaucoup plus engagée et orientée par des interrogations sur son identité et ses origines ethniques », tient à souligner Héctor Calderón. Mémoires d’un bison et la Révolte des cafards seront publiés par Straight Arrow Press en 1972 et 1973.

 

Avant que ne sonne le glas

 

Le bonhomme ne fait rien comme tout le monde. Mourir ou faire le mort. Il choisit le mystère. 1974. Oscar est au Mexique, dans la ville de Mazatlán, sur la côte ouest, avant de disparaître des écrans radars. Son fils est le dernier à l’entendre : « Je suis sur un bateau avec une belle pelletée de drogue. Je reviens bientôt. Prends soin de toi. » Et voilà pour la fin d’un homme et d’un père qui, espère Marco, « est mort sans souffrir ». Un Hemingway de East LA qui, bon gré mal gré, a entretenu son propre mythe. Un aspirant américain de Riverbank, pétri de complexes et de certitudes, brut de décoffrage. Assassinat, suicide, complot politique… La fin d’Oscar ressemble à sa vie. Le meilleur, le pire, la brute et le soupçon. 1975. Hunter S. Thompson fait appel à un détective. Quelques semaines plus tard, la nouvelle tombe : « Il a été tué et balancé d’un bateau », explique Alan Rinzler. Aucune preuve, on ne saura jamais. Le mythe est là. Pour conclure, les derniers mots de Marco, à l’occasion de notre interview, se suffisent à eux-mêmes : « I hope the French public will have a better idea of this complicated personality. If the French understand and created Voltaire, Flaubert, George Sand and René Descartes, they no doubt will understand Oscar, this Mexican maniac and pugilistic Beast. »

 

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Article publié dans le dernier numéro de YARD PAPER.
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