Le Wu-Tang à la pointe du hip-hop d’aujourd’hui ?

Arrivé par la voie sinueuse de l’underground en 1993, la semaine dernière et plus de vingt ans plus tard le Wu-Tang Clan propose un double album inattendu mais cette fois, ils passent directement par la case musée. The Wu – Once Upon A Time In Shaolin deviendra donc le sixième opus de la bande à RZA six ans après 8 Diagrams, leur dernier effort collectif.

Pour célébrer, le Clan a fait appel à l’artiste Yahya qui a conçu un coffret en argent magistral pour accueillir ce disque, une pièce unique. Cette œuvre partira en tournée mondiale dans différents musées, galeries et fondations puis sera vendue aux enchères pour « quelques millions de dollars » espère RZA.

Hip-hop et art : mariage arrangé

Cette collaboration symbolise une évolution du hip-hop, genre qui imbriquait par nature les différentes disciplines qu’il abritait : rappeurs, danseurs, DJs, breakeurs, graffeurs pratiquaient joyeusement leurs passions dans la même cours. Mais depuis quelques années, les rappeurs s’éloignent de la street et naturellement ils tendent vers un art plus huppé et recherché même si les liens restent parfois très étroits.
En témoigne, l’amitié entre Pharrell et Kaws qui, pendant un moment a habillé le lifestyle et la démarche artistique de la moitié des Neptunes : Kaws a inscrit sa griffe sur la pochette du dernier album des Clipse, même chose sur la couverture dédiée au N.E.R.D. d’un numéro de Complex, dans le clip « Hot-n-Fun » il apparaît au volant d’une Rolls-Royce customisée par l’artiste et enfin lors d’un shooting photo de son penthouse à Miami, il exhibe sculptures, tableaux ou autres produits dérivés…

Pharrell Kaws

Une connexion qui se fait également avec Kanye West et qu’il multiplie avec d’autres acteurs comme Takashi Murakami et George Condo. Jay Z, leader parmi les leaders, entérine ce revirement notamment avec l’événement « Picasso Baby » où il s’est produit comme une œuvre d’art pendant six heures au Moma à New-York. Hova accumule dans ses textes les références à un art plus proche des galeries que de la rue, Drake n’hésitera pas à déclarer qu’il regrette l’importance que cela a pris dans ses lyrics.
Ce coffret de Yahya témoigne de la gentrification d’un genre dont les codes évoluent les années passants. Le hip-hop garde un pied dans la rue mais glisse un orteil de plus en plus gros dans la porte de l’ouverture et touche à d’autres styles, d’autres univers.

Cash Rules Everything Around Me

Ce double album événement du Wu-Tang semble être le point d’ancrage de la communication du très attendu A Better Tomorrow, sixième album du groupe sept ans après 8 Diagrams. Cette opération apporte un éclairage considérable à une époque où les réunions des anciennes gloires du hip-hop sont devenues peu excitantes. L’ampleur du projet offre une lumière valorisante qui laisse dans l’ombre l’amertume du goût laissé par 8 Diagrams et cette alchimie perdue.
À une période où le marché physique continue de dégringoler et que les ventes numériques peinent à combler ce manque, le hip-hop est le moteur de l’innovation au niveau marketing. En 2010, pour préparer son retour avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy, Kanye West offre chaque vendredi un inédit dont certains d’entre eux figureront dans l’album (« Power », « Devil in a New Dress », « Monster »…) et d’autres passeront à la trappe (« Christian Denim Flow », « Don’t Stop », « Chain Heavy »…). Une nouvelle manière de communiquer loin des sillons de la promotion médiatiques.

Kanye West - GOOD Friday

Jay Z se servira de la publicité et de la marque Samsung pour annoncer son dernier album qui donnera lieu à un spot digne d’un Avengers hip-hop avec au casting : Swizz Beatz, Pharrell, Rick Rubin et Timbaland. Un teasing concomitant avec une opération marketing unique où le premier million d’acquéreurs de différents modèles Samsung. Le Brooklynite n’hésite pas à associer son travail artistique à une entité commerciale à des fins clairement mercantiles. Une nouvelle force de frappe inexploitée à ce niveau. Enfin, dernier fait d’arme, l’album éponyme de Beyoncé sortie exclusivement en digital et sans aucune communication. Trois jours plus tard et plus de 800 000 opus vendus sur iTunes, elle casse tous les records et détrône Justin Timberlake et son 20/20 Experience de la première marche du podium. Une leçon qui montre qu’on peut faire plus que domestiquer cette jungle du numérique en l’utilisant à profit.

Même si le débat de la dénaturation du hip-hop est sur toutes les lèvres, le genre semble avoir trouvé son équilibre entre crédibilité, ouverture et économie. Promis à l’éphémère, cette stabilité a permis au hip-hop d’obtenir une pérennité commerciale et artistique. C’est grâce à ça qu’encore aujourd’hui « hip-hop is not dead ».

Dans le même genre