Les prodiges déchus du foot français : l’équipe-type
« Tournés vers les bleus chaque gosse rêve de ballon rond / Et d’être ballon d’or / Parmi les forts au talent hors norme / Amoureux de sport, chaque jour ils cherchent la performance / Comme une dernière chance pour qu’leur talent perce en France », pose Alcide H en ouverture du morceau « C’est pour toi qu’tu joues » (IV my people), bande-son simplette et moralisante du docu-série culte À La Clairefontaine. Fabrique ultime de prodiges, l’INF Clairefontaine a en réalité pouliné bien plus de futurs talents déchus, de Philippe Christanval à Hatem Ben Arfa, en passant par Jérémie Aliadière, Jacques Faty, Gabriel Obertan, Abou Diaby, Mourad Meghni ou Jimmy Briand, qu’elle n’a écrit de success stories, en l’occurrence celles de Nicolas Anelka, Thierry Henry, William Gallas, Louis Saha et Blaise Matuidi. Ils sont nombreux, ces jeunes surdoués du foot hexagonal, à s’être fracassés la mâchoire sur le chemin de la gloire, trop loin, trop long, bosselé, engorgé. Une violente bascule qui les conduit de la posture d’espoir national à celle de persona non grata. Pour ne pas oublier ceux qui auraient pu marquer l’histoire, nous avons sélectionné et réuni la crème de ces génies tués dans l’œuf pour composer une Équipe de France bis. Et elle a de la gueule.
Titulaires
Sébastien Frey
Hyper précoce, le joueur peroxydé n’a que 17 ans lorsqu’il garde ses premières cages de Ligue 1, sous les couleurs de l’AS Cannes, son club formateur. Courtisé par l’Inter Milan et la Juventus dès la fin de sa première saison, Frey plie finalement bagage pour la capitale lombarde. Prêté l’année suivante au Hellas Vérone, il explose, impose son style spectaculaire et son énergie mordante. Coqueluche du Calcio, le gardien barrera tour à tour les buts de l’Inter (de retour de prêt), Parme et la Fiorentina. Malgré ses prouesses transalpines, les sélectionneurs successifs de l’Equipe de France le bouderont à tour de rôle. Tout au mieux, Raymond Domenech lui offrira deux sélections, dont une délicieuse bourde face à l’Ukraine, et un poste de suppléant à l’Euro 2008. Sa blessure au genou en 2006 enrayera prématurément sa carrière. Il la poursuivra à Gênes (Genoa CFC) en 2011 puis à Bursa en Turquie, terre d’accueil des starlettes en fin de course.
Younès Kaboul
Champion d’Europe des moins de 19 ans en 2005 avec les Lloris, Diaby, Cabaye et Gourcuff, Younès Kaboul est de ceux qui jaillissent au-dessus du lot. Après seulement trois saisons à Auxerre, le défenseur rêve déjà de giga stades et embarque pour l’Angleterre. A Tottenham, malgré le flottement des débuts, il brille, enfile même à l’occasion le brassard de capitaine. Des pépins physiques l’éloignent des terrains pendant quelques temps et le privent, entre autres, de l’Euro 2012. En vérité, même bien portant, Kaboul ne réussira jamais à gagner sa place en Bleu. Et puis, le temps faisant, Mauricio Pochettino, l’entraîneur des Spurs, le colle de plus en plus au banc de touche. Younès n’est plus le bienvenu. Une brebie galeuse, chassée à demi-mot, qui n’a désormais plus qu’1 an pour trouver preneur ailleurs.
Philippe Christanval
Titulaire dès ses 20 ans dans une équipe de Monaco au casting étoilé, entre Willy Sagnol, Marcelo Gallardo, Ludovic Giuly, Thierry Henry et David Trezeguet, le Guadeloupéen est sacré la même année meilleur espoir de Ligue 1 par l’UNFP. Son transfert faramineux au FC Barcelone l’année suivante (près de 17 millions d’euros) s’avérera pourtant foireux. Si Christanval a l’élégance d’un Laurent Blanc, le nouvel entraîneur du club catalan, Louis van Gaal, le placardise rapidement. Bête noire du Barça, le libéro espère se relancer à l’OM. Là-bas, il se blesse, a du plomb dans l’aile. José Anigo, qui remplace Alain Perrin, n’en veut pas et le pousse outre-Manche, à Fulham. Puis rebelote, bobos et carences techniques. Il raccroche les crampons à 30 ans et se reconvertit dans l’immobilier à Londres. Son empreinte n’aura pas été si fugace puisqu’un stade porte son nom à Sarcelles.
Jacques Faty
Jacques Faty n’est qu’une toute jeune pousse lorsqu’il confie aux caméras d’M6, pour l’émission Capital, que Bologne et Rennes lui font les yeux doux. Il hésite, choisira finalement le deuxième. La chaîne a eu du flair ; grand espoir du foot français, Faty rafle la Coupe du Monde des moins de 17 ans en 2001 (avec Mourad Meghni, Florent Sinama-Pongolle et Anthony Le Tallec) puis la Coupe Gambardella en 2003 avec le Stade Rennais. Après deux saisons flambantes sous le maillot rouge et noir, il perd de son temps de jeu au profit de la paire John Mensah/Grégory Bourillon. L’OM le récupère en 2007 mais balaye très vite sa recrue vers le bas-côté. Dans le même temps, l’ex-bleuet décide de porter les couleurs du Sénégal plutôt que celles de la Douce France. Mis au ban, il finit par traîner sa carcasse dans des clubs de seconde zone, Sochaux d’abord, puis Sivasspor en Turquie, Bastia, Wuhan Zall (un club de D2 chinoise) et le Sydney FC aujourd’hui.
Marvin Martin
Marvin Martin fait ses gammes au FC Sochaux et foule sa première pelouse de Ligue 1 à 20 ans. Technique et clairvoyant, il tient le pavé après le départ de Dalmat. C’est en 2011 qu’il affole le microcosme footballistique. Meilleur passeur du championnat (le troisième au niveau européen) et révélation France Football de l’année, il pousse avec fracas les portes de l’Équipe de France. Aligné pour la première fois sur la feuille de match contre l’Ukraine, le jeune numéro 10 claque deux buts et une passe décisive. Pour sa première sélection aussi Zizou avait décoché un doublé. Il n’en faut pas plus aux médias pour s’empresser de le comparer au saint patron même Le Parisien s’interroge en Une : « Est-il le nouveau Zidane ? ». En vérité, Marvin a les épaules trop étroites pour tenir la comparaison. En 2012, il signe au LOSC mais peine à s’imposer dans le groupe. Pire, après deux opérations du genou l’an dernier, il repasse sur le billard en février et gèle donc sa saison. Surestimé sur une fulgurance, Martin n’aura finalement plus jamais étincelé.
Abou Diaby
Abou Diaby laisse un goût amer, qui traîne sur les lèvres et déchire le cœur, à l’évocation de sa carrière. Un talent hors-norme dans un corps de verre. Auxerrois pendant quelques poussières d’années, il rejoint les rangs d’Arsenal en 2006. Longiligne, agile et puissant, le joueur se pose en héritier de Patrick Vieira, ancienne gloire des Gunners. Mais voilà, à peine débarqué en Premier League, Diaby se fait sévèrement tacler et ne tâte plus le ballon pendant huit mois. Première blessure d’une série de 42 en l’espace de neuf ans, frappant ses ischio-jambiers, ses chevilles, ses mollets, ses adducteurs et ses ligaments croisés. Ahurissant. Malgré quelques coups d’éclats ici et là, comme ses performances à la Coupe du monde en 2010, ses saisons tournent trop court et sa carrière ne décolle jamais vraiment. L’avenir du milieu de terrain, en fin de contrat en juin, est incertain, entre un probable départ et une prolongation à Arsenal qui le paierait, cette fois-ci, au match joué. Malin le Wenger.
Gaël Kakuta
Un éternel espoir qui tarde à éclore. Très (trop) vite surnommé le « black Zidane » pour son aisance technique, Gaël Kakuta n’est encore qu’un gamin lorsqu’il file tout schuss, et dans le dos de son club formateur, le RC Lens, à Chelsea. Son parcours en Angleterre sent vite le soufre. Pro à 17 ans, l’International Espoir (il remportera notamment l’Euro 2010 des moins de 19 ans) n’a pas la maturité requise. En prime, une fracture de la jambe le terrasse pendant près de huit mois en 2009. Gaël déçoit, désillusionne. Chelsea le trimballe de prêt en prêt, entre Fulham, Bolton, Dijon, le Vitesse Arnhem, la Lazio Rome et, enfin, le Rayo Vallecano. Il ne mouillera pas une fois le maillot des blues en cinq ans. Mais le prodige n’a pas dit son dernier mot ; il retrouve un peu de sa superbe en Liga espagnole. L’AS Monaco, armée de son portefeuille gonflé, serait aujourd’hui sur le coup.
Mourad Meghni
Premier nom sur la liste des ex-futurs Zidane, Mourad Meghni avait de l’allure et beaucoup de potentiel. Seulement, sa carrière se sera émoussée aussi vite qu’elle s’était embrasée. Tout juste sorti de l’INF, le gamin est parachuté en Italie, à Bologne, à seulement 16 ans. Le natif de Paris ne trouvera en fait jamais ses marques en Série A. Prêté un temps à Sochaux, le Bologne FC le réutilise une saison avant de le larguer à la Lazio. Le meneur de jeu a alors 23 ans et, là encore, il rame. C’est au Qatar qu’il trouvera refuge, à Umm Salal, Al Khor puis Lekhwiya. Après plusieurs années de bons office pour les bleuets, il choisit la sélection algérienne sur le tard. Chouchou du public, il reprend des couleurs et de l’adresse avec les Fennecs. On croit en son retour en grâce mais ses blessures répétitives achèvent de saboter sa carrière. Laissé sur le bord de la route, Meghni regagne finalement en janvier la ville de son enfance et le Futsal Club de Champs, équipe de DH entraînée par son frère.
Hatem Ben Arfa
Les fées qui s’étaient courbées sur son berceau l’avaient pourtant bien gâté. Une pépite, un diamant brut, surclassé à ses 12 ans par l’INF Clairefontaine. Les plus grands clubs européens content alors fleurette à cet enfant-roi que l’on compare tantôt à Ronaldo, tantôt à Lionel Messi. Il posera finalement ses valises à Lyon, à 15 ans. La suite, on la connaît. Champion d’Europe des moins de 17 ans en 2004, quadruple Champion de France avec l’OL puis avec l’OM en 2010. Virtuose oui, mais irrégulier surtout. Son talent, gargantuesque, le submerge, l’engloutit. A vrai dire, il ne sait pas s’en servir. L’ailier peut enrhumer un jour à lui tout seul une défense, puis cirer le banc la semaine suivante. Ses expériences à Newcastle et Hull City tournent également au vinaigre. Egoïste, caractériel aussi, Ben Arfa s’embrouille systématiquement avec ses entraîneurs et coéquipiers. Sans club depuis janvier 2015, le franco-tunisien ne rejoindra finalement pas l’OGC Nice, à cause d’un imbroglio juridique. Le plus gros gâchis du football français.
Florent Sinama-Pongolle
Porté aux nues après l’Euro 2001 des moins de 16 ans puis, dans la foulée, la Coupe du Monde des moins de 17, qui le sacre meilleur joueur de la compétition, Florent Sinama-Pongolle a vite la tête qui tourne. Dans son euphorie, l’ado quitte à peine deux ans plus tard Le Havre pour le Liverpool de Michael Owen. Là-bas, concurrencé par Morientes et Crouch, l’attaquant n’obtient guère plus que des bouts de match. Après un crochet par les Blackburn Rovers, il signe alors en 2006 pour le Recreativo de Huelva. La Liga lui réussit plutôt bien, mais il ne percera jamais réellement. Le Réunionnais empile les contrats, pour l’Atlético de Madrid, le Sporting de Lisbonne, le Real Saragosse, Saint-Étienne, le FK Rostov, le Chicago Fire et enfin le FC Lausanne en janvier 2015. Mais la poisse lui colle à la chair et Sinama-Pongolle se blesse avant même de disputer un seul match avec son nouveau club.
Anthony Le Tallec
Le tandem offensif Sinama-Pongolle – Le Tallec, annoncé comme un combo Henry – Trezeguet 2.0, en met tellement plein la vue à la Coupe du Monde U17 de 2001 que Gérard Houllier chipe les deux d’un coup au club havrais. Le destin du breton, comme celui de son pote et cousin par alliance, est presque tout tracé. Jeune et un peu crédule, Anthony Le Tallec se fantasme l’Angleterre en terre promise ; la réalité sera tout autre. L’effectif surchargé de Liverpool le laisse sur la touche et le club le prête à tour de bras, à Saint-Etienne, Sunderland, Sochaux puis Le Mans, qui lève l’option d’achat. Une relégation en L2 plus tard, l’avant-centre file à l’AJ Auxerre, qui dégringole à son tour en deuxième division. Là aussi, il décampe et s’engage avec Valenciennes. Sa nouvelle équipe descendra également mais, cette fois-ci, il y restera. Le joueur erre depuis dans l’antichambre de la Ligue 1.
Remplaçants
Charles Itandje
Charles Itandje était un bleuet prometteur avant de devenir un lion indomptable. Passé du RC Lens à Liverpool, il s’est depuis exilé en Turquie, à Konyaspor, après un détour par la Grèce. Du portier franco-camerounais l’on retient surtout ses pas de danses déstabilisateurs au moment des penaltys et puis ces clowneries, malvenues, lors d’une cérémonie-hommage au drame d’Hillsborough en 2009.
Grégory Vignal
Grégory Vignal bluffe Gérard Houllier à l’Euro 2000 des moins de 19 ans, dont il soulève la coupe. Enrôlé à Liverpool, le défenseur brille d’abord, avant de se faire croquer par la concurrence. Bourlingué ensuite du SC Bastia au RC Lens, en passant par Rennes, l’Espanyol Barcelone, les Glasgow Rangers, Portsmouth ou encore Southampton, il finira par atterrir, après une carrière en dents de scie, à Béziers, en CFA.
Stéphane Dalmat
Un phénomène au départ, précis et percutant, mais instable et décevant. Stéphane Dalmat change de maillot comme de slip, passe très rarement plus d’1 an au sein d’un même club. Au total, il en connaîtra une dizaine dans quatre pays différents. Ses ratés lui valent même d’être nominé à cinq reprises au trophée parodique du Ballon de Plomb (Les Cahiers du football). Usé par une carrière gâchée, le milieu de terrain prend sa retraite en 2012.
Camel Meriem
Lui-aussi avait, parait-il, l’étoffe d’un Zidane à l’aube de sa carrière. Débarqué du FC Sochaux aux Girondins de Bordeaux en mini-star à 23 ans, Meriem ne cessera plus, depuis, de décevoir. Le numéro 10 aux deux pieds traîne ses faiblesses sur les terrains de l’OM, l’AS Monaco – où les supporters le surnomment Casper -, l’Aris FC (en Grèce), l’AC Arles-Avignon, l’OGC Nice et enfin L’Apollon Limassol FC (à Chypre).
Vincent Pericard
Une vaste blague cédée à la Juventus de Turin à 17 ans pour près de 8 millions d’euros, sans avoir joué, ou presque, un seul match en L1. Les médias font alors leurs choux gras du pseudo petit génie ; l’émission Les Sept Péchés Capitaux ira jusqu’à titrer « L’homme qui vaudra des milliards » un reportage qui lui est consacré. Viré de la Juve après trois saisons creuses, Pericard chauffera successivement le banc de neuf clubs britanniques. Il mettra finalement un terme à sa carrière trois mois après avoir signé à Havant & Waterlooville, une équipe de sixième division anglaise.
Julien Faubert
Homme-clé des Girondins de Bordeaux à 20 ans et des poussières, son transfert à West Ham amorce une série noire au long cours. Le club anglais le prête au Real Madrid où il fait pâle figure, le récupère, l’encense puis le rejette, avant de couler en deuxième division. Faubert joue quelques mois en Turquie avant de retrouver Bordeaux qui, fidèle, se refuse à laisser tomber son ancien prodige.
Gabriel Obertan
Recruté par les Girondins de Bordeaux à seulement 16 ans, Gabriel Obertan, explosif et habile, est alors pressenti comme un grand espoir. En réalité, le milieu bleuet cristallise des attentes qu’il ne saura jamais satisfaire, oscillant en permanence entre insuffisances et fulgurances, à Lorient comme à Manchester United ou Newcastle, son club actuel.
Jérémie Aliadière
Flairé comme un futur crack, Jérémie Aliadière cède dès ses 16 ans aux sirènes de l’étranger. Il soulève les premières polémiques médiatiques autour des enfants-stars expatriés. À Arsenal, il n’émergera jamais, étouffé par une concurrence qui fait rage. Après avoir enchaîné les prêts, l’attaquant renaît plus ou moins à Lorient avant de s’exiler au Qatar, à Umm Salal. Une carrière en demi-teinte, barrée par une tripotée de blessures.
David Bellion
Pétri de talent, Bellion attire l’œil de Sunderland puis de Manchester United et de l’éminent Alex Ferguson. Le reste est moins glorieux, The Flying French Man (« le français volant ») ne saillira jamais outre-Manche et rentre en France à 24 ans. Il ronge son frein à Bordeaux (malgré des débuts prometteurs) puis, sept saisons faméliques plus tard, snobe les appels du pied des qataris et rejoint le Red Star, en National.
Autant de destins brisés portant en épitaphe : « Tout ce qui brille n’est pas or ».