Leys, rappeuse d’un autre temps, cherche sa place aujourd’hui

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Invitée régulière de Planète Rap, apparue chez Red Binks et Rentre Dans le Cercle, Leys cherche à faire sa place dans le milieu du rap français. Un peu plus aiguisée à chaque nouvelle apparition, la rappeuse aux 1001 freestyles pourrait bien forcer des portes qui ne lui sont, pour l’instant, qu’à moitié ouvertes. Rencontre. 

Photos : Yoann Guerini

Leys ne fait pas dans la dentelle. Repérée par Chilla, KPoint, Marwa Loud ou encore Hayce Lemsi, celle dont le flow pétarade de freestyles en freestyles a déjà ouvert un Zénith, bombarde Instagram de rimes et promet une sortie de projet pour très bientôt. Dans la plus pure tradition rap, Leys a fait le choix de travailler pour sa place, sans prendre les raccourcis propres à l’époque.

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« J’en ai rien à faire, j’suis Makelele », lançait Leys dans un Planète Rap qu’on n’était pas prêts d’oublier. Leslie, de son vrai nom, est née en 1997 à Verdun, mais c’est de la scène rap de Reims qu’elle est aujourd’hui la figure de proue. D’origine congolaise et centrafricaine, Leys est la plus jeune de sa fratrie et l’un de ses frères est aujourd’hui son manager : il l’accompagne pendant l’interview, bienveillant. C’est donc à Reims que s’est installée la famille, une ville qui peine à mettre son nom sur la carte et à pousser ses rappeurs locaux : « Quand je ne faisais pas encore de rap, il y avait beaucoup de rappeurs mais ils ont arrêté depuis. Au début, j’ai commencé à enregistrer dans un studio de ma ville mais en fait je n’aime pas trop la mentalité d’ici. Les gens aiment avoir la lumière sur eux mais pas sur les autres, il n’y a pas d’entraide. Sur les réseaux, Reims est la dernière ville à me suivre, alors que la plupart des gens me connaît. Il y a une forme de retenue. Ça ne s’est pas toujours bien passé alors j’ai préféré travailler avec ceux de Paris, ça m’a beaucoup plus fait avancer. » 

« Les gens de mon quartier qui m’insultaient au début ont fini par venir me demander des dédicaces »

Ainsi sa performance en première partie de Kery James au Zénith de Paris se passe plus que bien et tout porte à croire que la jeune artiste a ça dans la peau. C’est que Leys est une habituée du micro, sorte de partenaire de vie depuis ses seize ans. « En fait, on avait organisé un rendez-vous avec les gens du quartier parce qu’on voulait monter un groupe. On était allés se caler chez l’un d’entre nous, j’avais ramené un texte écrit sur une feuille que j’avais posé sur une instru de Nicki Minaj, et on m’avait dit que c’était bien ! On jouait à écrire des sons. » La future MC s’amuse même à poster des vidéos où elle chante sur Facebook et YouTube, à ses risques et périls. « On croyait que ce qu’on faisait c’était bien, on était dans le déni total ! Avec une amie, on avait partagé une vidéo de nous en train de faire une cover de ‘Where Have You Been’ de Rihanna en criant : tout le monde nous avait insultées, ma pote ne voulait même plus retourner au lycée après ça. Le pire, c’est que j’avais perdu les codes et que je ne pouvais pas la supprimer ! Mais parmi tous les commentaires qui nous clashaient, certains ont vu qu’il y avait quelque chose à faire. » Qu’à cela ne tienne, après cet épisode, les étoiles finissent bel et bien par s’aligner. Il aura suffit d’un freestyle filmé dans un parc pour que Leys trouve sa voix et ne s’arrête plus jamais. « Les gens de mon quartier qui m’insultaient au début ont fini par venir me demander des dédicaces », ironise-t-elle. Et même s’il faut apprendre encore, entendre sa voix enregistrée en cabine pour la première fois — une étape parfois déroutante — dans le home studio improvisé d’une connaissance, sans surprise, Leys est à l’aise, et le rideau s’ouvre. 

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« Quand ma première manager m’a contactée, on a fait un clip… Il était nul, mais c’était pro ! Donc j’étais contente. On est souvent insouciants quand on ne connaît rien sur le milieu. On se dit : ‘Ah bah ouais, là je vais percer’, alors que pas du tout ! » En effet, tout ne se passe pas comme prévu et l’industrie de la musique qui semblait lui avoir déroulé le tapis rouge est en fait loin d’être un long fleuve tranquille. « J’ai mis du temps à prendre conscience de certaines choses. C’est une compétition et il faut garder ça en tête. Je ne suis pas du genre à voir le mal partout mais dans cet environnement, beaucoup de gens peuvent prendre ta force. » Rappeuses comme rappeurs, « c’est dur pour tout le monde » soupire Leys. Pourtant, l’artiste en herbe ne passe pas inaperçue et se fait vite remarquer par Fababy, chez qui elle signe son premier contrat. Et lorsque ce dernier partage un freestyle de la rappeuse, les vues explosent. Leys performe alors dans Rentre dans le cercle, accompagnée de son frère, qui, comme toujours, veille sur elle. « J’ai besoin d’avoir de bonnes ondes autour de moi, sinon c’est mort. J’étais un peu stressée mais c’était un truc de ouf. » Sur scène comme à la maison, la jeune artiste enchaîne les plateaux d’émissions. « Après ça, les gens se mettent à croire en toi. » Leys la première n’a jamais cessé d’avoir confiance, travaille dur à accroître ses skills et multiplie les punchlines marquantes. « Mon flow commence à me satisfaire » écrit l’artiste… 

« Le rap, c’est ma marque de fabrique »

« Je me suis vue m’améliorer. Au début, je rappais bien mais je n’arrivais pas à m’écouter. Puis, j’ai appris à faire des sons, ce qui est toute autre chose. En allant au studio plus souvent, je suis parvenue à structurer mes morceaux. J’ai appris à poser sur des vraies prods et pas sur des typebeats. Je ne demande plus l’avis de tout le monde avant de faire un post sur Instagram, désormais, si je poste un freestyle, c’est parce que moi je le trouve lourd. » D’ailleurs, quand on interroge la rappeuse sur son freestyle « Optimum », véritable condensé de réflexions tenaces et de rimes qui tapent, elle nous répond : « ‘Optimum’ signifie ‘meilleur’ en latin… Parce que je suis la meilleure. Ce n’est pas pour faire la meuf, il y a plein de rappeuses super fortes, mais je sais que je peux encore faire beaucoup mieux et je suis très productive… » Et si Leys a su démontrer son savoir-faire en matière de mélodies et de toplines, comme dans ses titres « Sommet » et « Bad Gyal », le rap demeure et demeurera « [sa] marque de fabrique ». « Avant, quand j’entendais d’autres artistes changer de style, je ne comprenais pas, maintenant, je sais qu’on ne peut pas faire tout le temps la même chose. Mais j’ai besoin de garder des parties rap pour montrer que je n’ai pas changé.  » À son instar, les artistes d’où Leys tire ses influences se distinguent par leur naturel et leur force de caractère, et sont le plus souvent des artistes internationaux — une façon pour elle d’élargir ses connaissances et de minimiser son attention sur la concu. « J’observe beaucoup le travail de la rappeuse allemande Loredana, j’aime son charisme de garçon manqué, elle utilise ses propres armes. »

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Leys aussi possède ses propres armes fatales, « le fond et la forme », et a su s’emparer de l’art de la pointe jusqu’à embarquer toute sa famille avec elle. Soutenue au jour le jour par sa mère, Leys plaisante : « Ils attendent que ça explose. Ma mère regarde mes freestyles en boucle et elle me dit : ‘Il faut que ça fasse des vues’, j’en peux plus ! » Et alors que les conditions sont plus mauvaises que jamais, des festivals annulés aux sorties de projets repoussés, Leys continue de faire son petit bonhomme de chemin. Et même si on ne la verra finalement ni au Printemps de Bourges ni au Cabaret Vert cette saison, son single « Sortir de la tess » vient de paraître et l’artiste ne cesse de puiser l’inspiration et de la recracher sur Instagram dans des freestyles qui frôlent toujours plus la virtuosité. « Je ne me force plus à rien. Je suis à 200% focus sur ma musique et je veux faire des sons qui me ressemblent. Vous devriez rester branchés… » 

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