Lil Boosie, l’antihéros de la rue

Dans un microcosme rap truffé de paradoxes, où un ex-gardien de prison jouer les barons de la drogue sans que cela ne surprenne qui que ce soit ; l’être et le paraître se révèlent indissociable, le premier venant sans cesse justifier le propos du second dans un cadre établit de « street credibility ». C’est cette aura, reposant sur les actes de l’homme au détriment des paroles de l’entertainer, qui amène un certain public à admirer l’artiste « honnête », rejetant au passage tous ceux qui s’imagineraient un vécu fictif, faisant fi de toute qualité artistique.

A la fois si loin et si proche de cette course effrénée à l’authenticité, Torrence Hatch est depuis sa tendre enfance plongé dans un quotidien que beaucoup seraient tentés d’affabuler dans leurs écrits. Entre un père décédé au cœur de son adolescence et une éducation faite au milieu d’un univers gangrené par le banditisme, le petit Torrence emprunte comme beaucoup d’autres avant lui la voie du rap pour relater sa propre expérience de la vie et de son milieu, sous le pseudonyme de Lil Boosie. Par la sincérité qui en transparait au fil de chaque rime, cette expérience permet rapidement au emcee à la voix criarde de se forger une solide réputation dans le sud des États-Unis et plus particulièrement dans sa Louisiane natale. Et dans le même temps, d’entretenir le fantasme naissant qui plane peu à peu autour de ce personnage faisant partie intégrante de la dure réalité qu’il retranscrit telle quelle dans ses morceaux.

Lil-Boosie-Wit-A-Gun-lil-boosie-16370676-800-527

D’autant que des démêlés judiciaires viennent sans tarder rythmer la progression vertigineuse du petit Boosie, et légitimer un peu plus son statut. Ses soucis avec la justice sont tout d’abord mineurs : en 2008, il écope de deux ans de prison pour possession d’arme et de marijuana, puis voit sa sentence doubler pour avoir violé sa conditionnelle. Incarcéré dans le pénitencier d’Angola, il se retrouve à nouveau nez-à-nez avec le juge après avoir tenté d’y amener en contrebande de la codéine, ingrédient clé du « sizzurp » dont tant de rappeurs sont friands, et de l’herbe, à nouveau. Dès lors, ce n’est plus 4 mais 8 ans que Boosie devra passer derrière les barreaux.

Néanmoins, les choses prennent une tournure plus grave lorsque Boosie est accusé d’avoir commandité le meurtre de Terry Boyd… par le meurtrier lui-même. Un témoignage qui demeurera toutefois le seul « indice » culpabilisant Lil Boosie. Qu’à cela ne tienne, le rappeur risque alors la peine de mort et le procureur entend fermement démontrer qu’il est bel et bien coupable en s’appuyant sur ses propres textes. Plusieurs de ses titres sont donc écoutés par le jury au cours de l’affaire. Parmi eux, on retrouve « Bodybag » ou encore « 187 », dont l’intitulé, bien que faisant effectivement référence au meurtre, apparaitrait presque comme « banal » dans un milieu où le terme est employé relativement naturellement.

3 ans se dérouleront avant que le jury ne déclare finalement Torrence Hatch non coupable. Il effectuera 5 des 8 années de prison pour lesquelles il était condamné, avant d’être libéré en mars 2014. Boosie, endurcit par une demi-décennie d’emprisonnement et plus respecté que jamais, reprend alors la direction de son fief natal, Bâton-Rouge. Une ville dans laquelle il faisait déjà figure d’emblème par son statut de porte-drapeau de la rue, mais pas seulement.

Le bon samaritain de Bâton-Rouge

Car il ne faut pas s’y tromper, dans les allées de la capitale louisianaise, Boosie demeure Torrence Hatch et ferait presque office de citoyen modèle. Adopté par la quasi-totalité de la ville, des plus jeunes aux plus anciens, Hatch y est tantôt le grand frère des enfants des quartiers, tantôt l’habitant s’investissant corps et âme dans la vie de la communauté ; le tout en étant un père de famille veillant tendrement sur ses 7 enfants.

boosie-with-kids

Ainsi, lorsque Boosie se présente devant le juge pour répondre de ces accusations, son combat n’est en aucun cas lié à la rue. Le ghetto, Boosie y est né, Boosie y a grandit, Boosie le respire. Jamais il n’a été question pour lui d’en jouer pour le simple besoin de l’image. Non, si Torrence Hatch vient à la barre, c’est pour y défendre ses valeurs et son intégrité, tant humaines qu’artistiques, au-delà même de ses jours, qui sont alors clairement mis en danger, juridiquement parlant.

À l’heure où nombreux sont les rappeurs qui ne manquent jamais une occasion de glorifier leur casier judiciaire, certains prenant même la peine de l’exhiber dans leurs clips, Lil Boosie est catégorique : la prison n’est et ne doit en aucun cas être utilisée en tant que faire-valoir. Du coup, voir l’admiration de ses fans décuplée par son séjour carcéral relève à ses yeux du délire pur et simple : « Personne ne veut aller en prison et traverser les épreuves que j’ai eu à traverser. La prison n’est pas un endroit pour les humains ; c’est une animalerie, rien de plus. Tu ne veux pas infliger une telle souffrance à ta famille. »

Quant à sa musique, il estime qu’elle a été diabolisée par la justice de l’État de Louisiane. D’après lui, la violence qui en ressort n’est ni gratuite, ni vaine : « Certaines de mes musiques sont violentes, mais pas toutes. J’ai des morceaux à propos de Dieu, de mes enfants, ou disant aux autres gamins d’aller à l’école et de rester sur le droit chemin. Mes titres violents aident les jeunes à s’éloigner de la rue parce que ça les effraie ».

Si l’on dit souvent que la prison change un homme, l’adage prend tout son sens quand il s’agit de Boosie. Bien qu’il ne soit pas question d’une transformation radicale, le rappeur désormais âgé de 31 ans semble bel et bien s’être assagit. Fini désormais les « Fuck The Police » aboyés au milieu d’un titre, ou encore les armes exposées à outrance dans ses clips. Bien conscient de l’influence de sa voix sur la jeunesse de Bâton-Rouge, l’artiste entend désormais mettre sa récente expérience à profit. Dans un premier temps en allant faire part de son histoire auprès de lycéens, puis en entreprenant en parallèle la rédaction prochaine de son autobiographie. Et bien évidemment, en se reconcentrant enfin sur son art.

Le « reality rap » comme exutoire

Toutes les péripéties rencontrées par le Louisianais venant systématiquement reléguer sa musique au second plan, on en oublierait presque que Boosie fut, avant ses ennuis judiciaires, l’une des valeurs montantes du hip-hop du milieu des années 2000. Alors adoubé par des anciens tels que Pimp C, il constitue à cette époque l’un des plus dignes représentants de la « bounce music », un style musical pourtant originaire de la Nouvelle-Orléans. Bun B les perçoit même, lui et son fidèle acolyte Webbie, comme les dignes successeurs d’UGK.

Suivant les traces de Tupac, dont il parvient à tenir l’élogieuse comparaison, l’artiste détonne par son « reality rap » pouvant aussi bien faire bouger les têtes qu’émouvoir l’auditeur. Et d’après lui, c’est cette caractéristique qui le différencie du restant de la scène rap, et qui justifie son désintérêt de celle-ci : « Je n’écoute personne à part Boosie. Je pars juste m’enfermer dans mon studio et je bosse. Si j’écoutais quoique ce soit d’autre, je rentrerais dans la même catégorie de ce que l’on peut entendre en radio. Dans toutes les musiques que tu peux entendre, tout le monde est riche, tout le monde est dans les toutes les soirées. Plus personne ne parle de cette douleur, de cette lutte quotidienne qui précède le succès. Et c’est là-dedans que je suis bon. Je parle de ce qui se passe dans la vraie vie. »

Comme une preuve de sa côte restée presque intacte dans la tête des autres artistes, dès qu’il fut libéré de son établissement pénitencier, Lil Boosie fut directement convié par 2 Chainz, sur l’un des morceaux de son EP Freebase. Entre les noms pourtant très en vogue que peuvent être A$AP Rocky ou Ty Dolla $ign, c’est celui de Boosie qui retient l’attention d’un public pressé de pouvoir constater ce qu’il reste de lui après tout ce temps. Sur le titre « Wuda Cuda Shuda », produit par Mike Will Made It, il signe un couplet sans fioritures, évoquant essentiellement la prison et les quelques « haters » qui voulaient l’y voir rester.

Mais peu importe la qualité de ce couplet, le moment est symbolique puisque qu’il vient officiellement marquer son retour dans le paysage musical. Un retour directement prolongé par le double-album Touchdown 2 Cause Hell, son premier véritable projet depuis 4 ans, initialement prévu pour le 15 juillet, mais finalement repoussé au 23 septembre. Toutes les heures passées seul dans sa cellule auront donc eu le mérite d’accroître sa créativité, comme il le confiait déjà en janvier 2013 : « J’ai déjà écrit près de 500 morceaux pour le moment. Je me sens prêt à retourner en studio avec les meilleurs producteurs. Je sens que je suis en train réaliser la meilleure musique que je n’ai jamais faite. Plus j’avance dans ma vie, plus ma musique s’améliore. Et ça a été assez fou au cours des 3 dernières années. » Cela sera t-il suffisant pour lui permettre de retrouver une place de choix dans le roster US actuel ? Les premiers éléments de réponse se dessinent dès maintenant.

Dans le même genre