Mabel : it’s a London thing
Il y a maintenant deux ans, Mabel faisait son apparition avec un premier titre « Know Me Better« . Un morceau sorti en plein coeur et en accord avec une période de revival du RnB des années 90-2000. Et quand on la découvre un an plus tard, dans le clip de « My Boy My Town », ses long cheveux plaqué en arrière, sa brassière Calvin Klein et ses larges créoles, on croit presque revivre cette époque dorée. Aujourd’hui, Londres a définitivement une place de choix dans le genre avec Mabel, Jorja Smith, Jones, Nao, Raye, Ray BLK, Bonzai, Sinaed Harnett, Jacob Banks ou encore Ella Mai. La liste est longue. Il ne s’agit plus là d’un revival, mais d’un son totalement contemporain. Quand on la rencontre quelques heures avant son premier concert à Paris, elle ne semble pas alarmée par cette cohorte qui joue dans sa catégorie, bien au contraire : « Je ne le vois pas comme un désavantage qu’on soit plusieurs à faire du RnB. C’est positif, on peut tous se nourrir les uns les autres, c’est motivant d’être entouré d’autant de personnes créatives. » Une synergie qui opère dans un petit monde qui s’est formé dans cette grande mégalopole. Tous le monde se croise et collabore. On a d’ailleurs aperçu Mabel dans le clip aujourd’hui iconique de Skepta : « Shutdown ».
Mabel grandi entre Londres et la Suède, pays d’origine de sa mère, Neneh Cherry. Là-bas, elle tombe amoureuse du RnB en zappant sur MTV et en écoutant les disques de ses grands frères et soeurs. Rentrée à Londres il y a quelques années, elle découvre une ville en pleine effervescence autour d’une identité musicale qui semble lui correspondre bien plus que les sons indies plébiscités dans son école de musique à Stockholm. Elle rencontre la scène Grime et voit de ses yeux son ascension vers un succès global, de Londres à Coachella dans le désert de Los Angeles. « C’est fou d’être à L.A. ou New York et d’entendre Skepta ou Stormzy. Personne ne pensait que la Grime allait exploser. Je suis juste heureuse que ça se produise et je pense que ça a ouvert tout un monde de possibilité pour des gens comme moi. Je ne pense pas être coincée dans la catégorie ‘British Sounds’, c’est juste de la musique. J’ai l’impression que les frontières sont de plus en plus floues. Par exemple, tous les titres de More Life de Drake sont anglais [rires] Tu vois ce que je veux dire ? […] Je pense que c’est très excitant, pour l’Angleterre. Parce que, bien sûr, on a toujours fait de la bonne musique. Je crois que le monde nous regarde enfin correctement pour la première fois. Et je suis très contente de faire partie de cette vague. »
« On a toujours fait de la bonne musique [en Angleterre]. Je crois que le monde nous regarde enfin correctement pour la première fois. Et je suis très contente de faire partie de cette vague. »
Deux ans après la sortie de son premier titre, on pourrait s’attendre à ce que Mabel sorte enfin un premier album pour concrétiser toutes les attentes qui pèsent sur elle. Mais elle prend son temps : « Je ne pense pas être prêtes pour ça. Certaines personnes arrivées là où j’en suis, pourrais l’être. Mais j’écoute beaucoup d’albums du début à la fin, avec des interludes, qui racontent toute une histoire. C’est un vrai truc pour moi. Il m’a fallu tout un voyage pour en arriver là. Au début, je me disais que j’allais attendre et sortir l’album quand je serais prête, dans un an ou deux. Et puis je me suis dis que les gens voudraient savoir comment je suis passée de A à Z, parce que j’étais très jeune quand j’ai commencé à sortir de la musique. Et des gens m’observaient alors que j’expérimentais encore. C’était difficile : je sortais des titres et j’étais très jeune et je n’avais pas encore décidé de ce que je voulais faire. Mais il y avait des gens pour te juger parce que tu sors quelque chose de différent, genre : ‘Ca n’a rien à voir avec ton dernier son !’ Et ils veulent que tu fasses la même chose, encore et encore. » En attendant, elle sort des mixtapes réunissant des « vieux titres et quelques nouveaux titre, pour montrer quelle direction prend [sa] musique. En espérant que ça donne une idée d’où l’album va se diriger. C’est comme un aperçu. » D’abord « Bedroom », et quelques jours après notre rencontre « Ivy and Roses ». Une compilation de ses titres préférés, qui se démarquent de son précédent projet par une teinte caribéenne propre à Londres. « La mixtape s’appelle ‘Ivy and Roses’ pour symboliser le fait que j’ai grandi ces dernières années. Et les choses que j’ai traversé : les relations merdiques, les bonnes, la famille… j’ai traversé des choses assez difficiles. Mais voilà. Et du lierre [Ivy en anglais, ndlr] a commencé à pousser dans ma chambre, sur mes affaires […] C’est vraiment bizarre. Je me disais ‘Ah c’est un signe’. Et j’avais déjà une chanson qui s’appelait Ivy. Je me suis dis que j’allais devoir appeler ma mixtape comme ça. »
« Je n’ai pas honte de dire que je suis super ambitieuse et que j’ai envie de gagner des Grammys et de sortir des albums. »
De prime abord, les relations amoureuses sont encore le thème principale de ce projet : « Je pense qu’évidemment, tous le monde aime l’amour et que c’est un thème important pour tout le monde, on veut être aimer etc. » Mais elle tient à préciser qu’il faut aller au-delà de cette première lecture. « J’ai juste envie d’ouvrir une discussion là-dessus. Etre honnête avec les choses qu’on traverse tous les jours. Et je me sens chanceuse d’avoir grandi à cette époque, de femmes indépendantes, de ‘Survivors’, où des femmes m’ont dit que je n’avais pas besoin de quelqu’un d’autre ou d’aimer pour être heureuse. Et j’ai envie de continuer de porter ce message : c’est marrant de s’amuser et d’aimer. Mais beaucoup de mes titres concernent aussi ma relation avec moi-même. » Ses morceaux, elle les écris tous d’expérience, aidée par une hypersensibilité qui lui était difficile de gérer plus jeune. Chose rare, ses parents détectent très tôt l’anxiété qui l’affecte et dans le même temps la rassure. « Mes parents l’ont vu comme une bonne chose. Ils m’ont dit ‘Tu es plus ouverte, tu ressens les choses’. Je n’aurais pas pu faire ce que je fais aujourd’hui si je n’étais pas aussi sensible. Parce que je récupère tout autour de moi, et je pense que c’est assez inhabituel pour un enfant. Mais il y aussi beaucoup d’enfants qui vivent la même chose et qui ne le comprennent pas. Je crois que j’aime parler de ça parce qu’il y a des enfants, des adolescents ou même des adultes qui se sentiront plus encouragé à parler de ça eux-même. C’est important pour moi de parler de maladie mentale, ou que d’autres en parlent, parce que j’ai l’impression que c’est ce qu’on devrait faire. En parler. » Comme une façon de faire reconnaitre son existence et de l’accepter. « Et aussi de savoir qu’on peut en faire quelque chose de positif, parce que c’est ce que j’ai fais avec ma musique. » Une musique qui se nourrit aussi de ses racines : « Je suis métisse et j’ai beaucoup d’héritages culturels qui se mélangent. Et je pense que c’est une vraie force pour moi, parce que j’ai tous ces endroits, où je peux trouver de l’inspiration. Ma mère est suédoise, de Sierra Leone et mon père est anglais. »
Aujourd’hui, elle a appris à gérer cette anxiété et à la transformer en une assurance qui se traduit dans ses titres, dans ses vidéos et dans ses photos. « J’ai une vision très claire de qui je suis. Un grand moment de réalisation pour moi, une grande épiphanie, a été de comprendre que je ne pouvais pas tout faire et qu’il fallait que je m’entoure d’une équipe en qui je puisse avoir confiance. J’ai une vision, il l’a comprenne et je leur fait confiance pour la réaliser. Faire confiance ça a été un gros truc. Mais oui, j’ai une esthétique très claire. Ce n’est pas un truc sur lequel je me suis posée et que j’ai décidé. Donc je ne pourrais pas te la décrire. C’est juste qui je suis, et qui j’ai toujours été. »
Enfin, quand on lui parle de l’avenir, elle nous répond : « J’essaie de ne pas trop réfléchir. J’ai juste envie de vivre le moment et de me concentrer sur les bénédictions qui se présentent aujourd’hui. Je n’ai pas envie d’accomplir ces grandes choses et d’ensuite être en colère contre moi-même parce qu’elles n’arrivent pas assez vite. Je n’ai pas honte de dire que je suis super ambitieuse et que j’ai envie de gagner des Grammys et de sortir des albums. Je vis déjà mon rêve, donc… »
Photos : @lebougmelo