Mac Miller, the mourning after
Mac Miller s’est éteint ce vendredi 7 septembre, d’une overdose d’opiacés, dont il essayait de combattre l’addiction depuis des années. Il y a deux ans, le rappeur confiait à The FADER qu’il n’y avait rien de légendaire à mourir d’une overdose. Dramatique décès pour celui dont l’humilité sans borne avait touché le cœur de tous ceux qui le connaissaient, de près ou de loin.
Précoce, en tous points. Avec des titres comme « Nikes On My Feet » ou « Donald Trump », Mac Miller est arrivé à 18 ans dans l’univers du rap, bouillant et insouciant, marquant dès 2010 un auditoire très large. Depuis vendredi, les hommages de fans et d’artistes pleuvent. Tous sont plus déchirants les uns que les autres. Les voix s’accordent toutes pour évoquer la personne de Malcolm James McCormick, sans aucun doute plus attentionnée envers les autres qu’envers elle-même. Mac Miller, « known and adored » comme l’annonce sa famille, suscite une tendresse très nettement générale. Chez les fans, ce sont tantôt les années d’adolescence qui remontent avec mélancolie à la surface, tantôt leur attachement si particulier à cet artiste qu’ils ont vu grandir qui devient douloureux. Chez les artistes, ce sont des anecdotes lumineuses de mains tendues et de collaborations qui ne cessent d’être mentionnées. Chance the Rapper lui doit sa deuxième tournée et le lancement de sa carrière. Juicy J se souvient avoir organisé la fête de son 18e anniversaire. Post Malone en retient l’inspiration considérable qu’il a été, sa gentillesse extrême et leurs parties de beer pong – ils préparaient d’ailleurs un album ensemble. G-Eazy et Childish Gambino lui ont tous les deux consacré, durant leurs concerts récents, une chanson hommage, un moment pour lui dire un dernier « je t’aime et au revoir ». Macklemore et d’autres se souviennent de sa présence quand ils devaient, eux aussi, faire face à des moments de détresse.
Mac Miller semble être de ceux dont la simple vie suffisait à répandre de l’amour et de la force. En tant qu’artiste, il n’a cessé de se livrer de manière très personnelle au monde. Il nous a tout donné : ses années d’insouciance, où il donnait des pourboires accidentaux de 1000$ aux strip-teaseuses, comme les moments plus sombres évoqués quasi continuellement dans ses morceaux ou ses interviews. Lorsqu’il se hissa tout en haut du Billboard 200 avec son album Blue Slide Park, premier album indépendant à cette place depuis celui de Tha Dogg Poung en 1995, le rappeur prit immédiatement le recul pour y reconnaître la direction dans laquelle il allait et ses maladresses musicales. C’était là une autre de ses forces. Déterminé, il faisait déjà preuve d’une grande maturité d’esprit et d’une étonnante humilité, qui dessinèrent toute sa carrière. L’inattendue courte décennie d’activité du rappeur se définit en effet sous le signe de l’honnêteté intellectuelle, ce qui a sans doute contribué à créer cette unanimité rare auprès de l’audience. Une bonne foi qui l’effaça aussi, parfois, dans un rap jeu où la mise en scène crée l’attente et le succès. Encore hier, quand la question de l’importance du contrôle de son image lui est posée dans un long entretien intime avec Vulture, il répond : « Maybe I’m wrong. Maybe that’s just a game that I haven’t gotten into playing. »
Chaque nouvelle production de Malcolm était le témoignage d’une nouvelle personne, parfois grandie, souvent abîmée, aucune ne ressemblant à la précédente. En écoutant Mac Miller, on embrasse l’homme que l’on peut lire comme dans un livre ouvert. On embarque dans une intimité profondément hantée d’angoisses, de fragilités, de dépendances. Chacune de ses manifestations était le résultat de beaucoup de travail, d’une remise en question personnelle et surtout d’une entièreté totale.
L’humain au service du rappeur
L’artiste était exceptionnel dans ce que son parcours raconte de la création artistique. À jamais modeste, Rolling Stones dit de lui que « sa musique sonne comme s’il en devait toujours une aux rappeurs et producteurs du moment ». Mac Miller a assumé avec une franchise sans égo ses tourments, sa recherche de lui-même et du sens de ses actions. Il livra rapidement après ses premiers sons insouciants une mixtape fidèle à son état d’esprit de ce temps, Macadelic. Sur cette mixtape, il y évoque pour la première fois la pression qu’il ne mesurait pas. « I’m a Beatle to these young kids/But sometimes I be feelin’ like a needle to these young kids », dit-il dans « Fight the Feeling ». Il file la métaphore de l’aiguille, signifiant à la fois la mauvaise influence pour les jeunes qui l’adorent, et la drogue au sens propre. Il y exprime la pression d’être une idole, surtout lorsque lui-même ne se retrouve pas. Plus sombre mais jamais plaintif, le rappeur évoque sa dépression, son ennui profond, tous ces facteurs qui le font passer d’enfant insouciant à jeune adulte avec des responsabilités. Le rappeur de Pittsburgh étouffe ; ses chansons le crient depuis 2013.
L’humilité de Mac Miller est franche et explicite, pleine de pudeur. Au risque de réduire dans l’inconscient collectif la gravité de ses nombreux témoignages de détresse. « Hard to complain from the five stars hotel… », ose-t-il encore penser et affirmer quelques jours avant sa mort, dans « Small World » issu de son dernier album Swimming.
Un style sobre pour sujet sous influence
Après Macadelic, s’en est suivi le Macadelic Tour. Expérience trop intense pour les épaules du jeune rappeur qui devient dépendant aux opiacés, et notamment à la lean. « Sometimes I wish I took a simpler route/Instead of havin’ demons that’s as big as my house », rappait t-il encore dernièrement sur le track « 2009 », où il se rappelle la période insouciante de son existence en tant qu’inconnu. Sa première vie. Si la glace autour de la santé mentale des artistes commence à être brisée, il a fallu tout de même quelques incidents tragiques pour la prise de conscience collective. Les alertes timides de Mac Miller datent de 2012. Là où Lil Peep mettait en scène, peut-être inconsciemment, ses prises de Xanax sur Instagram – certains diraient « ses appels à l’aide » –, Mac Miller était lui dans une posture plus pudique, dont le manque criant de spectacularisation donnait peut-être l’impression d’une urgence moindre. Dans Faces, sa mixtape de 2014, il parle de son addiction à la cocaïne et au LSD. Le rappeur dissolvait son mal-être sur des beats et fondait ainsi des messages dramatiques dans notre écoute. À tel point que son décès laisse aujourd’hui un goût amer de culpabilité. L’annonce de sa mort tragique, soudaine, a fait l’effet d’une bombe.
Et comme c’est trop souvent le cas avec les deuils artistiques récents, ce n’est qu’aujourd’hui que nous l’écoutons vraiment, que les médias du monde entier analysent chacun de ses mots en réalisant presque avec complaisance les signes pourtant évidents d’une auto-destruction dépressive. Peut-être la simplicité apparente de ses messages a manqué d’alarmer. Depuis vendredi, les hommages évoquent aussi le mal-être du défunt rappeur, comme si les très nombreux messages de Mac Miller depuis 2012 n’avaient pas été assez suffisants.
Tragiquement, dans un documentaire signé The FADER, l’artiste se confiait il y a deux ans. « Je préfère être le banal rappeur blanc que le déchet drogué qui ne peut même pas sortir de chez lui. Ce n’est pas cool de faire une overdose. Il n’y a pas de romance légendaire. Tu n’entres pas dans l’histoire parce que tu fais une overdose, tu meurs tout simplement. » Funeste présage. Triste ironie : le dernier single du chanteur s’appelle « Self-Care ». Dans le clip du morceau (ci-dessus), on l’y voit enterré vivant, frappant du poing façon Uma Thurman dans Kill Bill le couvercle de son cercueil boisé, à l’endroit où il y a gravé au couteau l’expression latine « Memento mori », autrement dit : « Souviens-toi que tu vas mourir. » Sinistre augure. Depuis au moins trois ans, Mac Miller se soignait, avec plus ou moins de succès. Il en avait d’ailleurs longuement parlé sur le plateau du Breakfast Club en 2015, avec un Charlamagne Tha God qui le sermonnait comme un grand frère sans lui accorder la moindre seconde de répit. Malcolm était entouré d’amis qui lui voulaient du bien.
Cœur à vif
Dans ce flot de pensées noires qui ont hanté l’œuvre du rappeur, quelques moments de paix sont aussi apparus, notamment cristallisés dans l’album The Divine Feminine. Cette œuvre, réalisée sous l’influence de son idylle avec Ariana Grande, constitue son projet le plus lumineux. Depuis ce disque, Mac Miller avait aussi cette image médiatique du rappeur amoureux de l’amour. En toute transparence toujours, l’artiste se surprenait innocemment à être encore vivant et à aimer au grand sens du terme. Il y affirmait vouloir chercher du réconfort auprès de l’amour, la plus forte de toutes les drogues. Mac Miller exprimait sans filtre son émotivité constitutive. On lui connaît deux grandes histoires d’amour, dont les débuts et fins ont façonné le rythme de sa vie. La première avec Nomi Leasure, rencontrée au collège, avec qui il était en couple jusqu’en 2013. Cette dernière a publié, le 27 août dernier, un texte où elle narre les retrouvailles avec le rappeur, dans un bar symbolique de leur histoire, comme pour clore un long bel épisode. « On dit que vivre dans le passé cause la dépression », écrit-elle. Dans ce joli récit timide et discret, elle y décrit les genoux de l’artiste, tremblant de nervosité. Touchant. Ses langages, verbaux ou non, transpirent le respect intègre de leur histoire commune. « Avec précaution, elle parla d’un nouvel amour. Il parla d’un amour ancien », avoue-t-elle aussi, en disant long sur leurs états de pensées respectifs. La deuxième grande histoire est donc celle avec la pop-star Ariana Grande, qui prit fin au mois de mai de cette année 2018.
Quelques jours après sa rupture avec la pop-star, causée – selon cette dernière – par l’incapacité du rappeur à prendre vraiment soin de lui, Mac Miller est arrêté pour conduite en état d’ivresse après avoir foncé dans un poteau électrique. Une dizaine de jours après la publication du texte de Nomi Leasure, Mac Miller fait l’overdose qui mettra un terme à une vie de tourment. Deux chamboulements émotionnels qui précèdent deux accidents, dont le dernier lui sera fatal. Deux grosses gouttes d’eau qui ont fait déborder une existence trop pleine. Cette sensibilité-là est bien trop rare pour ne pas être légendaire.