Mr. Punisher : « C’était la première fois que Booba acceptait une de mes compos. »
La musique, et plus particulièrement le hip-hop hexagonal, est la chasse gardée des rappeurs qui s’accaparent l’attention artistique du public et des médias. Avec Meet The Architect, YARD vous propose de rencontrer ceux qui font la musique. Second épisode, le producteur français Mr. Punisher.
Photos : Steeve Cute
D’où te vient ton nom et comment définis-tu ton travail ?
Tout d’abord, je dirais que je me définis en tant que compositeur, parce que je trouve que le terme « beatmaker » est perçu comme étant limité au virtuel ; un mec seul, qui fait du son sur son PC, qui envoie des mails aux artistes, etc. Tandis que moi, je me déplace auprès des artistes, je suis avec eux en studio, je travaille sur les morceaux, je fais des arrangements, donc j’ai l’impression que « compositeur » me convient mieux.
Pour ce qui est de mon nom, je cherchais quelque chose de sombre. C’était à une époque où je faisais beaucoup de trap avec des sonorités ténébreuses, j’étais vraiment exclusivement là-dedans, du coup je cherchais un nom qui correspondait à cet univers. Entre temps il y a le film Punisher qui m’a inspiré, et de là, j’ai adopté ce nom.
Quels sons les artistes avec lesquels tu as collaboré ?
J’ai collaboré avec pas mal d’artistes français comme Booba, Rohff, Gradur, Lacrim, La Fouine, Niro ou Mac Tyer, mais aussi quelques américains ; Tory Lanez, Dej Loaf, Young Buck, Project Pat, entre autres.
Comment es-tu venu à la production ?
Au début je rappais, j’ai rappé pendant longtemps même. J’assistais beaucoup aux sessions de mon oncle qui était compositeur, et je lui donnais pas mal d’idées. Ca m’a donné envie de composer, donc j’ai commencé mais au début ce n’était pas encore ça, on se foutait de ma gueule carrément (rires). Au fil du temps, j’avais besoin de prods pour mes projets en tant que rappeur et l’ami qui composait pour moi a commencé à avoir des opportunités aux Etats-Unis, donc il m’a fait comprendre que ça n’allait plus être possible. De là, je me suis dit que vu que je ne pouvais plus compter sur personne, j’allais m’y mettre tout seul. Pendant deux ans, j’ai cessé toute activité professionnelle, et je me suis mis à faire de la prod H24. Je ne sortais plus, je ne faisais que ça de mes journées. Ça m’a permis de progresser mais aussi de rencontrer pas mal de personnes dans le milieu, de commencer à proposer mes instrus, etc.
Et tu as fini par délaisser complètement le rap ?
En fait, j’étais arrivé à un stade où je n’avais même plus envie de rapper. Je me suis rendu compte qu’au final, le beatmaking m’intéressait plus que le rap. Je me disais limite que j’étais nul, que je perdais mon temps et qu’en réalité j’aimais tout simplement rester derrière mon PC à faire du son. J’avais plein d’inspiration, plein d’idées qui me venaient à chaque fois, en me réveillant, en me couchant, etc. Je prenais du plaisir.
Quels ont été les premiers équipements et logiciels que tu as utilisés en commençant à composer ?
Au début j’ai commencé sur le PC du salon, le PC de ma mère, un ordinateur lent qui ramait beaucoup, un vieux PC (rires). Je faisais du son avec ça, je bidouillais, j’avais pris une démo de FL Studio et je travaillais là-dessus. Au fil du temps je me suis aperçu qu’il fallait des VST, des choses comme ça, donc je me suis mis à télécharger les logiciels. Et je m’y suis mis comme ça.
Mais même aujourd’hui je reste un mec simple, je ne me prends pas la tête à acheter tous les derniers matos. Je vais plutôt acheter un clavier maître tout simple parce que de nos jours, il n’y a plus forcément besoin de grand chose pour composer. Tu as surtout besoin d’un bon PC, de quelques plug-ins, de Fruity Loops et c’est parti.
Quels sont les aspects de la composition que tu penses maîtriser le mieux ?
La plupart du temps, les gens aiment mes productions trap. En général, les retours que j’ai c’est surtout au niveau des basses, les gens disent que j’ai une façon particulière de jouer avec les basses. Et c’est vrai que personnellement, j’aime m’amuser avec. Au-delà de ça, je pense qu’un de mes points forts c’est mon éclectisme. Même si j’ai une image de producteur « trap », je ne m’enferme pas dans ce seul registre. En disant ça, je pense à une prod comme « Jamais » de Gradur, par exemple, où le son est plus mélodieux. J’aime justement poser mes mélodies, et même dans les compositions trap j’essaye de chercher des sonorités étranges, qui sortent de l’ordinaire pour mieux marquer.
Quelles ont été tes principales influences ?
Les principaux producteurs qui m’ont influencé ce sont évidemment des gars comme Timbaland et Pharrell mais aussi Boi-1da et surtout T-Minus. T-Minus c’est ma plus grosse référence. J’aime aussi Ryan Leslie, ne serait-ce que pour sa manière de gérer son image, la communication autour de sa personne. Plus largement, j’aime les sonorités canadiennes et aussi qui se fait à Atlanta, logiquement.
Le Canada est en train de devenir une référence pour de plus en plus d’artistes français. Est-ce que tu as le sentiment que c’est la prochaine direction que le rap français va emprunter ?
Bien sûr. Aux Etats-Unis, ils ont déjà compris ça depuis 2011, voire 2010 même. Depuis 2010, il y a énormément de compositeurs canadiens qui ont émergés aux USA, et c’est encore le cas aujourd’hui. En France, c’est plus récent, il faut le temps que ça arrive. Ici, les gens se sont mangés le style canadien avec le succès d’artistes comme Tory Lanez, The Weekend ou PARTYNEXTDOOR.
Si tu étais un autre producteur, lequel tu aurais aimé être ?
J’aurais kiffé être T-Minus, encore (rires). Ce que j’aime chez lui c’est que c’est un gros hitmaker, mais que son son n’est jamais formaté. Il réussit systématiquement à apporter sa touche, même en faisait un hit. Il n’a jamais essayé d’adapter son style pour qu’un son marche plus, il conserve son propre univers. En plus, beaucoup de ses sons sonnent hyper-futuriste. Quand j’ai écouté des titres comme « Swimming Pools » de Kendrick Lamar ou « PMW » d’A$AP Rocky, je n’étais pas prêt, je me disais « Mais c’est qui ce mec ? C’est quoi ces sonorités ? ». Il a ramené des leads, des trucs qui sortaient de l’ordinaire, on n’avait pas l’habitude d’entendre ça. Les producteurs canadiens utilisent beaucoup de samples, beaucoup d’ambiances, beaucoup de pads, et lui a réussi à allier ce son si particulier au côté mainstream.
Dans quels domaines aimerais-tu te perfectionner ?
Justement, j’aimerais avoir cette faculté d’être plus mainstream, de réussir à faire des sons pour des publics plus larges. Par moments, je kiffe tellement les gros morceaux trap que j’ai du mal à en sortir, je vais essayer de partir sur autre chose et finalement revenir là-dessus parce que c’est ma base. J’ai envie de m’ouvrir encore plus. Je sais que je suis capable de faire d’autre types de sons – et c’est ce que je disais tout à l’heure – mais j’ai envie d’en faire plus souvent, et que ce soit plus spontané. J’ai ce côté mélodieux mais souvent ça ne sonne pas comme un hit. Ça ne sonne pas forcément comme LE morceau que tout le monde va retenir, sur lequel l’artiste va accrocher et faire un hit.
Quel a été le conseil qui t’as le plus aidé dans ta carrière ?
On m’a donné énormément de conseils, mais si je ne devais en retenir qu’un ce serait d’être discret. On m’a toujours dit qu’il ne fallait jamais trop parler, que ce soit sur les réseaux sociaux ou en vrai, de ne jamais trop chambrer ou sous-estimer des artistes parce que tu ne sais pas ce que la personne en face de toi peut être. Dans le même sens, on m’a aussi dit d’essayer de garder un bon relationnel. Le fait est que je suis assez difficile, je n’arrive pas à m’entendre avec tout le monde : avec moi, c’est souvent du « ça passe ou ça casse ». Je marche beaucoup à l’affectif, sur le côté humain, donc quand je suis déçu d’une personne, je peux parfois me prendre trop la tête.
Comment démarres-tu une nouvelle production ?
D’abord je cherche des mélodies, je vais en faire 2-3 et une fois que je vais sentir le truc, je frappe directement la rythmique pour me mettre dans l’ambiance. Et même si je suis nul quand il s’agit de faire des toplines, je fredonne des idées, des mélodies, des flow en m’imaginant un artiste chanter dessus, ce qui m’aide à assembler les principaux éléments de la production. Et c’est seulement après je vais me prendre la tête sur les détails.
Sur ce point-là, j’imagine que le fait d’avoir commencé en tant que rappeur est assez utile.
Carrément, même au niveau des structures. Si je n’avais pas rappé, je crois que j’aurais fait que des lignes continues alors que là, en me mettant à la place de l’artiste, je me dis qu’à tel moment de l’instru je vais mettre un cut, puis je vais mettre un effet à tel autre moment, je vais enlever une basse là, je vais mettre un kick ici. Ça m’aide énormément.
Quelle est la démarche pour un artiste souhaitant travailler avec toi ?
Je suis quelqu’un de très accessible. Parfois certains sont surpris parce qu’ils croient que je suis fermé, puis ils se rendent compte que je suis sans prises de tête. Je réponds à tout le monde, il n’y a vraiment pas de problèmes. Je laisse accès à mon Gmail partout sur mes réseaux sociaux de manière à ce que tout le monde puisse me contacter, que ce soit un artiste qui veut que j’écoute ses sons ou un compositeur qui aimerait collaborer.
Et quels sont les prix qu’un artiste doit débourser pour obtenir l’une de tes compositions ?
Je ne peux pas donner de prix mais ça reste accessible. En réalité j’ai du mal à vendre mes instrus aux artistes, et surtout aux indés qui croient souvent que c’est gratuit et ne préparent pas forcément le budget pour ça. Après, il y a des cas où un artiste n’a pas forcément les moyens mais a un buzz tel qu’il peut apporter une belle visibilité à mon travail. Dans ce genre de cas, je vais parfois préférer lui offrir la production s’il y a bon feeling et que je sens que l’artiste va exploser. C’est par exemple ce qui s’est passé avec Gradur. S’il y a une bonne opportunité, je vais parfois foncer et tenter la chose sans faire de calcul, sans voir combien ça va me rapporter ; je tente juste et je vois après coup si ça donne quelque chose.
En 2015, tu as coproduit le titre « Diego » de Tory Lanez, qui a eu un retentissement remarquable. Comment s’est effectuée la connexion entre vous et quelle est la genèse de ce titre ?
J’ai d’abord composé le titre, puis je l’ai envoyé à Ozhora Miyagi, avec qui j’ai coproduit le morceau et qui m’avait dit avoir le contact pour placer la composition auprès de Tory Lanez. Il a retravaillé quelques éléments de la piste et l’a donc transmise à l’équipe qui s’occupe de lui. Tory Lanez nous a rapidement demandé les pistes extérieures et on lui a envoyé tout ce dont il avait besoin. De là, on n’a plus vraiment eu de nouvelles mais Ozhora me répétait qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’il avait bel et bien pris le morceau, que tout était bon. Un jour, je me connecte sur le site HotNewHipHop – sur lequel je suis quotidiennement – et je vois « Tory Lanez – Diego ». Et là, instinctivement, avant même de l’écouter je me dis « J’en suis sur que ce son-là, c’est ma prod ». Je clique dessus, et je tombe effectivement sur ma prod mais sur la cover, je vois que ni Ozhora, ni moi n’avons été crédités. Et ça, je l’ai super mal pris. J’en ai immédiatement parlé à Ozhora et on s’est tout les deux mobilisés, on a fait appel à tous nos contacts pour lui prendre un peu la tête sur les réseaux sociaux. Suite à ça, Tory Lanez est directement parti parler à Ozhora en lui disant que c’était sa prod et qu’on n’avait plus rien à voir dessus. Après ce n’est pas quelque chose de spécialement nouveau en Amérique, beaucoup d’artistes font des coups similaires. Mais là-dessus on n’a pas lâché et au bout d’un moment ça a fini par payer. En réalité on se battait juste pour avoir le crédit, mais je pense que ça l’a tellement marqué qu’il a finit par faire appel à ses avocats pour qu’on signe tous les contrats concernant la production, de manière à ce qu’il n’y ait plus de soucis. Et au final, tout s’est bien fini.
La production du titre était effectivement initialement créditée à Tory Lanez et son producteur attitré Play Picasso. Ont-ils tout de même eu un rôle dans la composition du titre ?
À l’origine, j’avais déjà commencé à travailler sur cette production avant même de savoir que je pourrais la placer pour Tory Lanez. J’avais une base, j’ai fais les leads, j’ai travaillé la rythmique, la basse, etc. Puis Ozhora a fait quelques arrangements sur le morceau, il a rajouté des cloches, quelques éléments comme ça. Quand on a envoyé la compo à Tory Lanez, je dois reconnaître que lui et son équipe ont fait un super travail au niveau de l’arrangement et de la réalisation, j’ai vraiment kiffé et c’est en partie ce qui a contribué à faire du son un tel tube. Après, il faut savoir que Tory Lanez est quelqu’un qui travaille vraiment sur du sur-mesure et c’est d’ailleurs ce que Play Picasso et son manager m’ont dit. Vu sous cet angle-là, on peut même considérer que c’était une chance d’avoir pu lui envoyer un titre.
En ayant travaillé aussi bien en France qu’outre-Atlantique, as-tu ressenti des différences notables, tant dans la manière de travailler que dans la considération portée aux producteurs ?
Aux Etats-Unis c’est vraiment différent, il y a vraiment beaucoup plus de respect pour les compositeurs. Quand j’échange avec des artistes américains, ils me font vraiment sentir qu’ils apprécient mon travail et j’ai même eu des propositions pour signer là-bas. Au-delà de ça, les contacts se font beaucoup plus rapidement. Des fois j’envoie des morceaux à des artistes US, le lendemain j’ai déjà une réponse avec leurs couplets déjà posés. Et pourtant, en envoyant, je me disais que certains mecs n’allaient jamais me répondre. Quand j’ai envoyé des prods à Chinx Drugz de Coke Boyz, par exemple, je n’attendais pas forcément de retour et finalement il m’en a carrément demandé d’autres.
À l’inverse, quand j’ai commencé en France, je contactais des artistes sur les réseaux sociaux et ils ne me répondaient même pas. C’était le début de Twitter, il n’y avait pas grand monde dessus encore, mais mis à part 2 ou 3 artistes comme Grödash ou Sultan qui m’avaient envoyé leurs mails, j’étais ignoré. Après ce n’est pas le même marché : aux Etats-Unis ils sortent beaucoup de mixtapes, beaucoup d’albums, donc il y a un besoin constant. C’est une dynamique qui commence aussi à s’installer en France, mais les artistes prennent plus leur temps. Le public consomme la musique de plus en plus rapidement, un artiste n’a même pas le temps de sortir un morceau que le public en demande déjà un autre. Ils ne prennent plus forcément le temps de décortiquer la musique, de la digérer.
N’as-tu pas le sentiment que cette attitude de consommation minimise le travail de l’artiste ?
C’est clair. Le public n’a pas forcément conscience de ce que c’est que d’être un artiste. Un artiste c’est quelqu’un qui passe énormément de temps en studio, qui se prend la tête à choisir des productions, à écrire, à enregistrer le titre, à le faire mixer. Il va parfois assister l’ingé pour s’assurer que tout se passe bien, et encore après ça, il y a le mastering et toutes ces choses-là. Et tout ça, l’auditeur le casse déjà en un clic en téléchargeant l’album, puis au bout d’une heure d’écoute il revient déjà en demander un autre. Alors que l’artiste vient de passer des mois, voire des années dessus pour fournir un bon travail.
Selon toi, qu’est-ce qui manque aux producteurs français pour obtenir la reconnaissance qu’ils méritent ?
D’après moi, il manque un mouvement, tout simplement. Quand tu vois des scènes comme Atlanta ou Toronto, il y a un mouvement aussi important au niveau des rappeurs qu’au niveau des compositeurs. Ils vont parfois jusqu’à organiser des évènements comme des beat-battles. À partir du moment où l’on fait des Rap Contenders en France, pourquoi l’on ne pourrait pas faire de beat-battles par exemple ? Au-delà de ça, ici il y a parfois un esprit de compétition entre les producteurs, chacun reste dans son coin. Par exemple, si un compositeur a une connexion avec un artiste, plutôt que de dire à un autre producteur « tiens je te donne son contact, tente ta chance » il va plus être dans un état d’esprit « c’est ma croûte, je me suis battu pour ça, je ne peux pas le partager ». Tant qu’il n’y aura pas de partage, on va galérer à avancer. Après je ne dis pas qu’on doit forcément tous avancer main dans main, mais ce côté trop individualiste va toujours constituer un frein à notre progression. C’est déjà à nous de s’entraider, de faire notre travail et même de faire reconnaître nos droits. Par exemple, quand on négocie nos tarifs sur nos compos, nos conditions pour qu’un artiste puisse se procurer nos sons, on doit déjà être capable de s’imposer. Sinon l’artiste peut se dire « les sons je les ai déjà gratuit, donc j’en ai pas grand chose à foutre des producteurs, si je veux je peux ne pas les créditer ». Ils négligent.
Justement, l’année passée, PNL a rencontré un succès considérable en piochant des productions un peu partout sur le net, ce qui a poussé certains compositeurs à venir leur réclamer leur crédit. En tant que producteur, qu’est-ce que cela t’inspire ?
En vrai, je ne saurais pas trop quoi te dire là-dessus. J’en connais des artistes qui reçoivent énormément de sons et qui ne se cassent pas forcément la tête à savoir qui a fait le son, ou même à échanger avec le compositeur. Juste, ils font leur son sans s’intéresser à ce genre de choses. C’est dommage, mais c’est presque courant. Je ne connais pas PNL, je ne sais pas si c’est volontaire ou pas, je pense que ça peut simplement être dû à un manque de communication entre les artistes et les producteurs. Tout dépend de l’artiste : s’il veut être vraiment carré, indé ou pas, il va investir, échanger avec les beatmakers et les créditer. Autrement, il va aller sur YouTube chercher des « Type Beats », télécharger gratuitement des beat-tapes ou des instrus sur Soundclick sans se prendre la tête.
Mais je ne blâme pas les compositeurs pour autant, moi aussi je mets parfois des instrus à disposition gratuitement. Tous les compositeurs n’ont pas la même facilité pour placer leurs productions et dans ces cas-là, la gratuité reste un des meilleurs moyens de communiquer autour de soi. Chacun se débrouille comme il peut. Personnellement, j’ai la chance d’avoir quelques personnes qui me suivent, et des fois je balance des beat-tapes histoire de voir ce que les gens en pensent ou simplement pour voir des artistes freestyler dessus.
Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, beaucoup de producteurs estampillés « hip-hop » ont fini d’asseoir leur réputation en s’ouvrant à d’autres style musicaux, parfois très opposés de leur zone de confort, comme ce fut le cas pour Kore ou Pharrell. Est-ce quelque chose que tu envisages également ?
C’est exactement ce que j’envisage. Pour moi c’est presque une étape obligatoire. Je ne peux pas passer toute ma carrière à essayer de placer. Si je peux développer des artistes, ou voir une maison de disque me proposer des projets d’artistes en développement, quelque soit leurs styles musicaux, je sauterai sur l’occasion. Si un jour une artiste comme Mylène Farmer m’appelle, je kiffe. Aux Etats-Unis, il y a déjà ce truc qui fait que tu peux voir un Mike Will Made It travailler avec Miley Cyrus. Demain, Metro Boomin pourrait taffer avec Marilyn Manson que ça ne me choquerait pas plus que ça (rires). Il n’y a pas de limites. Mais encore une fois, en France c’est plus compliqué, rien que d’essayer de toucher un Maître Gims c’est difficile parce qu’il a déjà son équipe et que lui-même produit parfois.
Après, qu’un artiste d’un autre genre vienne me contacter, je pourrais me lancer le défi de travailler avec lui, me donner les moyens de proposer autre chose, mais sortir spontanément du rap serait difficile à faire pour moi. Tout ce que je fais, je le fais au feeling. Je ne pourrais pas me forcer à faire du Zouk ou du Coupé-décalé par exemple.
As-tu déjà été impressionné par un artiste en studio ?
En studio, pas forcément. Les artistes qui ont su me marquer, c’était plus souvent sur le plan humain. En disant ça, je pense par exemple des gars comme Mac Tyer ou Dosseh avec qui j’ai bien aimé passer du temps, j’ai kiffé leur manière de voir les choses, sa manière de parler, leur regard sur la musique etc. Hier encore, j’étais invité au Planète Rap de Sch, j’ai vu l’artiste et j’ai apprécié la considération qu’il portait au travail des producteurs. On n’a même pas encore vraiment collaboré ensemble qu’il respectait déjà ce que j’avais fait par le passé. C’était d’ailleurs un respect mutuel. C’est plus ce genre de choses qui me frappent. Sch n’hésitait pas à beaucoup mettre en avant son compositeur Guilty.
Guilty qui est d’ailleurs une personne importante dans ta carrière, me semble t-il ?
C’est un compositeur avec lequel j’échange beaucoup, on est au téléphone ensemble quasiment tous les jours. Tout à l’heure tu parlais de conseils, lui c’est quelqu’un qui a un certain âge et qui m’en donne beaucoup, justement. De mon côté, j’ai 25 ans et parfois je manque de recul sur les choses, je pète des plombs sur l’aspect « business » du métier. Lui me permet d’avoir ce recul-là, et c’est bien pour moi d’être entouré par ce genre de personnes là.
Les deux dernières années ont été particulièrement pleines pour toi, tu as été crédité sur de nombreux projets et deux d’entre eux ont même été certifiés disque d’or (ndlr : L’Homme au Bob & Nero Nemesis). As-tu le sentiment d’avoir atteint un certain cap dans ta carrière ?
Pas du tout, parce que je me dis qu’il faut que je bosse encore. Quand je vois les plus grands qui sont encore là, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, je me dis que j’ai encore énormément de travail. Je me dis limite que faire des interviews c’est prétentieux par rapport à tout ce qu’il me reste à accomplir. Tant que je n’aurais pas ramené mes propres artistes, avec ma couleur, mon univers, que j’aurai réussi à les faire connaître, à les faire vendre des disques, je ne considèrerai pas que j’ai franchi un cap. Certes, j’ai placé pas mal de titres, mais pour moi ce n’est rien encore.
Y’a t-il une production dont tu es particulièrement fier ?
« Diego » parce que même avec toutes les histoires qu’il y a eu, j’essaie de rester concentré sur la musique. Je n’ai pas envie de rester rancunier ou quoique ce soit. Le principal c’est que « Diego » reste un très bon morceau et l’artiste a fait le travail. Qu’il m’aime ou qu’il ne m’aime pas, j’en ai rien à foutre, le morceau je le kiffe.
Après au niveau français, ce serait « 4G » de Booba. Bien que je trouve la production minimaliste, Booba en a fait un classique dans sa façon de poser dessus.
Justement, à propos de « 4G » : beaucoup de gens ont fait remarquer les similitudes de cette composition avec celle de « B.L.O.W » de Tory Lanez. Qu’as-tu à dire là-dessus ?
C’est bien que tu me poses la question parce que ça me permet de clarifier certaines choses. Il faut savoir que Booba connaît très bien le son « B.L.O.W » donc s’il avait senti que c’était un copié-collé de d’instru, il ne l’aurait pas pris. Penser ça, c’est remettre en question les choix musicaux d’un artiste comme Booba, c’est penser qu’il ne connaît rien au son. Tu vois les gens se marrer là-dessus sur les réseaux sociaux – même parfois des compositeurs – mais ils ne s’imaginent pas qu’un jour Booba pourrait très bien tomber là-dessus et ça leur enlèvera peut-être l’opportunité d’une collaboration. Je pense que c’est le genre d’artiste qui prend le temps de se renseigner sur les gens avec lesquels il travaille. Et c’est précisément ce que je te disais quand je parlais d’être discret. Moi des plagiats j’en ai vu dans le rap français. Encore à l’heure actuelle, j’entend pleins de choses qui sont calqués sur d’autres morceaux, mais je ne vais pas ouvrir ma bouche bêtement, parce qu’on ne sait jamais.
De plus, sans prétention aucune, la basse de « B.L.O.W » c’est la mienne. Ceux qui suivent attentivement Tory Lanez savent que ce type de basse, il ne l’a utilisé qu’à partir de « Diego ». À l’inverse, tu peux entendre cette basse-là sur la plupart de mes sons trap. Tu prend un morceau comme « Faut qu’ça chie » de Dosseh, c’est la même. Cette basse distorsionnée, c’est presque ma signature donc je ne vois pas pourquoi je ne devrais plus l’utiliser. Quand j’ai composé la prod de « 4G », j’ai d’abord joué le piano, puis j’ai voulu un pad sombre qui pesait sur le morceau. La rythmique n’est venue qu’à la fin, juste avant d’envoyer le morceau à Booba qui a validé directement. Je ne me suis pas levé un matin en me disant que j’allais simplement faire une copie de « B.L.O.W ».
Que peux-tu nous dire d’autre sur Booba et votre collaboration ?
Booba est un vrai passionné, lui-même le dit dans ses interviews : il n’écoute pas forcément beaucoup de sons, mais il écoute énormément d’instru. C’était la première fois qu’il acceptait une de mes compositions et je peux dire que j’ai galéré pour qu’il en retienne une. Je lui en ai envoyé plus d’une centaine. Au départ il en avait gardé trois, puis finalement il en a bloqué une. Six mois plus tard il m’a relancé. J’ai attendu pendant longtemps, je me disais même que c’était mort et finalement il a validé une production qui est devenu « 4G ». Comme quoi, il faut savoir être patient des fois.
Quels sont tes projets à venir ?
En ce moment je travaille avec Dosseh. J’ai également proposé des productions pour une artiste de pop-urbaine qui arrive prochainement, mais dont je ne peux encore dévoiler le nom. Pour tout dire, ces derniers temps j’ai été approché par pas mal d’artistes, je ne sais plus trop où donner de la tête. J’ai aussi travaillé avec Hooss, d’ailleurs, dont j’apprécie la musique.
Quelle devrait être la prochaine étape pour toi ?
Je suis actuellement en réflexion pour monter ma propre structure. C’est un projet que je suis en train de mener avec mon entourage. C’est très important pour moi parce que je suis ambitieux et que je n’aime pas dépendre des gens. Je n’ai envie de compter sur d’autres personnes pour telle ou telle chose et au final avoir quelque chose à leur reprocher. Donc je préfère avancer seul, en autodidacte. En parallèle, j’ai aussi envie de développer des artistes et des projets de mixtapes où je réunis divers artistes sur un seul et même projet.