Mick Jenkins : « Les gens ne réalisent pas à quel point nous sommes unis à Chicago »
Du haut de ces 24 ans, Mick Jenkins la nouvelle perle de Chicago n’en finit plus de grimper et de surprendre la raposphère. Après la claque sonore balancé avec The Water[s] considéré par beaucoup comme l’une des meilleures mixtapes de 2014, Jayson Jenkins de son vrai nom, a explosé à l’international. Membre actif de la communauté de Chicago, il a séduit les foules grâce à ses textes, son côté jazzy et sa voix de basse.
Avant son concert à la Maroquinerie, vendredi dernier, on a rencontré Mick pour lui poser quelques questions sur sa musique, son obsession pour l’eau, son penchant pour le jazz et la poésie, son activisme à Chicago et beaucoup de choses encore.
Pour commencer, tu pourrais nous parler de ta relation avec Jonny Shipes, avec qui tu travailles depuis peu sur Cinematic Music Group.
Après la sortie de The Water[s], beaucoup de gens ont commencé à venir vers moi, et à me porter de l’attention. Jonny était l’un des rares mecs à m’approcher et à me proposer quelque chose de différent. Différents labels et différents artistes voulaient travailler avec moi, mais ils avaient tous la même approche. Johnny est venu, et a travaillé gratuitement pendant plusieurs mois ce qui nous a permis de voir si ça collait vraiment entre nous. C’est ce qui me semblait le mieux à faire et, après environ cinq mois, je me suis dit qu’il fallait qu’on se lance dans un vrai truc ensemble.
Depuis que tu es chez Cinematic Music Group, tu as changé ta manière de travailler ?
Non pas vraiment. Je suis un mec indépendant et j’aime créer, et créer librement. De Trees and Thruth à Waves en passant par The Water[s], j’ai travaillé de la même manière. Je ressentais différentes choses mais j’ai travaillé pareil. Le plus important c’est que je puisse dire ce que j’ai à dire et faire ce que j’ai à faire, je n’aime pas quand on affecte ma création de manière négative.
Tu as vraiment l’air obsédé par tout ce qui touche à l’eau. Ta dernière mixtape s’appelait The Water[s] et ton dernier Ep Waves. Dis-nous tout.
[Rires] En fait l’eau dans tous ces projets, représente différentes vérités. Que ce soit l’amour, la chance, le succès, la joie… Toutes ces choses sont importantes pour moi. Donc l’eau c’est une métaphore qui incarne toutes ces choses.
Alors explique-nous ton mantra « Drink More Water ».
Comme je viens de te dire, l’eau incarne l’amour, la joie, la vérité, etc. Donc quand je dis « Drink More Water », en réalité je dis « nourrissez-vous de toutes ces choses, allez chercher la vérité, où que vous soyez dans le monde ».
Dans ton dernier clip « Your Love » tu nous transportes dans les 70s. Qu’est ce qui te plait dans cette époque ?
Ça avait vraiment l’air super cool. Il y avait une good vibe et la musique était vraiment bonne. Ce morceau je le considère comme un bon morceau pour faire du skate et je voulais le faire ressentir aux gens. Cette bonne ambiance, ce sentiment de fête, c’est quelque chose que je voulais partager. D’ailleurs la première version qu’on avait shooté c’était en soirée, mais ça ne rendait pas bien donc on a essayé de transmettre la vibe d’une autre manière et on est content du résultat aujourd’hui, donc c’est cool.
Pourquoi tu n’as pas gardé ta petite moustache ?
[Rires] Faudrait que je la laisse repousser mais là j’ai une petite moustache à la française.
Tu as un rap très jazzy et tu as toujours reconnu avoir un penchant pour le jazz. De qui tu t’inspires ?
De tout ! Je trouve l’inspiration dans beaucoup de choses différentes. Quand je travaillais sur The Water[s], j’utilisais beaucoup de beats et de samples d’albums jazz. Donc je me suis inspiré de certains des artistes samplés. Mais l’inspi est partout tu sais, elle vient de toi, des gens, de la nourriture. En termes d’inspiration, je ne me pose aucune limite.
Qu’est-ce que tu essayes de transmettre avec ta musique?
Je veux juste donner un truc réel. Peu importe ce dont je parle, je veux que les gens voient la réalité que je veux leur transmettre. Peu importe l’état d’esprit, c’est ce que j’essaie de faire. « Slumber » était un son sur l’amour inspiré par ma copine par exemple et, dans tous mes morceaux j’essaie de retranscrire au mieux tout ce que je ressens.
Parlons poésie maintenant, car avant le rap, tu récitais tes textes pendant des sessions open mic à Chicago. Quelles ont été tes influences, tes auteurs et tes époques préférés ?
Shel Silverstein est l’un de mes préférés. Il écrit des livres poétiques pour enfants vraiment cools. Je dirais aussi Lemony Snicket et il y en a un autre dont j’ai oublié le nom… J’aime aussi beaucoup Paulo Coelho et James Bowen. Quand je travaillais sur Waves j’étais dans un livre de Coelho. J’essaie de lire de plus en plus, mais pour le moment je ne pourrais pas te dire qui est mon auteur préféré.
Dans une interview tu as déclaré : « La majorité des gens qui écoutent de la musique et qui connaissent les paroles passent à côté du message. » Tu ne penses pas que ça vient du fait qu’avec internet, on est envahi de musique et donc on ne prend plus vraiment le temps de se pencher sérieusement sur les textes.
Je pense que le problème est un peu plus profond enfaite. Ce que tu dis est en parti vrai, mais je pense qu’en général, les gens passent à côté de l’essentiel. C’est le cas pour beaucoup de choses, pas seulement dans la musique. Si la reine fait un discours par exemple, les gens vont simplement retenir ce avec quoi ils sont le plus d’accord, et donc ne vont pas faire attention à l’ensemble et aux autres points importants.
C’est la société qui fait qu’on est comme ça. Il faut qu’on soit maniables.
Donc tu penses qu’aujourd’hui, sur le plan musical, le fond est bien moins important que la forme ?
Tout est plus important que le fond, même le beat. J’essaie de faire en sorte que les gens entendent mon message évidemment, mais il y a certaines choses que je réalise aujourd’hui et qu’il faut que j’accepte comme par exemple le fait que le message soit moins important aux yeux de certains.
Trees and Truth a signé un tournant dans ta carrière sur le plan lyrical. Quel a été l’élément déclencheur de ce changement ?
Je suis passé par beaucoup d’expériences qui m’ont fait réaliser plusieurs choses. Je vivais par mes propres moyens, je suis allé en prison à cause de la weed, j’ai eu un problème avec une de mes meufs, donc toutes ces choses m’ont forcé à me reconcentrer sur ma vie et ça s’est retranscrit dans ma musique.
Si tu devais décrire Chicago en un mot ?
Communauté.
Pourquoi ?
Je pense que de l’extérieur, les gens ne réalisent pas à quel point à Chicago, notamment sur le plan artistique, nous sommes unis. Les artistes travaillent avec d’autres artistes, collaborent avec des blogs, des journalistes, aident les citoyens… Grâce à toute l’attention portée aux rappeurs de la ville on peut aussi mettre le projecteur sur les autres.
Quand j’ai travaillé avec Chance (The Rapper, ndlr) et Vic (Mensa) c’était incroyable. Ce n’était pas quelque chose de prévu. Un jour, j’ai entendu frapper à ma porte et c’était Chance. Tu vois c’est de cette manière que les choses se passent là-bas. Après on s’est retrouvés avec plein d’autres artistes de la ville en studio. Pour moi c’était nouveau de voir cette proximité et ce sens de la communauté chez les artistes.
Parlons un peu des problèmes sociaux qui règnent à Chicago. Depuis 2012, les choses empirent, le taux de meurtre a augmenté, 10 écoles ont fermé et le déficit continue de se creuser. Est-ce qu’en grandissant tu avais conscience de tout ça, et est-ce que ça t’a affecté ?
Evidemment. Beaucoup des problèmes, sont perçus d’un œil extérieur, et je pense que tout est question de point de vue, de perception. Ce que tu dis est vrai, mais c’est comme partout, il y a des endroits plus chauds que d’autres où il ne faut pas aller si tu ne sais pas comment t’y tenir ou comment réagir. C’est triste et on ne peut rien y faire, c’est comme ça.
La vision que les medias essayent de donner de Chicago c’est l’image d’une ville où on ne peut plus rien faire, qui est dangereuse, où personne ne sourit [Rires]. Mais ce n’est pas ça Chicago, c’est une ville en émulation. Ce n’est pas la guerre quand tu pointes le nez dehors. Après comme je t’ai dit c’est comme partout, si tu cherches les ennuis, tu les trouves.
Tu peux établir un lien entre l’esprit de communauté dont tu parlais et les différents problèmes ?
Il y en a beaucoup tu sais mais le principal c’est la présence de la police. Là-bas c’est vraiment différent d’ici et de tous les autres endroits que j’ai pu voir. Ils sont présents partout mais ne nous connaissent pas, ne connaissent pas nos codes et notre manière de vivre. On pourrait en parler pendant des heures… C’est un vrai problème. Toutes ces arrestations ne riment vraiment à rien. [Rires]
De quelles manières luttes-tu contre ces problèmes sociaux et comment viens-tu en aide à ta communauté? On sait par exemple que Chance The Rapper a lancé une initiative pour lutter contre les violences, Common a rejoint une initiative rap avec Lil Herb, King Louie et d’autres pour lutter contre les violences et les armes.
J’essaie d’être présent auprès de ma communauté et de rester humble, histoire que les gens voient que je suis toujours là, et que je me bats. Personnellement je lutte pour les choses sur lesquelles j’écris, donc j’essaie de démontrer mon amour aux gens. Où que j’aille j’essaie de distribuer de l’amour. Je veux montrer que je ne suis pas dans l’espace, que je suis toujours connecté avec ce qu’il se passe même si ces trois derniers mois j’étais en tournée. D’ailleurs ça fait aussi parti de mon combat parce qu’en diffusant mes textes, je retranscris mes valeurs. J’ai beaucoup de potes qui sont en première ligne, qui ont des démêlés avec la justice et d’autres qui essayent de se battre, qui protestent, qui essaient aussi d’aller à la rencontre des politiques locaux, des enseignants pour faire avancer les choses. Ma musique et celle des autres artistes de la ville c’est un peu la soundtrack de tout ce mouvement. Mais j’aimerai être encore plus actif physiquement.
Reparlons musique, tu peux nous en dire un peu plus sur The Healing Component ton premier album qui sortira en 2016 ?
[Rires] Hélas, je ne peux pas t’en dire trop. The Water[s] était l’introduction de toute l’idée que je mets en avant avec « Drink More Water ». Mais je n’avais pas expliqué les composantes (l’amour, la vérité, la joie, etc.), donc cet album expliquera un peu ce que l’eau représente et signifie pour moi. Je mets le doigt sur certains problèmes dont on parlait tout à l’heure aussi, pour montrer ce manque d’amour qui règne dans ce monde, ce manque de croyance, ce manque de fraternité. On pense tellement à ce que devrait être les choses qu’on ne prend plus le temps d’apprendre à savoir ce qu’elles sont vraiment. Et c’est ce que j’essaie de démontrer avec The Healing Component.
En préparant cette interview j’écoutais ta musique quand un pote est rentré chez moi et m’a demandé si j’écoutais le nouveau Tyler the Creator. Je lui ai dit « Non mec, c’est Mick Jenkins », avant qu’il ne me réponde « Ils ont vraiment la même voix et des flows similaires. » T’en penses quoi?
[Rires] Ce n’est pas la première fois qu’on me le dit. On a tous les deux la voix grave, ça doit être pour ça que les gens trouvent qu’on se ressemble. A vrai dire, je me moque pas mal de tout ça. Mais c’est cool, j’aime bien ce que fait Tyler. [Rires]
Comment vis-tu cette nouvelle notoriété et toute cette agitation autour de toi ?
Ça ne me pose pas vraiment de problème. Ce qui me dérange ce sont les gens qui ne me connaissent pas et qui parlent mal de moi. Donc, il faut les corriger, et parfois ca ne suffit pas. Mais en règle général, je ne me prends pas la tête, j’essaie de montrer au maximum que je suis un mec vrai et authentique.
Tu penses que pour accomplir son œuvre, un artiste a besoin du succès ? Parce qu’on a l’impression que le succès ne t’obsède pas du tout.
Un artiste doit être libre. Je pense qu’un artiste ne doit pas avoir à travailler la moitié de la journée pour se nourrir et consacrer seulement quatre heures à son œuvre. Un artiste doit pouvoir vivre de l’art ou avoir d’autres moyens de remplir son frigo mais il doit avoir le temps de pratiquer. Pour moi le succès n’a rien à voir avec tes finances ou ton confort. Pour moi il est plus important de savoir ce que tu es en train de faire, succès ou non, et d’être satisfait de ce que tu as. La vie, c’est bien plus que toutes ces choses pour lesquels on part travailler chaque jour. Tu sais au début j’ai quitté mon taff pour me consacrer au rap et je n’avais plus un sous, mais j’étais heureux et j’ai pu m’y mettre à fond donc ça a peut-être participé au « succès ».
PHOTOS : @Ahtlaqdmm